SleepMakesWaves

06/05/2012

Hall des Chars - Strasbourg

Par Jean-Philippe Haas

Photos: Jean Isenmann

Site du groupe : www.sleepmakeswaves.com

Le seul point commun entre le Prog In Alsace qui s’est tenu le 18 novembre dernier à Strasbourg au Molodoï et le festival organisé par le collectif Kim (membre de la fédération Hiero) à quelques pas de là, c’est sans doute la volonté pour leurs organisateurs respectifs de promouvoir les musiques dites « progressives ». Mais là où le premier fait la part belle au courant « classique » du prog’, le second met sur le devant de la scène des groupes qui évoluent aux frontières du genre. La salle des colonnes (qui porte bien son nom) du Hall des Chars est un espace ouvert, sorte d’immense couloir piqué, comme son nom l’indique, de piliers, où l’on ne s’attend pas forcément à assister à un concert. Ce lieu atypique s’est pourtant avéré être assez approprié pour accueillir quatre formations aussi différentes les unes que les autres, mais malgré tout réunies sous une même bannière, celle d’une musique ambitieuse, à contre-courant, née du rock.

Les locaux de 100% Chevalier ouvrent le bal. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ont été traumatisés par le Mirrored de Battles. Muni d’un math rock tourbillonnant, le trio assène des titres hypnotiques, rigoureusement exécutés à défaut de transgresser les codes du genre. Soutenus par une poignée d’ultras, les Strasbourgeois ne ménagent pas leurs efforts pour conquérir un public qui en majorité ne semble pas venu pour eux. Enthousiaste et remuant, le bassiste Samuel Siebert joue aussi le rôle de chauffeur de salle. Quelques digressions funk, disco, voire drum&bass viennent agréablement s’insérer dans des compositions parfois emprisonnées dans leur genre ou qui, à l’évidence, sont encore « en travaux ». Le son parfois imprécis ne réussira pas à gâcher le set de 100% Chevalier, copieusement applaudi par un public positivement surpris par la performance.

La prise de risque monte de plusieurs crans avec Atomic Paracelze, qui donne dans un rock expérimental sans guitare dominé par la voix et les bidouillages électroniques d’Antoine Läng, et par le violon de Jamasp Jhabvala. Les Suisses ont eux aussi subi un traumatisme musical, vraisemblablement provoqué par Mr Bungle et Fantômas. Les titres à géométrie variable dévoilent des surprises à chaque instant et le show aurait fort bien pu être le moment fort de la soirée. Malheureusement, dans ce domaine, l’approximation n’est pas tolérée. Et si la prestation est plutôt convaincante, le rendu sonore ne suit pas, peut-être à cause d’une balance réalisée trop hâtivement. Le Fender Rhodes est tantôt inaudible, tantôt écrasant, et le chant à la Patton (toutes proportions gardées) la plupart du temps complètement noyé sous les autres instruments. C’est fort dommage, car le potentiel du groupe est assez vaste, comme en témoigne leur disque éponyme.

Avec Sleepmakeswaves, on passe immédiatement dans une catégorie supérieure. En effet, bien que la musique des Australiens soit plus « simple » que celle de ses prédécesseurs, il est évident qu’ils maîtrisent bien mieux leur show, du point de vue du son en particulier. Bardés d’improbables pédales d’effets et d’un ordinateur, les quatre associés délivrent un post-rock instrumental et métallique, dénué de toute expérimentation oiseuse, et servi par un impressionnant mur de guitares. Les montées en puissance savamment dosées emportent tout sur leur passage. Loin des clichés d’un genre à l’étroit dans sa définition, les compositions vont droit au but et se marient à merveille avec l’éclairage orangé minimaliste qui jusque là n’avait pas vraiment démontré son intérêt. Les musiciens sont totalement immergés dans leur concept et si les « chorégraphies » se limitent à leurs sphères individuelles, il ne fait aucun doute que l’esprit de groupe est bien présent, illustré par une indiscutable cohésion des titres. Et tandis que le batteur sue à grande eau, envoyant des salves salées tout autour de lui, le bassiste effectue de grandes enjambées autant qu’il lui est humainement possible d’en faire dans l’espace réduit de la scène. Intense et immersif bien que trop court, le show aura sans doute convaincu les spectateurs venus en curieux de se pencher sur ..and so we destroyed everything, le très réussi premier album de Sleepmakeswaves.

Après pareille déferlante, on s’attend à voir la soirée finir en apothéose. L’interminable installation du matériel de Drum Eyes aura malheureusement raison, en cette heure tardive, de notre patience. Il nous faudra attendre qu’une autre occasion se présente pour entendre sur scène l’avant rock imprévisible des Anglais où se mêlent violence, boucles électroniques et scénographie chaotique, de ce que l’on a pu constater sur les vidéos de concert du groupe.

L’initiative courageuse du Collectif Kim mérite d’être saluée. Il est rassurant de constater qu’il existe encore, en dehors des circuits parisiens, des possibilités d’organiser des rencontres musicales aussi improbables que celle-ci. Il s’agit maintenant au public averti de se mobiliser pour assurer la pérennité de celles-ci.