Jolly – Bonheur, mode d’emploi

Ce serait peu dire que Jolly n’est plus à un paradoxe près. Alors qu’ils ont pris de plein fouet la rage de l’ouragan Sandy, les New Yorkais sortent ces jours-ci le très attendu second volet de leur dyptique The Audio Guide To Happiness. Vu le succès généré par par le premier épisode, nous attendions de pied ferme la suite des aventures d’Anadale et sa bande. Pour le coup, c’est un Louis Abramson – visiblement encore très marqué par la catastrophe naturelle qui l’a touché – que nous avons soumis à un interrogatoire en règle concernant ce qui pourrait très bien devenir l’un des disques incontournables de 2013.

Chromatique : Suite aux dommages causés par l’ouragan Sandy, avez-vous pu récupérer ou réinvestir dans une partie de votre équipement pour la tournée à venir ?
Louis Abramson
: Je n’ai qu’une chose à dire : Merci à Indiegogo et à tous ceux qui ont entendu et répondu à notre appel aux dons. Ma maison n’est plus, une partie de moi s’est volatilisée au moment du passage de l’ouragan. Ça a failli sérieusement compromettre la sortie de The Audio Guide To Happiness Part II. Nous avons lancé la campagne Indiegogo dans une situation d’urgence. Ce n’était vraiment pas de gaieté de cœur et pour être franc, nous ne savions pas à quoi nous attendre de la part des fans et des gens qui nous suivent. La réponse a été au-delà de nos attentes. C’était magique, ma voix en tremble encore. Nous avons du nouveau matériel mais on a besoin de faire un inventaire car il manque encore des éléments pour la tournée. On va avoir besoin de rentrer dans nos frais à tel point qu’on va devoir louer une tête d’ampli et un baffle pour la tournée. On réfléchit encore à une bonne gestion de ces fonds. Aujourd’hui la priorité est d’être sûr de pouvoir sortir l’album, répéter avec un bon équipement et tenir nos engagements vis-à-vis de cette tournée. Après, nous nous pencherons sur l’équipement de studio parce que Jolly a besoin d‘enregistrer et de créer.

Difficile de rester insensible quand on voit la vidéo qui a suivi l’ouragan…
C’est sûr… pour te donner une idée, je vis encore chez Joe (Reilly, claviers) avec ma fiancée. Ma famille et mon entourage sont encore en état de choc après ce drame. Quand on a lancé la campagne Indiegogo, c’était forcément à contre-cœur mais sincèrement, les réponses, y compris venues de France car nous avons eu des donateurs de votre pays, données à ce projet constituent la plus belle marque d’amour, d’affection et de soutien qu’il m’ait été donné de voir à ce jour. Et je parle pour l’ensemble du groupe. Non seulement cela montre que les fans sont vraiment là et de plus, cela nous permet de partir en tournée, sortir notre album et a posteriori, on va pouvoir aussi reconstruire un studio. Je travaille d’ailleurs sur son agencement à l’heure actuelle. C’est la fin d’un chapitre de l’histoire de Jolly qui s’écrit ici avec ce désastre et la sortie de The Audio Guide To Happiness Part 2. Et c’est également une nouvelle ère qui commence. Cet album on vous le doit. Il n’existerait pas sans vous. En fait, Jolly vous doit tout.

Parlons maintenant de votre nouvel album. Comment l’idée d’un tel concept vous est-elle venue ?
Il faut revenir deux ans en arrière, date à laquelle est sortie le premier volet. Nous n’avons pas réellement dérogé à notre règle : Jolly nous permet d’exprimer tout ce que nous ressentons. On ne cherche pas particulièrement à faire passer de message politique ou autre. Nous avons essentiellement privilégié l’aspect émotionnel. A partir de là, ça a pris des chemins… comment dirais-je ? quelque peu inhabituels et peu conventionnels mais qui, selon moi, n’en demeurent pas moins intéressants.

Votre noyau de fans semble très consistant. Chacun de vos mouvements sur les réseaux sociaux est suivi de très près… Vous venez de poster la vidéo de votre single « Dust Nation Bleak » qui semble assez symbolique car tournée sur les ruines de ton domicile…
Je suis assez mal placé pour en parler. La seule fan page que je suis de manière assidue, c’est celle de Jolly. Après, ce n’est pas un cas exceptionnel, chaque post génère un retour immédiat, c’est le cas pour tous les groupes. Nous mettons à jour cette page régulièrement car c’est notre moyen privilégié de communiquer avec les fans. Pour ce qui est de la vidéo, tu as raison la symbolique est plus forte et c’est le cas pour tout l’album. Nous avons accouché de ce disque dans la douleur. Je traversais la pire période de ma vie, essayant à la fois de me reconstruire et de rassembler ma famille et j’avais également en tête le fait que nous avions des échéances à respecter concernant les mixes, la livraison au label etc., … Quand nous avons tenu le disque entre nos mains, tu n’as pas idée du soulagement que ça a été. Quand l’ouragan est arrivé, j’ai pris mon ordinateur en me disant : « Yes ! je l’ai ! ». C’est peut-être peu de choses pour certains, mais pour moi, c’était une victoire en soi. Concernant la campagne Indiegogo, le retour fait par les fans nous a montré à quel point nous comptions pour eux. Cette vidéo leur rend un peu hommage ainsi qu’à Jolly parce que ce sont sur ces ruines qu’est né le groupe. C’est également un clin d’œil à mon arrière grand-père qui avait acheté cette maison dans les années quarante. On peut donc parler d’une réelle symbolique derrière cette vidéo.

D’après ce que tu dis, vous avez accouché de ce disque dans la difficulté et la sueur, J’imagine que maintenant que l’album est fini, vous devez être extrêmement soulagés.
En effet. Il faut savoir que ce sont deux années d’intense travail qui viennent d’aboutir sous la forme de The Audio Guide To Happiness Part 2. Le premier volet a fait son trou dans l’esprit des fans et on a continué à maintenir la curiosité tout ce temps. Aujourd’hui le deuxième volet est sur le point de sortir, et ceux qui nous suivent sont impatients de mettre la main dessus. Et ça, je m’en réjouis. Il y a encore beaucoup à faire, je suis très excité et impatient d’avoir l’avis des fans. Je sais que certains seront enthousiastes et d’autres un peu perdus voire confus. C’est donc un mélange à la fois de soulagement, de curiosité et d’anxiété. Maintenant qu’on en a fini avec ce disque et que l’ouragan est derrière nous, nous regardons devant, même si notre avenir est fait d’un point d’interrogation.

Peux-tu nous décrire un peu une séance de composition au sein de Jolly ?
C’est un véritable travail commun. Nous sommes tous auteurs et compositeurs au sein du groupe. Les idées peuvent venir de n’importe lequel d’entre nous, on jamme ensemble et quelque chose d’intéressant en ressort. Ce qui est amusant, c’est que dans quatre-vingt dix-neuf pour cents des cas, on ne se rappelle plus de qui vient le riff ou la mélodie ! C’est déjà arrivé qu’Anadale (chant) nous demande : « Qui chante sur cette démo ? Toi ou moi ?  » (Rires). Chacun apporte son style et sa touche

Quand Sandy vous a frappés, avez-vous songé à la fin de Jolly, ou au contraire cette épreuve vous a-t-elle davantage soudés en tant que groupe ?
Quand tu vis un événement de ce genre, tu ne peux que te rapprocher davantage de tes coreligionnaires. Quand l’ouragan faisait son œuvre (sic), j’étais dans notre studio alors que notre album n’était pas fini. J’ai appelé les gars pour leur dire : «  Bon les mecs, au moment où je vous parle, notre studio est inondé mais j’ai l’album, c’est l’essentiel. » Tout le monde était soulagé, Dieu merci ! C’était presqu’une question de survie. Le jour d’Halloween, tout le monde m’a aidé à évacuer l’eau et dégager quelques décombres du local et immédiatement, nous avons tourné la vidéo de « Dust Nation Bleak ».

Maintenant que le dyptique est complet pourriez-vous envisager de faire un film que vous diffuseriez lors de vos concerts ?
On a ça en tête depuis un moment, ca s’appellerait, The Visual Guide To Happiness. Peut-être qu’un jour on fera une vidéo interactive. Pour moi la musique a beau être un ensemble de sons, elle n’en demeure pas moins visuelle avec un mélange de formes et de couleurs. C’est intéressant que tu mentionnes l’idée, et je suis surpris de voir que d’autres personnes ont une approche similaire.

Paris vous attend de pied ferme, sachant que vous ouvrirez pour Riverside lors de votre prochaine tournée. Cette affiche a de quoi surprendre, quand même. Quelle serait votre position dans le paysage progressif international ? Vous sentez-vous plus proches de Riverside ou de formations plus heavy comme Meshuggah ou encore Periphery ?
Difficile de répondre. Jolly cherche à faire son propre truc. Après, il y aura toujours des gens pour faire des rapprochements avec des formations telles que Meshuggah, Periphery ou Faith No More. On essaie de rester progressifs, avec comme but la recherche d’une identité propre. On ne sait même pas de quoi sera fait notre prochain album !

En parlant de ça, justement, avez-vous déjà des idées pour votre prochain disque ?
Quelques unes, que l’on commence à peine à façonner, mais ça reste encore à l’état embryonnaire.

Ce nouveau matériel pourrait-il être inspiré par les dommages causés par Sandy ?
Je pense que c’est trop tôt pour le dire. Nous sommes encore tous traumatisés par cette catastrophe. Selon moi, cela se ressentira quand nous serons assis en studio pour composer. Mais, pour être franc, je pense que cette période de notre vie aura un impact important sur l’écriture.

Quel sentiment avez-vous au sujet de votre dernier concert à Paris où le public n’était clairement pas au rendez vous ? N’appréhendez-vous pas votre date au Divan du Monde ?
Je m’en rappelle, effectivement, c’était le premier concert de la tournée. Et, ironie du sort, malgré notre jeunesse nous étions en tête d’affiche. Avec le recul, je pense que cette tournée n’était pas l’idée la plus géniale que nous ayons eue. Nous avons des fans certes, mais pas au point de planifier une tournée européenne. On a perdu beaucoup d’argent mais on voulait tourner pour Audio Guide Part I. D’un autre côté, il n’y a pas que du négatif. On garde de très bons souvenirs, de belles rencontres avec des gens totalement dévoués à Jolly, notamment à Paris, où nous avons rencontré une fan qui a fait le déplacement de Norvège pour venir nous voir. Donc, même si financièrement, nous nous sommes tirés une balle dans le pied, c’était une expérience magnifique sur le plan humain. J’ai hâte de venir à Paris. Cette fois-ci nous venons ouvrir pour Riverside et j’espère que nous aurons l’opportunité de gagner d’autres fans lors de nos concerts.

Comptez-vous planifier, à l’avenir, une tournée Audio Guide to Happiness et jouer d’une traite les deux albums ?
Pour cette tournée, ça va être très difficile de jouer les deux disques. Nous n’aurons que quarante-cinq minutes. Pour l’avenir, j’adorerais !

Le mot de la fin te revient de droit …
Notre campagne de collecte Indiegogo est toujours ouverte au public. Encore une fois, nous devons tout aux fans. Ce disque, c’est d’abord le notre, mais c’est aussi le leur et sans eux il n’aurait jamais vu le jour. Alors encore merci et rendez-vous à Paris.

Interview réalisée en collaboration avec Maxime Delorme