Haken – Le sommet est en vue

En fournissant avec constance un travail de haute qualité, Haken a su créer une attente fébrile envers son nouveau-né, The Mountain. Attente qui fut tout simplement récompensée par leur meilleure production à ce jour, équilibrée, mélodique et aérienne. L’occasion pour nous d’échanger quelques mots avec Charlie Griffiths, guitariste du groupe, et d’en apprendre un peu plus sur les influences qui parcourent ce nouvel album.

Chromatique : Trois albums en moins de quatre ans, un succès qui n’a cessé de se confirmer, une présence dans les grands festivals prog, des premières parties prestigieuses, honnêtement, aviez-vous anticipé une telle réaction de la part du public ? Qu’avez-vous appris de cette ascension rapide ?
Charlie Griffiths : On ne s’attendait à rien de tout cela. Du coup, c’est très gratifiant de voir qu’un travail acharné et de la détermination peuvent payer à un moment donné – et ce n’est pas toujours le cas. Notre mission est de faire découvrir notre musique au plus grand nombre de personne possible, et avec un peu de chance, créer le même type de connexion que nous avons pu avoir avec nos groupes préférés. Cependant, je dois être honnête, de notre point de vue, cela a été un voyage long, lent et difficile pour arriver jusqu’ici. On a vraiment l’impression que cela ne fait que commencer.

Visions était délibérément plus heavy qu’Aquarius, avec un son massif. The Mountain le prend quelque peu à contrepied et part dans la direction inverse, beaucoup plus aérée. Quel fut le mot d’ordre, la consigne à respecter en terme de composition?
Nous n’avons pas réellement de plan pour chaque album. Nous venons simplement avec des idées de chansons, et continuons à les travailler jusqu’à atteindre un point auquel nous en sommes pleinement satisfaits. La musique nous donne alors des indications sur la direction émotionnelle à suivre, et influence le contenu des paroles. Donc, malgré le fait que tout cela semble avoir été prévu depuis le début, on ne découvre réellement l’album et la tournure qu’il prend qu’au fur et à mesure de l’écriture.

L’aspect symphonique, bien que toujours présent, semble beaucoup moins prononcé sur cet album. Pensez-vous avoir fait le tour de la question, et si non, quels aspects de cette approche souhaiteriez-vous explorer davantage ?
On adore ce son orchestral et cinématographique, et cette fois-ci nous nous sommes concentrés sur les cuivres plutôt que les cordes. Le final du dernier morceau « Somebody », est un excellent exemple de ce que Ray, notre batteur, a pu arranger. Il joue du tuba en orchestre et sait donc y faire dans ce domaine. Il a recruté quelques-uns de ses amis pour enregistrer une sorte de « mur de cuivre », typique d’un son à la Hans Zimmer. On va bien sûr continuer à expérimenter dans ce domaine, mais on ne peut pas vraiment dire que l’on y réfléchisse de façon précise pour le moment.

Pensez-vous désormais à la scène lorsque vous composez ? Lorsqu’on écoute le nombre de parties vocales superposées qui figurent sur The Mountain, on se dit vraisemblablement que non (rires)
En fait, nous jammons sur les chansons dans la même pièce, ce qui nous permet d’anticiper à l’avance qui doit jouer quelle partie, et d’être certains qu’on pourra arriver à tout reproduire en live. Il est clair que nous sommes de plus en plus ambitieux en termes d’harmonies vocales, et c’est vraiment un domaine que nous voulons améliorer en concert.

Pour Visions, c’est apparemment Richard (Ndlr : Henshall, guitare, claviers) qui apportait la structure principale du morceau, est-ce toujours le cas ? Procédez-vous toujours à la composition à distance ? Les décisions musicales sont-elles collectives, ou y a t-il un dictateur au sein du groupe ? (sourire)
C’est toujours Richard qui nous transmet les démos initiales, que l’on travaille ensuite en salle de répétition. On édite, on coupe, on ajoute et on réarrange les choses autant que nécessaire, le tout dans une atmosphère très démocratique. Chaque opinion est écoutée, jusqu’à ce qu’on parvienne à s’accorder sur le fait qu’une chanson fonctionne. Une fois arrivé à l’étape de l’enregistrement, Ray enregistre ses parties de batterie en premier, en jouant par-dessus les démos, puis on enregistre les nôtres dans nos home-studios respectifs. On garde continuellement le contact via téléphone ou e-mail.

Beaucoup de jeunes groupes s’orientent vers une approche plus moderne du metal progressif, c’est le cas pour Leprous, Tesseract ou encore Aeon Zen… Vous décidez ici de rendre hommage aux fondateurs tels que Gentle Giant. Pensez-vous pouvoir allier les racines du progressif à un metal résolument moderne, dans lequel le Axe FX II (Ndlr : puissant simulateur d’ampli utilisé par de nombreuses formations de djent notamment) et la 8 cordes dominent quelque peu?
Nous sommes un peu tombés sur Gentle Giant par accident. Il y a une partie du morceau « Visions » qui contient des parties vocales superposées, et nous nous sommes mis à la chanter a capella en live. C’était toujours la partie la plus fun du concert, on a donc décidé d’écrire une chanson spécifiquement dédiée au chant a capella. « Cockroach King » est devenue en quelque sorte une déclaration d’amour à Gentle Giant, et j’espère que les plus jeunes découvriront par ce biais le génie de ce groupe. Cela te surprendra peut-être, mais j’ai enregistré la totalité de cet album sur une 8 cordes, avec un Axe-FX2. Le « Fractal » permet de créer n’importe quel son de guitare imaginable, et je peux les réutiliser tel quel en live. Pour un guitariste, ça change la vie.

De par ces influences seventies, pourriez-vous un jour tomber du côté prog de la force et mettre de côté le temps d’un album vos influences metal, comme Opeth a pu le faire par le passé ?
J’adorerais faire ça. Il y a quelque chose dans cette musique d’organique et d’intemporel, qui ne nécessite pas forcément d’être un pur trip nostalgique. J’adorerais entendre Diego (Ndlr : Tejeida, claviériste) jouer de l’orgue Hammond et du Rhodes sur tout un album, je lui suggérerai !

En quoi une signature chez Inside out, au-delà du prestige, fait-elle aujourd’hui la différence pour Haken?
Il y a simplement une équipe plus importante de personnes impliquées dans le fait de diffuser notre musique. Toutes les personnes chez Inside Out adorent le genre, et désirent sincèrement aider les groupes. Ils ont à la fois une grande expérience et une infrastructure très bien organisée.

Pour vous, à l’heure où les Bandcamp et autres Spotify prennent de plus en plus de place dans l’écoute et la consommation du musique, un jeune groupe a-t-il réellement besoin d’une maison de disque, et soyons fous, de publier ses albums au format CD?
Ce n’est pas essentiel, mais je pense que dans le prog, les gens apprécient l’expérience d’un album dans sa globalité. L’artwork est lié à la musique, et les paroles se prêtent bien à l’analyse. Lors de nos concerts, les gens ramènent leurs cds, nous les font signer – il y a donc ce contact physique réel avec le groupe. On vient juste de sortir The Mountain en vinyl également, qui marche plutôt bien étant donné que le visuel est magnifique. Je pense pas que l’on puisse se passer de tout cela un jour.

Je n’ai pas eu la chance de lire les paroles pour le moment, mais un titre attire particulièrement mon attention : « Cockroach King »… Mais de quoi est-ce que vous avez voulu parler avec un titre pareil ??? (rires)
C’est Richard qui a écrit les paroles de cette chanson, et je trouve qu’il a fait un travail fantastique. J’y retrouve des réminiscences de chansons de Freddie Mercury, telles que « Killer Queen » ou « Bicycle Race », dans lesquelles il utilisait des phrases très intéressantes, aux sonorités plutôt excentriques. Mais celles-ci avaient malgré tout du sens, elles contenaient un message. « Cockroach King » semble fun en surface, mais contient un sous-texte sombre et kafkaesque. Bien évidemment, tout cela reste libre d’interprétation, nous laissons le soin à chacun d’y trouver son propre sens.

A votre avis, quel est le défi majeur qu’un jeune groupe de prog ait à relever? Quels conseils avisés pourriez-vous donner?
Mon conseil serait de s’entraîner autant que possible, d’en apprendre un maximum sur la théorie musicale, le song writing et la technique instrumentale. Cela permet d’éviter de nombreux tâtonnement et une certaine frustration lorsque l’on en vient à écrire de la musique à plusieurs. Jouez la musique que vous aimez, apprenez des uns et des autres, et surtout, prenez du plaisir à le faire. Si quelqu’un d’autre apprécie votre musique, c’est du bonus, soyez honnête et n’écrivez pas en fonction de ce que vous pensez que les gens vont apprécier.

Quel est le dernier groupe récent à vous avoir impressionné?
Il y a un groupe d’electro-pop anglais que j’aime beaucoup en ce moment, ça s’appelle Everything Everything. Ils écrivent des morceaux pop très accrocheurs, tout en conservant un aspect expérimental, quasi prog. J’aime leurs chansons, tout simplement.

Aimeriez-vous dire un mot en particulier au public français, ajouter quelque chose que j’aurais oublié ?
On reçoit chaque jour de nombreux messages de la part de nos fans français réclamant notre venue, et nous sommes réellement désolés de ne pas jouer suffisamment en France. On espère pouvoir changer cela dans un avenir proche. Si un programmateur orienté prog nous lit, s’il vous plaît, contactez-nous !