Fish & PyT

20/11/2013

Chez Paulette - Nancy

Par Jean-Philippe Haas

Photos:

Site du groupe : www.fishheadsclub.com

Setlist :

Perfume River / Feast of Consequences / Script For a Jester’s Tear / Dark Star / All Loved Up / What Colour Is God ? / Blind To The Beautiful / Mr 1470 / He Knows You Know / The High Wood (Crucifix Corner - The Gathering - Thistle Alley) / Medley (Assassing - Credo - Tongues - Solo de batterie - Fugazi - White Feather - A View From The Hill) // Rappel : Freaks

« Chez Paulette » ! Un nom qui ne fait pas forcément rêver. Celui d’un pub, créé par ladite Paulette, perdu dans un petit village de la banlieue de Toul. Mais c’est surtout le nom d’un haut lieu de la musique rock qui au fil de plus de quarante ans d’existence a accueilli un nombre impressionnant d’artistes de premier plan comme John Lee Hooker, Calvin Russel, Canned Heat, Jean-Louis Aubert, Les Têtes Raides et une myriade d’autres qu’il serait vain de vouloir énumérer. En cette soirée du 2 novembre, on ne compte pas moins de trois vedettes à l’affiche. PyT, alias Pierre-Yves Theurillat et ex Galaad, qui vient défendre en acoustique les couleurs de son superbe Carnet d’un visage de pluie. Fish, qui réalise avec Feast of Consequences un grand retour, inespéré après quelques années difficiles. Pour sa seule date en province (il jouera au Divan du Monde le surlendemain), il fait salle comble et s’il tourne aujourd’hui plus volontiers en Allemagne ou en Pologne, l’imposant Ecossais conserve toujours un petit mais fidèle public en France. La troisième star de la soirée s’appelle Arpegia, l’association lorraine qui a réussi le tour de force de réunir ces deux merveilleux artistes le même soir, devant cinq cent personnes.

A peine avons-nous le temps de tremper nos lèvres dans la mousse d’une bonne bière, après le long périple qui nous a menés dans ce coin peu fréquenté, que le spectacle commence, avec une ponctualité à laquelle nous ne sommes plus guère habitués en France. Entouré de trois acolytes (Sébastien Froidevaux, son frère Stéphane et Laurent Petermann), PyT entame son crochet acoustique par l’un des titres phares de son disque, « Comme c’est beau ». Theurillat est ému, intimidé peut-être par la foule, mais sa voix ne tremble pas, et malgré sa faible marge de manœuvre, il prend le temps de parler avec le public, de raconter quelques anecdotes. Les spectateurs ne s’y trompent pas et applaudissent chaleureusement. On en soupçonne même certains d’avoir fait spécialement le déplacement pour cette première partie… PyT parcourt son disque en alternant les chansons en français et en anglais, épaulé aux chœurs par Sébastien Froidevaux dont la guitare sait être économe tout en restant indispensable et efficace : la marque des grands musiciens. En dépit de la brièveté imposée de la performance, le chanteur gratifie l’auditoire chanceux d’un inédit – « Mercy » – et, cerise sur le gâteau, le spectacle se termine sur une version remaniée de « L’épistolier », titre d’ouverture du quasi légendaire Vae Victis de Galaad. Les connaisseurs – et il y en a ! – apprécient le clin d’œil. En une demi-heure, les Suisses auront servi un joli concentré de mélodies et d’émotion. Une belle exposition pour un groupe qui mériterait, bien plus que de nombreux autres, d’être sous les feux de la rampe.

Une autre bière passe dans le gosier, quelques mots sont échangés avec Theurillat (dont le stand connaît un succès mérité), et soudain résonnent les premières notes de « Perfume River ». Le public est conquis d’avance et se presse contre la scène. Le colosse écossais apparaît sous l’ovation. Le décor est sobre et seules des images illustrant les chansons sont projetées sur grand écran en arrière-plan, fondues parfois aux images du concert. Fish est un showman, et même s’il se déplace moins qu’auparavant (l’étroitesse de la scène y est peut-être aussi pour quelque chose!), ne descend plus dans la fosse pour y danser la gigue avec le quidam, il reste un homme de spectacle qui sait jouer avec ses fans, les faire participer et réagir, revenant sur ses thèmes favoris que sont la guerre et autres absurdités de la société moderne. Et bien que sa maîtrise très sommaire du français ne lui permette pas de digresser autant qu’il le souhaiterait, Fish ne serait pas Fish sans quelques diatribes bien placées. « High Wood » qui traite de la première guerre mondiale ne démarre pas avant un laïus sur les soldats morts pour leur pays, de même que « Blind To The Beautiful », précédé d’une tirade sur l’écologie.

Ce soir le chanteur est en voix malgré une quinzaine de dates déjà au compteur du Moveable Feast Tour, et il entend le faire savoir. Signe peut-être qu’il n’a plus les mêmes facilités vocales que par le passé, il ne boira que de l’eau (un mot français dont il se moquera allègrement!). Plus atmosphérique que ses prédécesseurs, son dernier album Feast of Consequences est aussi plus mature. On sent que lui et son groupe ont pris le temps de composer, de tester certains titres sur scène, à l’instar du morceau éponyme. Pas moins de sept extraits sont présentés ce soir, mais le concert réserve de belles surprises. Parmi celles-ci, on trouve ainsi les excellents « What Colour Is God ? » et « Mr 1470 », respectivement extraits des très sous-estimés Suits et Sunsets on Empire. Marillion est encore largement mis à l’honneur, en particulier les deux premiers albums, pour le plaisir non dissimulé des spectateurs. Et même si les parties instrumentales ne sont pas du niveau Rothery/Kelly, le quatuor qui accompagne Fish maîtrise parfaitement son sujet. Discrets et efficaces, Steve Vantsis à la basse, Gavin Griffiths à la batterie, l’indéboulonnable Robin Boult à la guitare, et le non moins inamovible Foss Paterson aux claviers réinterprètent à leur manière des titres dont certains font désormais partie du patrimoine progressif. Seul bémol, Paterson n’est vraiment pas mis en valeur par le mixage et n’est finalement audible que sur les passages planants.

Pour recycler efficacement d’anciennes compositions et tenter de satisfaire tout le monde, Fish se plie à la pratique du medley. Cela lui permet de remettre une couche de Marillion et de caser ses premiers disques solos. Le public ne lui tient guère rigueur de la méthode utilisée, bien au contraire, il participe de plus belle, ravi de voir s’enchaîner d’anciens « tubes ». La seconde partie du spectacle sera perturbée par quelques problèmes de micro et un volume sonore un peu trop élevé mais, passablement énervé par le larsen, le colosse maintiendra tout de même un haut niveau de présence. On aurait évidemment aimé un petit « Internal Exile », « Lucky » ou « The Company », mais ne boudons pas notre plaisir, retrouver ce bon vieux Derek William Dick en grande forme efface largement les petits tracas qui auront émaillé le concert. Souhaitons à son album la reconnaissance qui le ferait revenir en première division. Et tirons une fois encore notre chapeau à Arpegia, organisateur de cette soirée dont personne n’osait rêver. L’association n’a d’ailleurs pas fini de nous étonner puisqu’une autre superbe double affiche Lazuli/RPWL est prévue pour le printemps 2014 !