Shadow Circus - On A Dark And Stormy Night

Sorti le: 11/04/2013

Par Jean-Philippe Haas

Label: 10t Records

Site: www.shadowcircusmusic.com

Extraits de la « Bible du compositeur de rock progressif », chapitre 3 : « Le retro prog pour les nuls ».

« La classe américaine
Le secret d’un album de classic prog tient en un ensemble harmonieux de composantes spécifiques qui, mal réparties ou injectées en doses irréfléchies, peuvent mener une bonne idée de départ à un fiasco intégral qui transformera en frisbee ou en cale pour table basse le CD en devenir. […] Assumez vos influences : n’hésitez pas à multiplier des citations (pas trop voyantes) aux icônes du genre, vénérables ou modernes : un peu de Spock’s Beard par ci, un peu de Kansas par là, avec une ou deux références à Rush pour soigner votre crédibilité. Evitez les clins d’œil trop appuyés aux groupes des années quatre-vingts, même s’il est évident que votre musique en contient des traces. Si vous êtes de nationalité américaine, c’est mieux car le rayonnement du progressif britannique est en berne depuis… disons trente ans. […] Restez concis : en dépassant l’heure de jeu, vous risquez également d’atteindre les limites standard de la patience. N’oubliez pas que le double album est réservé à ceux qui ont déjà obtenu quatre étoiles et demi sur Progarchives. […] »

« Vous reprendrez bien un peu de Glaive d’Emeraude du Guerrier de l’Orage de le Forêt Maudite ?
Pour votre troisième disque (pas avant), sortez votre plus bel attirail, vous obtiendrez ainsi l’effet dit de « l’album de la maturité ». Cet « opus » (terme galvaudé mais très largement apprécié dans la niche progressive) est aussi le moment idéal pour dégainer un concept. Prudence, toutefois, car si son utilisation plaît en général beaucoup, il ne doit être ni trop fumeux ni trop simpliste. Inspirez-vous de préférence d’une œuvre littéraire reconnue, de science-fiction ou de fantasy par exemple, même pour adolescents, pourvu qu’il s’agisse d’un classique dans votre contrée d’origine. Ainsi, les amateurs pourront débattre à loisir des subtilités et obscurités qui entourent (ou pas) votre disque et se déchaîner en conjectures sur les forums spécialisés. […] Corollaire du concept-album, les thèmes récurrents, s’ils sont subtilement disposés et en nombre restreint, constituent une autre friandise dont raffolent les collectionneurs de prog. L’autocitation, bien qu’utilisée à outrance par les ténors du genre (en vertu du théorème des quatre étoiles et demi sur Progarchives) n’est pas souhaitable car souvent synonyme de manque flagrant d’inspiration. 

« Sympho mais pas trop
Tout d’abord, il s’agit de bien mesurer la quantité d’emphase nécessaire à votre œuvre. Denrée très appréciée par le fan-type, la grandiloquence, si on en abuse, peut rapidement devenir un élément de lassitude voire un sujet de moquerie (cf. chapitre 8 « GlassHammer et le secret de la licorne »). Il est donc impératif de l’utiliser parcimonieusement, en ouverture (éventuellement avec pluie, orage, arrangements orchestraux et tout le tremblement) et en clôture d’un disque, par exemple. Une introduction au piano et quelques cordes compléteront sobrement le dispositif. […] L’utilisation abusive de sonorités datées peut également s’avérer néfaste pour le bon équilibre de l’ensemble. On constate que les instruments à clavier les mieux tolérés par l’organisme fragile du progueux sont le Mellotron, l’orgue de type Hammond et le Moog. […] »

« Tous ego
Il est de bon aloi, pour garder toute l’attention de l’auditeur, d’user de ruptures fréquentes et/ou de plages aux couleurs très différentes : une pièce épique de hard prog à la Deep Purple s’enchaînera plus facilement sur un court instrumental que sur un titre fleuve à treize sections imbriquées. Quant aux passages instrumentaux, ils doivent impérativement permettre à chacun de s’exprimer : pas de mainmise quelle qu’elle soit, ni de la part des claviers (cf. chapitre 12 « Wakeman : t’es pas cape ! »), ni de la part des guitares (cf. chapitre 13 « Yngwie et le mystère du barbecue à six cordes »). En solo, le piano ou la guitare acoustique peuvent constituer de bons apports, sous forme de transitions par exemple, à condition de ne pas dépasser la limite de saturation des deux minutes. […] Le chant, qui reste l’éternel point faible de ce type d’albums, doit être parfaitement maîtrisé au risque de tirer rapidement vers le bas la qualité de l’ensemble. Si votre chanteur présente quelques problèmes d’assurance, limitez ses interventions en arguant du fait que la charge émotionnelle de ses textes nécessite qu’ils ne soient livrés à l’auditeur que parcimonieusement afin de laisser ce dernier seul face à leur subtil ésotérisme. […] »

« Le respect de ces quelques consignes essentielles est la garantie d’un album équilibré, capable de retenir l’attention de bout en bout et d’inciter à l’achat. Et si d’aventure vous n’avez pas confié votre visuel à un émule de Roger Dean, mais plutôt à un jeune qui n’en veut, on vous pardonnera la présence sur la pochette de centaures volants et d’yeux menaçants dans le ciel d’orage ; le tour sera pour ainsi dire joué, et vous pourrez prétendre aux quatre étoiles et demi sur Progarchives. »