Periphery

30/05/2013

Nouveau Casino - Paris

Par Martial Briclot

Photos:

Marjorie Coulin

Site du groupe : www.facebook.com/peripheryBand

Setlist :

Ragnarok / Scarlet / Jetpack Was Yes! / Luck as Constant / Have a Blast / Facepalm Mute / Make Total Destroy / Icarus Lives! / Rappel : Drum solo / Killing in The Name / Racecar

Ce soir, mesdames et messieurs, nous célébrons le djent. Un genre tout aussi conspué qu’il peut être adulé, une soi-disant vague passagère qui trouve tout doucement sa place au sein du paysage métallique européen. Si nos festivals nationaux restent hermétiques au phénomène, d’autres pays se laissent tenter par l’expérience, au point qu’un des rares groupes français présent à l’affiche du Download Festival soit clairement affilié au djent (Algorithm pour ne pas le citer). Ok, nul n’est prophète etc etc… Mais en ce mercredi 1er mai, au Nouveau Casino, le style tant controversé a fait salle comble, la faute à une double affiche dont les fans se pourléchaient les babines d’avance.

C’est Syquem, seule inconnue dans l’équation, qui a la charge de déclencher les hostilités. Le public est enthousiaste, signe qu’il semble être connu de l’assistance mais a malencontreusement échappé à notre champ de vision. On navigue ici dans des eaux plus classiques, le groupe partageant plus de points communs avec le prog metal qu’avec Meshuggah. Le guitariste principal assure également le poste de chanteur, profitant d’un timbre au demeurant plutôt plaisant, plus traditionnel qu’hardcore. Malgré leur bonne volonté évidente, les Teutons tâtonnent quelque peu entre les morceaux, laissant échapper par erreur quelques bouts de samples. Sans être foncièrement dommageable, c’est le genre de détail qui dénote d’un certain manque de maturité scénique malgré cinq albums au compteur. Le bassiste jouera tout du long le rôle de statue impassible, idéal pour animer un enterrement mais moins efficace pour stimuler un public en demande de passion et d’énergie. Loin du sans faute, Syquem, par leur sens de la mélodie, aura su malgré tout titiller notre curiosité et nous donner l’envie d’en découvrir un peu plus (n’hésitez pas à faire un tour sur leur bandcamp).

La ferveur prend soudain de l’ampleur quand Tesseract foule la scène. Bien qu’on ait pu leur reprocher un set beaucoup trop court lors de leur passage au Batofar en tête d’affiche, force est de constater que les Anglais font grimper le professionnalisme d’un cran. Dotée d’une épine dorsale en titane, grâce à l’excellent batteur Jay Postones, la section rythmique fait des merveilles. Ne privilégiant à aucun moment la complexité technique outrancière au détriment d’un touché maîtrisé, basse et batterie humanisent quelque peu le groupe et effacent rapidement de nos mémoires les sonorités artificielles de Syquem. Nous sommes indéniablement face aux « vétérans » de ce mouvement relativement récent qu’est le Djent, ce qui s’en ressent tant par leur âge que par leur mise en place irréprochable. Seul le chanteur, Ashe O’Hara, se remettant d’une infection à la gorge aura semblé régulièrement peiner, hésitant, en retrait face à ses petits copains, à quelques encablures de la transparence. Ressemblant à un innocent choriste blondinet que l’on aurait grimé en rocker avec veste en cuir et piercings ad hoc, celui-ci camoufle ses errances sous les multiples samples vocaux qui l’accompagnent. Le très attendu « Conceiling Fate part 1 » viendra boucler un set musicalement satisfaisant, qui laissera malgré tout un goût amer d’inachevé. Trop appliqués, trop concentrés, ou simplement trop effacés sur scène? La marge de progression leur permettant d’acquérir un véritable statut de « groupe charismatique » reste aujourd’hui conséquente.

Après quelques minutes de mise en place, la foule se resserre autant qu’elle le peut, et vient alors le tour de Periphery. Autant avouer que nous ne savions pas réellement à quoi nous attendre, la première partie de Dream Theater en 2012 n’ayant pas été totalement convaincante. En notre for intérieur, il était évident que le groupe serait plus à l’aise en configuration club, mais ils avaient encore tout à prouver.
Adam « Nolly » Getgood nous avait confié qu’ils avaient gagné en assurance grâce au bénéfice des retours « oreillettes », et il est indéniable que la formation se présente ce soir sous un tout autre jour. Ce petit monde galope sur scène et vient titiller de très près le public qui explose de plaisir. L’écart se creuse instantanément avec les confrères de Tesseract, et c’est un fossé de professionnalisme qui les sépare désormais, ils ne jouent plus dans la même division, tout du moins en live.
Le set sera court, une soixantaine de minutes tout au plus : c’est donc sans perdre de temps en bavardages inutiles que Spencer Sotelo s’empare de la scène sur « Ragnarok ». Son registre hardcore mélo et son attitude tout en schizophrénie maîtrisée nous font penser instantanément à Rody Walker de Protest the Hero. Il est nécessaire de saluer sa technique parfaite : point d’artifice ou d’effet masquant les éventuelles difficultés, il se présente à nous sans complexe, alternant sans peine voix saturée et chant clair. On lui souhaite de parvenir à conserver une telle aisance sur le long terme, tant les cordes vocales peuvent souffrir de ce genre d’acrobaties.
Lorsque l’on bâtit une telle forteresse sonore, on perd nécessairement en subtilité, et rares sont les plages d’accalmies dans ce déluge de notes et de polyrythmie. Elles s’avèrent cependant salutaires car permettent de justifier à elles seules la présence de trois guitaristes, au demeurant tous solistes. Tapping à trois voix et arpèges des plus complexes mettent en valeur chaque personnalité. Misha Mansoor, maître à penser et producteur de la formation, reste le plus effacé des trois en terme de présence. Il pond cependant les plus beaux soli de la soirée, accrocheurs et inspirés, ce qui permet de ne pas oublier que Periphery est aussi synonyme de mélodies pas nécessairement noyées sous un déluge de triples croches.

Toujours bienveillant envers leurs fans, Periphery transforme peu à peu la scène en terre d’accueil pour slammeurs enthousiastes et improbables. Spiderman ou une jeune demoiselle avec son sac à dos sur le ventre viendront côtoyer les décidément très sympathiques membres du groupe, avant de jeter leur dévolu sur une fosse au headbanging intensif.
Au rayon des moments improbables de la soirée viendra s’ajouter une reprise complètement inattendue de Rage against the machine, un « Killing in the name » fédérateur suscitant un enthousiasme qui semble surprendre les musiciens eux-mêmes. Ne manque plus que le palindromique « Racecar » issu de leur premier album, et tout ce petit monde fini par rentrer chez soi, avec l’agréable sensation d’avoir passé une soirée ayant tenu toutes ses promesses.

Grâce à Periphery et Tesseract, nous avons eu la preuve évidente que le djent est un genre vivant, plein d’avenir, fédérant une jeune communauté autour d’une musique complexe et exigeante. Suivre son évolution et la manière dont il continuera à influencer le prog metal ne pourra qu’être passionnant. A suivre…