Marillion – Une affaire de famille

Retour en force des incontournables du rock progressif avec un album inspiré et intemporel, Sounds that can’t be made. Tout au long d’une carrière riche démarrée dans un petit port de pêche en Angleterre, Marillion a gravé son nom en lettres d’or. Le point avec Steve Rothery, guitariste historique de la bande qui se laisse aller, au détour de certaines questions, à une rétrospective émouvante.

Chromatique : Vous venez de sortir votre dix-septième album, qui est un peu un mélange de Marillion très classique, claviers vintage en tête, et de choses faisant écho à vos derniers albums. C’est une sorte de synthèse ?
Steve Rothery : :
Pour moi c’est effectivement le résultat de l’ensemble des choses que nous avons apprises, au fur et à mesure. Il y a toujours une approche classique dans le son Marillion et la manière de composer. Il y a aussi des choses plus modernes, apportées depuis l’album Anoraknophobia. Il y a enfin l’influence des producteurs et c’est la synthèse de tout cela qui donne l’esprit de l’album. En fait, chaque sortie est comme une réaction à la précédente. Donc là, c’est une réaction à l’album acoustique. Pour être honnête, il y a certains disques pour lesquels j’ai le sentiment que nous n’avons pas développé en profondeur les idées que nous avions au départ, peut-être par manque de temps. Ici, nous avons eu le temps d’ancrer l’ADN Marillion, il y a des chansons très épiques, d’autres très courtes. L’équilibre est le bon.

Une partie de l’album a été écrite en 2011 aux studios Real World. Comment s’est déroulée sa gestation ?
C’était un processus très long et lent. Nous sommes allés au Portugal en 2010, il était encore trop tôt pour écrire et nous avons donc décidé de prendre le temps plutôt que de nous imposer des contraintes fortes. Puis, nous avons été invités sur une tournée avec Deep Purple en Allemagne et cela nous a remis en selle. Nous avons enregistré pendant cinq jours aux studios Real World où l’atmosphère était très positive. Nous avons écrit et en même temps enregistré. Il y a une ambiance particulière et vraiment inspirante dans ces lieux. Les deux sessions de cinq jours ont compté comme six semaines d’enregistrement dans notre propre studio. Puis, on est retourné brièvement à notre studio mais on a dû repartir en tournée aux Etats-Unis. Du coup, j’ai enregistré pas mal de parties de guitare de mon côté, Mark a fait la même chose pour les claviers. On n’avait pas vraiment d’idée de la façon dont l’album allait sonner jusqu’à l’étape du mix. Et on était ravi même si l’accouchement a été difficile. On travaillait même sur nos portables en tournée !

Revenons au détail et notamment à ce morceau assez long, « Gaza ». Y a-t-il une raison particulière qui vous a décidés à vous attaquer au sujet épineux des conflits au Moyen Orient ?
Steve a essayé différentes approches pour les paroles. C’est vrai que c’est un peu politique. On avait quasiment fini tous les autres morceaux et on se disait que celui-ci allait peut-être devenir l’un des meilleurs de l’album et apporter quelque chose. En fait ce n’est pas un point de vue politique, mais plutôt humanitaire, rien que par le fait de raconter l’histoire à travers les yeux d’un enfant. L’erreur que nous avons commise est sans doute de l’appeler Gaza alors qu’à un moment, nous voulions le nommer « Both sides of the wire ». Cela a provoqué une réaction un peu disproportionnée. Un ami sur facebook a commencé à déclencher une polémique contre le titre et j’ai trouvé cela très triste. On voit comment un tel sujet peut provoquer de vives réactions et une politique de l’autruche. De la même façon, lorsque nous avons posté le titre sur YouTube, on a commencé à voir deux clans se dessiner, comme si le débat dans la vie réelle se créait à nouveau dans le microcosme du web. Il y a des choses apparemment dont il est difficile de parler mais cela n’empêche pas qu’il est important de le faire.

Les trois longs titres de l’album – fait finalement pas si habituel pour Marillion – c’était voulu ?
Nous n’avons pas réfléchi comme cela, je pense que c’est dû au fait que nous avons mis plus longtemps à le faire, tout simplement. Ce n’est pas conscient. Par exemple, « Montreal » a toujours été une ville importante pour nous, on y avait joué en 1994 et on en avait gardé un beau souvenir. Il y a un vrai contraste avec les Etats-Unis en termes de public, c’est évidemment plus européen. Les fans sont vraiment passionnés et c’était une manière de leur dire merci. Et on a pris le temps de le faire !

Parlons business : Marillion a décidé il y a quelques années de se passer du canal traditionnel des maisons de disques et de la distribution. Comment le groupe est-il aujourd’hui structuré de ce point de vue ?
Nous avons bien entendu une liberté artistique complète et financièrement, il faut dire que nous gagnons finalement autant qu’au milieu des années quatre vingts lorsque nous faisions des disques d’or et de platine et remplissions Bercy. Nous avons fait huit albums avec EMI, trois avec des labels indépendants et ensuite en 1999, nous avons fait ce qu’on appelle du crowdfunding, qui est finalement une méthode qu’utilisent beaucoup d’artistes aujourd’hui. Nous n’avions plus besoin de distribution, notamment par l’importance d’Internet, nous n’avions plus besoin de management non plus, nous pouvions booker nos propres tournées et nous avons fondé notre société d’édition. Internet, même si on en a dit beaucoup de mal, a été ce qui a sauvé le groupe. Nous avons créé une famille mondiale autour de Marillion avec des conventions. C’est incroyable de voir cela, trois cent mille personnes qui se retrouvent autour de nous.

Steve Howe quitte Asia, Journey se fait poursuivre en justice, Marillion est plutôt en forme finalement : comment expliques-tu une telle longévité ?
Un groupe peut avoir tout un tas de problèmes : une guerre des egos, une impasse créative etc. Nous avons pour notre part toujours eu une forte énergie créative, on écrira toujours plus de musique que ce que nous n’en utilisons au final. La plupart du temps, nous nous entendons très bien. On est une petite famille, on s’envoie bien sûr des choses à la tête comme c’est le cas entre des proches, mais il y a cette confiance et ce respect inébranlables. On peut dépasser tous les problèmes et on n’a pas envie de s’entre-tuer (rires) .

En plus, toi, tu es le personnage historique de cette formation. Trente-quatre ans ! Comment décrirais-tu l’histoire du groupe, avec tes mots ?
Tu as un peu de temps là ? (rires) Tout a commencé dans une petite ville de pêche du North Yorkshire. Quand je suis allé à l’université, j’ai cherché à faire quelque chose et le rock progressif était mon premier amour. J’ai auditionné pour un groupe et j’ai été retenu. J’ai vécu dans un petit cottage avec des chats, de la moisissure sur les murs, une ambiance très rock’n’roll ! Mon rêve a alors commencé, c’est toujours ce que j’ai voulu faire. Mon autre passion, c’est la photographie, j’ai passé un entretien à la National Film Archive et si j’avais eu ce job, peut-être que je me serais éloigné un peu de la musique. J’aime à penser que non, mais je ne le saurai jamais. Fish nous a rejoint en 1981, on a fait notre album en 1982 puis les disques se sont enchaînés. J’ai l’impression, quand je regarde les photos de l’époque, de voyager dans le temps, ça paraît si loin… L’industrie musicale a changé, le monde aussi mais notre concept à nous est resté le même.

Tu as aussi des projets personnels avec The Wishing Tree. Où en es-tu de ce côté là ?
J’ai failli démarrer un album avec Hannah mais elle termine un projet commun avec son mari donc ce n’est pas pour tout de suite. On remettra la machine en route un peu plus tard. Ce qui m’occupe en ce moment c’est un livre de photos que j’ai compilées depuis quinze ans et j’espère le finir d’ici la fin de l’année. Avec le groupe, nous allons faire une pause en avril. J’ai quelques expositions à droite à gauche, dont une à Paris où je reviendrai en mai ou en juin prochains. Je suis toujours dans la photo, c’est mon deuxième grand truc après la musique. J’ai fait récemment la musique d’un documentaire pour la chaîne PBS aux Etats-Unis, il a d’ailleurs été nommé pour trois Emmys. Et j’ai également fait des musiques pour l’Agence Spatiale Européenne, accompagnant les images d’une station spatiale et on pense peut-être en faire un DVD. J’ai aussi deux enfants donc finalement tout cela m’occupe bien !

Qu’est ce qui t’excite en ce moment musicalement ? La perspective d’un futur album de Roger Waters ou des jeunes pousses ?
Je n’ai jamais été un grand fan de Waters en solo pour être honnête. Par exemple, je n’adore pas The Final Cut qui est pour moi trop marqué par Roger Waters par rapport à un album comme Animals. Il a quand même écrit des choses fantastiques, bien sûr. En termes de musique, je suis un grand fan d’Elbow, Sigur Ros, de grands compositeurs comme Damien Rice. Il y a un projet ambient appelé Low Roar que j’aime beaucoup. Ma fille m’a aussi fait découvrir pas mal de musique récente mais je ne me souviens plus des noms (rires) .

Certains groupes classiques remasterisent leurs anciens albums. Qu’en penses-tu ?
On a fait l’exercice pour la nouvelle sortie de Radiation car on n’a jamais été très satisfait de la manière dont il sonnait. Le résultat est vraiment super. A l’époque on l’avait mixé sur une des premières consoles digitales Mackie et on n’avait pas trouvé le bon son, la bonne ambiance. Il y a toujours cette option mais uniquement pour moi dans le cas où l’on est vraiment déçu de la production et que cela continue de nous tracasser. C’était le cas avec celui-ci.

Le rock progressif en tant qu’étiquette cela a encore du sens aujourd’hui ?
Evidemment, il faut toujours se méfier des étiquettes. Faire du rock progressif, cela peut être le plus beau des compliments et la pire des insultes en fait. Le vrai sens du rock progressif est un rock qui se veut aventureux, qui sort des sentiers battus. Un peu comme tu décrivais Chromatique au début de notre entretien. La musique qui ne se contente pas d’un format, d’une durée et qui se permet de mélanger différentes influences, parfois sur le même morceau. C’est cela pour moi la définition du rock progressif. Cela n’a rien à voir avec des mellotrons, des mini-moogs, des pédales de basse, faire du 7/8. C’est un état d’esprit, pas vraiment un style musical selon moi.

Si tu avais à décrire en quelques mots seulement Sounds that can’t be made à nos lecteurs, que leur dirais tu ?
C’est un album important pour nous. Tous les morceaux sont disponibles sur YouTube donc il est facile de se faire une idée. Les vieux fans qui se sont un peu éloignés peuvent y revenir. Je ne pense pas que les gens soient déçus. Ecoutez, tout simplement !