Les Tritonales 2013

09/09/2013

Le Triton - Les Lilas

Par Martial Briclot

Photos: Martial Briclot

Site du groupe :

Article écrit en collaboration avec Florent Simon.

La salle mythique du Triton (Les Lilas, 93) clôt, pour la onzième année consécutive, sa saison avec le festival des Tritonales. Moment particulier pour ce lieu unique qui dévoile une liste d’invités variée et prometteuse, c’est l’occasion d’y découvrir les derniers talents de la scène parisienne autant que les vétérans internationaux. Cette année n’a pas dérogé à la règle de la diversité et de la qualité, caractéristique de ce lieu si particulier qui inaugure l’année prochaine une deuxième salle. Retour sur ce voyage musical peu commun.

Nous démarrons cette année de Tritonales par les légendaires Shylock, une des rares formations françaises (si ce n’est la seule?) de rock progressif ayant su, durant les années soixante-dix, se faire remarquer par un label international : CBS. Premier constat : il existait une réelle attente envers le groupe niçois, l’excitation étant aisément palpable parmi l’assistance. Second constat : le groupe n’est pas ici pour plaisanter. Le set fut en effet d’une précision exemplaire, mené tambour battant par le guitariste Frédéric L’Epée. D’une extrême concentration, le regard fermé, il fera preuve d’une rigueur toute jazzistique, contrastant avec l’attitude plus rock de la section rythmique. C’est non sans plaisir que nous retrouvons aux côtés de l’énergique batteur André Fisichella, un Laurent James ayant troqué la six cordes de Lord of Mushrooms pour une Bass Fender du plus bel effet. Côté musique, le prog instrumental de Shylock fait des merveilles, s’articulant autour de nombreux thèmes puissants et mélodiques, pour une rencontre à mi-chemin entre les meilleures périodes de King Crimson et Genesis. Au delà des titres incontournables de Gialorgues et Ile de Fièvre, on aura particulièrement apprécié le fait d’entendre des réarrangements du fameux troisième album, celui-ci n’ayant pu voir le jour du fait de divergences artistiques avec le label.

Poser des mots sur la musique produite par le projet de Moussay/Ducret/Darrifourcq s’avère être un exercice d’une grande difficulté. Leur propension à l’expérimentation ne nous aura pas échappé, mais rien n’avait filtré quant à la teneur de cette collaboration, et c’est non sans une certaine curiosité mêlée d’anxiété que nous assistons à la naissance de cette hydre à trois têtes. L’exigence, la virtuosité et l’exploration de nouvelles contrées hostiles sont au programme, et le moins que l’on puisse dire, c’est que la musique du trio esquive à tout prix la moindre facilité. Il est ici quasiment impossible de saisir ne serait-ce qu’une bribe de mélodie dans ces structures tantôt très écrites, tantôt théâtres de pure expression solistiques. Les tonalités, lorsqu’elles existent, s’entrechoquent brutalement, les ruptures sont permanentes, le tout lié par une précision rythmique effarante, chaque musicien maîtrisant la moindre parcelle de son instrument à la perfection. A l’entracte, les premiers rangs de spectateurs non avertis auront déserté la salle, ce qui permettra au trio de nous asséner avec ironie les pièces les plus mélodiques de la soirée, issues majoritairement du répertoire de Sylvain Darrifourcq.

Le jeudi 20 juin c’était au tour de Pearl of swines, formation française méconnue mais talentueuse, de donner rendez-vous à un public éparse. Ce quartet emmené par le bassiste Frederick Galiay est complété par le guitariste Gilles Corodano, le batteur Franck Vaillant et la chanteuse et claviériste Sarah Murcia, et délivre une musique radicale et sans concession appuyée par des textes d’Edgard Poe. Ce mélange des genres, balancé entre rock progressif et néo-jazz empreint d’esprit punk, émoustilla rapidement des oreilles curieuses, malgré une technicité parfois extrême et des arrangements déroutants. Pearl of swines réussit à embarquer l’audience quelque part entre Gutbucket, Quiet Sun et Sonic Youth. Multipliant les prises de risques rythmiques, les moments de climax furent légion lors de ce set contrôlé et dont on retiendra ce savant mélange de virtuosité et d’énergie brute.

L’incontournable batteur Franck Vaillant (il fut en quelque sorte le fil rouge du festival) réanime le projet Benzine à l’occasion de ces Tritonales et rebaptise dans la foulée cette nouvelle formation. C’est Raising Benzine que nous apprécions le soir du 22 juin, composé de jeunes têtes bien connues du petit monde du jazz contemporain (Antonin Truong ou Julien Desprez pour ne pas les citer). Présentant quelques compos qui figureront sur un album à venir dans quelques mois, les musiciens évoluent sur le terrain d’expérimentation entretenu par leur meneur, celui-ci prenant un plaisir non dissimulé à déjouer les attentes de ses compagnons en leur tendant quelques pièges rythmiques de son cru. Tantôt guide, tantôt taquin, il s’impose en colonne vertébrale d’une formation à son effigie, naviguant au beau milieu des nuances extrêmes et des mélodies avec une aisance déconcertante, rappelant le Bruford des grands jours. Le set sera complété par quelques morceaux issus de ses formations trio, de quoi sustenter largement un public curieux de suivre les pérégrinations du Benzine nouvelle formule.

Le 27 nous retrouvions à nouveau l’attachant Franck Vaillant qui a intégré depuis quelque temps le phénomène Oto Spooky, groupe français déjà rôdé par la scène. Leur univers aussi vaste que déjanté fut projeté dans tous les sens en nous offrant une musique énergique et portée par la symbiose des quatre musiciens (Julien Wack en guitariste-chanteur, Nicolas Custaud à la basse et Stéphane Gasquet aux claviers en plus de Frank Vaillant). Ces joyeux larrons ont emballé le public à l’aide de leur joie communicative : il faut dire que les pépites tantôt psychédéliques, tantôt progressives balancées par le groupe fait l’effet d’une bonne claque. Une partie du set étant composé de nouvelles œuvres, nous attendons donc avec impatience ce concentré de King Crimson, Mr Bungle et Gentle Giant dans un deuxième album.

Guillaume Perret, Electric Epic et le Triton, c’est une longue histoire d’amitié musicale dont la flamme est sans cesse renouvelée. Le groupe y a récemment résidé afin de donner naissance à de nouvelles compositions, après avoir rodé son précédent set lors de multiples concerts aux trente-six coins de France et d’ailleurs. La salle est blindée, le succès s’avère complet, tant et si bien que les moins prévoyants craignent de ne pouvoir rentrer. Le saxophoniste et ses comparses ont su sans aucun doute se créer une base de fans solide dont la ferveur percute la petite salle lilasienne à l’entame de l’immense tube qu’est “Shoebox”. Des quelques concerts auxquels nous avons pu assister lors de ces Tritonales, celui d’Electric Epic aura sans nul doute été le plus plébiscité, prenant parfois des tournures plus familières aux concerts rock qu’aux ambiances feutrées des clubs de jazz parisiens (le groupe a récemment expérimenté les joies du slam et semble pressé de tester le pogo, avis aux amateurs). Seul bémol à cette partition électrisante, nous nous attendions à de nouveaux morceaux, annoncés notamment sur le site du Triton, mais Guillaume Perret calmera rapidement nos ardeurs. Trop perfectionnistes (et probablement trop occupés par la scène), les comparses préfèreront attendre leurs quatre dates de novembre prochain en ce même lieu pour embrayer sur de nouvelles compos. D’ici là, nous devrons ce soir nous contenter d’un « léger » set de près de deux heures trente couvrant la totalité de leur répertoire actuel avec un Jim Grandcamp peut-être un peu plus en retrait qu’à son habitude, mais un Guillaume Perret donnant largement le change.

Le festival s’est terminé en beauté avec une série de concerts du mythique Offering reformé par Christian Vander, prestigieuse affiche que nous n’avons malheureusement pu avoir le plaisir d’observer. Du reste, cette édition 2013 des Tritonales a parfaitement rempli sa mission en proposant à nouveau une affiche mêlant habitués, nouvelles têtes, collaborations inédites et têtes d’affiches alléchantes. Ce fut assurément un bel aperçu du paysage progressif actuel, une initiative respectueuse de l’héritage du genre tout en étant soucieuse d’apporter de nouvelles pierres à l’édifice. On regrettera uniquement que certaines pépites proposées n’aient pas su trouver leur public, alors qu’un soupçon de curiosité supplémentaire aurait pu lui amener quelques belles découvertes.