Nik Bärtsch's Ronin

04/04/2013

Centre Culturel Suisse - Paris

Par Fanny Layani

Photos:

Marjorie Coulin

Site du groupe : www.nikbaertsch.com/ronin/‎

Le petit auditorium du Centre Culturel Suisse, niché au fond d’une cour exigüe du Marais, offre un écrin idéal pour le « zen funk » de Nik Bärtsch, en cette froide soirée de février. Mais ce n’est pas pour se tenir chaud que le public s’y entasse et s’y masse, y compris sur les marches des gradins : des habitués du lieu, curieux de cette musique qu’ils ne connaissent pas, aux spécialistes des « modules » du pianiste suisse, l’attente est palpable, et l’enthousiasme l’emporte sur la curiosité. Le moelleux des sièges – si rare dans l’ordinaire des spectateurs de jazz ou de rock plus habitués aux inconfortables chaises de bois des clubs ou aux fosses bondées de spectateurs toujours trop grands – invite à un laisser-aller doux et cotonneux, comme peut parfois l’être la musique de Nik Bärtsch.

L’incarnation de Ronin qui accompagne le pianiste, pour cette tournée célébrant la sortie d’un excellent double album live chez ECM, est composée de Thomy Jordi (basse), Kaspar Rast (batterie) et Sha (clarinette basse et saxophone alto). Le récent départ de Björn Mayer, bassiste historique du groupe, ne se fait pas véritablement sentir, et c’est un groupe déjà pleinement rôdé qui s’empare de la scène et de la salle, pour près de deux heures de folle et douce transe, dans une obscurité presque totale. Cette musique minimale et paradoxalement intimiste est le produit d’une collision à pleine vitesse entre des particules de Steve Reich et d’E.S.T., au beau milieu des tressautements d’un accélérateur sauvagement funk. Les corps se détendent dans les fauteuils, les têtes oscillent dans le noir, les yeux se ferment : plus rien n’existe que les sons, obsessionnels, aux agencements de plus en plus complexes, entre folle liberté de l’improvisation et écriture rythmique à la précision redoutable.

Nik Bärtsch dirige, du regard, d’un doigt levé en guise d’appel pour passer à la séquence suivante, parfois accompagné d’un cri bref. Et il joue. Dans le piano, sur le piano, avec le piano, autour du Rhodes : toute la palette sonore des deux claviers, des cordes, du bois et du métal de l’instrument est mise à contribution. La clarinette basse ou le saxophone alto parcourent tout le spectre, du brame profond au cri perçant, passant par le souffle sans timbre. L’anche, les tampons, les clés, font partie de la musique, participent pleinement du propos musical. La basse et la batterie, loin de se contenter du seul rôle d’ossature rythmique qui pourrait leur être dévolu, se jouent de toutes les nuances, de tous les timbres possibles, jusqu’au slap sauvage, enracinant fermement la musique ou la propulsant dans une course folle mais jamais incontrôlée. La polyrythmie est permanente, sans être un artifice d’écriture, produisant des effets de ralentissement ou d’accélération saisissants. Les cassures du climat, brutales, viennent interrompre la transe, pour mieux repartir, ailleurs, remonter vers d’autres sommets, entreprendre une nouvelle quête. D’un morceau à l’autre, sur un même principe de composition, les ambiances se font différentes, parfois électriques et abstraites, parfois plus lyriques et plus proches des canons du jazz lorsque de longs solos viennent se greffer aux modules. Point de longs crescendos dramatiques : la répétition des mêmes cellules ne cherche pas l’accumulation émotionnelles, installant au contraire une certaine forme de méditation, une sagesse ritualisée cherchant à apaiser l’esprit autant que l’âme.

Cette musique, que l’on pourrait croire froide, de tant de minimalisme et de complexité rythmique (parfois née de la simple la superposition de modules pouvant être extrêmement simples), chauffe à blanc un auditoire sous le charme, qui réclame deux rappels et n’aurait sans doute pas rechigné à un troisième si le samouraï en chef, jaloux de sa liberté de Ronin, n’avait décidé qu’il était temps de regagner le silence.