Laurent James (Lord of Mushrooms) – La nouvelle saveur du champignon

Après sept années d’absence, Lord of Mushrooms fait aujourd’hui un retour des plus remarqués. Leur troisième album, le savoureux Perspectives, marque à la fois un tournant stylistique et un remaniement en profondeur du line-up. Laurent James, membre fondateur et guitariste du groupe, nous en explique les raisons.

Chromatique : L’histoire de Lord of Mushrooms, c’est un peu Santa Barbara version metal prog. Peux-tu faire une mise à jour pour les retardataires qui auraient loupé quelques épisodes ?
Laurent James
: (rires) Santa Barbara, oui, c’est plutôt vrai. Pour refaire un peu l’historique, nous avons commencé avec Julien (Ndlr : Negro, basse) au siècle dernier, en 1999, et à l’époque nous voulions jouer des reprises de rock progressif, metal, rock, du moment que ce n’était pas trop courant dans les pubs (du Faith No more, du Queen…). On s’éclatait bien comme cela, et en 2002 nous avons créé notre premier album qui se nomme Lord of Mushrooms. C’était totalement auto-produit, distribué chez Musea. En le réécoutant je me dis que nous aurions dû faire un mastering. On nous avait dit alors : « c’est génial, on le prend comme ça », comme cela arrive souvent, mais ce n’est pas bien grave. En le réécoutant maintenant, on sent que c’est du fait maison, les guitares en mono, etc.

Tu aurais envie de le réenregistrer?
Non, parce qu’il faudrait que je le réapprenne intégralement (rires). Et un album, une fois qu’il est sorti, il fait sa vie, il ne t’appartient plus. Bref, après, nous avons fait quelques concerts et festivals, puis, en 2005 une deuxième sortie, cette fois chez Lion Music, avec une très bonne prod’. Ensuite nous sommes partis en Chine, une excellente expérience, pour le Midi Music Festival à Pekin.

Vous étiez invités?
J’étais tombé sur un reportage qui parlait de la scène rock chinoise, et je me suis dit qu’on pouvait tenter le coup. En France on nous a un peu traités de malades, mais notre musique a plu à l’organisateur (directeur d’une des premières écoles de musique rock là-bas). Nous y sommes donc allés et avons joué devant plus de monde que dans toute notre vie : quinze mille personnes. Le public chinois est super réceptif car il a découvert quarante ou cinquante ans de rock en quinze ans, n’a donc aucun à priori et prend tout, du moment que ça fait du bien. D’ailleurs ils commencent à avoir de très bons groupes et d’ici peu on va se faire avoir, ils vont tous débarquer et on l’aura bien mérité (rires).
En 2006, il y a eu une sorte de clash, les anciens membres ont voulu faire un autre style de musique. Je m’y suis essayé deux ou trois mois, car quand tu construis un groupe et que tu trouves les bons éléments, tu tentes forcément le coup. Mais c’était trop différent pour moi, je ne m’y retrouvais pas. J’ai donc continué tout seul, et j’ai pu rappeler Julien qui à l’époque ne jouait plus avec nous – c’est là qu’on verse dans le Santa Barbara si on rentre dans les détails (rires) -. On ne trouvait plus vraiment de musiciens français, on est donc allé chercher deux Italiens, Luca Mariotti (claviers) et Marco Talevi (batterie). J’ai vécu en Italie étant petit, n’ai aucun souci de barrière de la langue. En ce qui concerne le chanteur, nous en avions au départ un sur Nimes qui assurait l’interim, un gars vraiment adorable mais absolument pas porté sur le progressif. Lui même ne se sentait pas vraiment à sa place, il lui manquait le « truc » du chanteur metal. C’est un excellent musicien de pub, il a un très bon groupe de rock qui se nomme XY, mais on commençait à lui en demander beaucoup, il a donc fallu partir à la recherche d’un remplaçant.

Et vous êtes tombés sur Gus…
Oui, c’était en 2009, il habitait à Montpellier à ce moment là, le courant est bien passé.

Cela ne s’est pas fait après l’écoute d’un bout de mp3, vous vous êtes rapidement rencontrés ?
On lui a quand même envoyé le deuxième album, auquel il a de suite accroché. Lors de l’enregistrement on lui en a bien fait baver, en le poussant un peu dans ses retranchements, à lui faire faire des choses dont il ne s’imaginait pas capable. Sur le coup, il a un peu stressé, mais quand tu l’entends parler de l’album, il trouve que c’est le meilleur qu’il ait pu faire.

Il est vraiment méconnaissable, dans des registres différents d’Adagio ou Revolution Renaissance.
Je pense qu’il a toujours eu envie de faire quelque chose de différent, et qu’il était un peu blasé d’être toujours connoté metal à voix « haut perchées ». Luca et moi ne sommes absolument pas dans ce registre-là, nous faisons tout pour aller à l’opposé de ces stéréotypes du metal prog qui commencent un peu à tourner en rond. On lui a donné quelques pistes comme Mike Patton ou Daniel Gildenlöw, des choses qu’il n’avait finalement jamais explorées. Et après coup, il est réellement très fier du résultat.

Vous avez la possibilité d’avoir une véritable vie de groupe, de vous voir régulièrement ?
Oui, il n’y a que Gus qui est au Brésil en ce moment, j’espère qu’il reviendra bientôt car il faut qu’on discute un peu (prenant le micro) « Gus si tu m’entends, reviens » (rires)

Outre le résultat qui parle de lui même, es-tu satisfait de ta collaboration avec Richard Chycki au mix ?
On aimait beaucoup Richard Chycki qui avait travaillé avec James Labrie et Marco Sfogli. C’est également le producteur de Rush, groupe qu’on a toujours adoré ; c’est pourquoi on s’est dit : « On va chez Richard » (rires)

Et vous y êtes réellement allés, chez Richard?
Oui, dans son studio. On aurait pu faire cela à distance, mais je préfèrais, pour cet album qui fourmille de détails, être présent sur place plutôt que de lui demander de refaire le boulot X fois. Cela permet aussi d’observer les méthodes de travail outre-atlantique.

En terme d’enregistrement, tout s’est fait chez toi, en studio?
Pour la batterie c’était un peu trop compliqué donc on ne l’a pas fait chez moi, mais dans un studio de la ville de nos amis italiens. Un de leur pote possède un petit local d’enregistrement très efficace, bourré de micros, parfait pour la batterie. Le reste a été enregistré chez moi. Les guitares ont été faites en reamping (technique qui permet de capter un son clair et le réinjecter dans plusieurs amplis) au studio, parce que je ne suis pas un expert en son. Moi, tu me branches et je joue ! Donc entre ça et le boulot de Richard Chycki, le temps passe, on arrive en 2012 et c’est bientôt la fin du monde. Au pire le 21 décembre on jouera, mourir sur scène ça ne serait pas si mal (rires).

On observe un réel fossé entre les deux derniers albums, au point que l’on a l’impression de ne pas entendre le même groupe. Outre le changement de line-up, comment expliques-tu cela ?
Je trouve qu’il y a toujours un peu le goût du Mushroom dans le dernier, mais nous avons peut-être essayé d’être un peu plus concis. Le deuxième partait encore un peu dans tous les sens, notamment les instrumentaux qui s’aventuraient parfois dans des trips jazz fusion bizarroïdes. Cette fois on a essayé d’avoir une ligne directrice un peu plus « efficace », de ne pas perdre l’auditeur. Le son a également beaucoup changé, on a dégagé celui des synthés un peu années quatre-vingt/quatre-vingt-dix que tous les groupes utilisent encore et qui commencent à me gaver. On a préféré prendre un vrai son de piano en pensant que l’album vieillirait peut-être un peu moins vite. De même, pour les cordes, on a fait venir un ami de l’orchestre de Nice pour enregistrer les parties et ça change tout, ça rafraichit un peu l’ensemble et efface cette couleur années quatre-vingt.

Tu trouveras cela peut-être un peu caricatural, mais j’ai l’impression que l’album précédent penchait du côté de Dream Theater, alors que celui-ci possède une dominante plus moderne, typée Pain of Salvation ou Leprous. Tes influences ont-elles changé, tout simplement?
Cela fait longtemps que je n’écoute plus du tout ce groupe, je me suis passé à des choses qui n’ont rien à voir avec le prog, par exemple Mike Patton ou Mister Bungle qui ont un aspect loufoque et créatif qui me parle.

Es-tu le seul membre impliqué dans le processus créatif ? Qu’ont pu t’apporter les autres ?
Avec Luca le claviériste, on a énormément bossé sur cet album, les compos ainsi que le son. De son côté, Julien le bassiste a écrit l’ensemble du concept et les paroles, j’en suis incapable, il me faudrait au moins six mois pour écrire une ligne, et encore… Marco en général apporte sa patte, même si généralement quand tu lui proposes un truc, il te le joue directement au millimètre près, c’est pratique (rires). Au final, mieux vaut un bon duo qui fonctionne que cinq personnes qui participent aux compos, ce qui ralentit forcément le processus.

Luca Mariotti donne une couleur assez particulière à l’ensemble. A la fois par l’utilisation du son naturel du piano, mais également car il assure quelques parties de clarinette, instrument peu courant dans le genre.
En fin de compte c’est son premier instrument car il en a joué un bon nombre d’années au sein d’orchestres classiques. Mais il a toujours eu une double carte, le prog metal/rock d’un côté, le classique de l’autre… Et là il vient de se mettre au jazz manouche ! Sans lui je n’aurais jamais pensé mettre une clarinette dans l’album. On a toujours essayé de faire en sorte de mélanger le son de la clarinette à d’autres instruments pour créer des textures un peu particulières, et j’aime bien travailler ce genre de chose. La plupart des groupes de prog metal actuels ne s’occupent que rarement des sons, et se concentrent plutôt sur la complexité. Je me suis dit que si les autres le font déjà très bien, autant partir dans une autre direction.

Doit-on voir en « Nyx’s Robe » un clin d’oeil moderne à « Smoke on the water »?
On n’y a pas forcément pensé au départ. Sur le moment on cherchait simplement un riff en quartes, sans arrière pensées. Mais au final c’est vrai que c’est une sorte de « Smoke on the Water » sous acides (rires). Et d’ailleurs dans ce morceau, il y a un autre passage assez sympa à citer car on a réellement voulu y injecter les influences les plus extrêmes. Luca et moi sommes issus de la musique classique et en tant que fans de Maurice Ravel, on s’est dit qu’en insérant dans le refrain une sorte d’arpège à la Ravel sur une rythmique à la Meshuggah cela donnerait un écart réellement extrême. C’est le genre de petit détail qui me plait beaucoup. Il y a également une voix death cachée, c’est Julien qui nous l’a faite, et plein de petits détails à découvrir au stéthoscope. Il devait initialement y avoir un morceau caché avant la première piste mais il n’est pas sorti au pressage. On peut en entendre un bout sur le teaser de l’album qu’on a diffusé sur le net. C’étaient des soundscapes un peu malsains pour que le gars qui revient en arrière avant le premier morceau se dise « Punaise, j’aurais pas dû » (rires), un peu à la « The ring ».

Un nouveau line-up, un chanteur à la carrure internationale, un grand nom au mix, une identité visuelle forte… On a réellement l’impression que tout a été pensé dans le but de faire entrer Lord of Mushrooms dans la cour des grands. Y avait-il une réelle volonté de frapper très fort pour ce retour, une envie d’aller à l’international, de tenter le tout pour le tout?
De toute manière, si tu fais du prog en restant en France, c’est mort. En jouant ce style de musique tu vas obligatoirement à l’international, ne serait-ce que pour capter un public suffisamment large. On a simplement essayé de mettre tout ce que l’on pouvait pour essayer de promouvoir la musique que l’on aime, mais on n’a jamais cherché à faire quelque chose qui plaise au public. Le but était avant tout de faire une musique qui nous plaise à nous, d’y mettre ce que l’on aimerait entendre dans les groupes actuels. On a tenté de s’affranchir de l’aspect ultra complexe pour rendre l’album le plus digeste possible. Lorsque le disque s’arrête, tu n’as pas l’impression de t’être fait écraser par un dix-huit tonnes.

Votre groupe semble plutot atypique au sein de l’écurie Lion Music (qui produit beaucoup de guitaristes instrumentaux notamment). Comment vous êtes-vous retrouvé chez eux, et penses-tu que ce label soit parfaitement adapté au groupe ?
Lion Music se débrouille vraiment très bien, ce sont des types très sympas et très réglos, ce qui est plutôt rare dans le milieu. Ce sont des Scandinaves, ceci explique peut être cela. Vu la crise du secteur, même chez Inside Out, je pense qu’il n’y a plus autant de facilités qu’avant. Tous les groupes sont amenés à devoir participer plus activement à la promo. Comment les a t-on connus ? Lors du mixage du deuxième album, nous étions chez Didier Chesneau de Headline et il leur a tout simplement envoyé l’album. Je pense que c’est clairement grâce à lui. Quand tu leur envoies ton travail en tant que simple musicien, tu es rapidement noyé sous la masse. Là dessus Didier a été vraiment génial.

Quelle sera la suite pour Lord of Mushrooms? Devra t-on attendre sept ans pour le prochain album ?
Je ne pense pas que les membres actuels veuillent faire un autre style de musique donc ça devrait être plus simple qu’auparavant (rires).

Pour toi le style est-il clairement redéfini, ou te laisses-tu toutes les ouvertures possibles ?
Je ne sais pas, je ne me suis pas encore réellement penché sur ce que la suite pourrait donner, j’ai bien deux ou trois choses sous la main, mais on préfère réellement se concentrer sur la sortie du disque pour le moment. C’est vrai que l’on pourrait encore évoluer un petit peu, mais je pense qu’on est déjà parti sur une musique bien personnelle dont je suis satisfait.

Pensez-vous à une tournée?
C’est plutôt vague pour le moment mais on commence à y réfléchir pour envisager la meilleure solution, de nos jours c’est loin d’être facile. Il faudrait probablement faire un tour support, partir avec un groupe, car là au moins tu as des dates assurées et puis tu fais un peu ta pub. C’est sûr, les gens ne viennent pas pour toi, mais vu l’impact qu’a l’album et qu’il plaît à un panel assez large, ça devrait fonctionner. Encore faudra-t-il choisir le bon groupe… Cela reste une meilleure solution que de construire une tournée tout seul ou de partir avec un petit groupe, ce qui est beaucoup plus risqué.

Et pour conclure, quel est le dernier groupe à t’avoir mis une claque? Et je t’interdis de dire Faith no More !!
C’est dommage (rires). Après réflexion, il y a un groupe qui n’est pas mal, c’est Luca qui me l’a fait découvrir : the Aristocrats. Je ne connaissais pas vraiment le guitariste, Guthrie Govan, mais il a ce truc un peu fou dans la façon de jouer qui me plaît beaucoup. Il ne fait pas que de la technique, comme disait mon prof, « faut pas mélanger sport et musique » (rires). Il a une très belle musicalité, créativité. Le genre de type qui au delà d’avoir simplement des doigts, possède un esprit et de l’imagination.

Passage obligé, le mot de la fin ?
Les amateurs de prog, qu’il soit rock ou metal, doivent goûter au champignon défendu. Celui-là n’est ni mauvais pour la santé, ni pour les neurones. Cela pourrait même être une bonne première approche pour des gens étrangers à ce style. Je souhaite longue vie à cet album !