Camembert – Camembert éclectique

Origine : France
Style : jazz fusion funk
Formé en : 2005
Composition : Guillaume Gravelin (harpe), Fabrice Toussaint (trombone, vibraphone, xylophone et percussions), Philémon Walter (batterie), Pierre Wawzryniak (guitares basse et acoustique), Bertrand Eber (trompette, didjeridoo, bugle et percussions ).
Dernier album : Schnörgl Attahk (2011)

En 2009, ces Alsaciens sortis de (presque) nulle part avaient sérieusement attiré l’attention, notamment celle du label AltRock, avec leur premier EP Clacosmique. Le disque sortait déjà des sentiers battus et rebattus du prog à la française grâce à une formation atypique avec une harpe, une énergie hors du commun et un héritage musical aux tendances multiples, assumé et transcendé. A l’heure de la sortie de Schnörgl Attahk, le prolixe bassiste Pierre Wawzryniak, sympathique vip du groupe et des musiques progressives en général, a accepté d’être mis sous le feu des projecteurs chromatiques.

Chromatique : Présentez-nous un peu le groupe, ses origines, la genèse et l’affinage de votre étonnant fromage. Comment tous ces instruments pas forcément du même monde ont-ils été amenés à jouer sous la même bannière ?
Pierre Wawzryniak (basse, guitare acoustique)
: Le groupe est né il y a cinq ans sous une impulsion triple : Vincent (Sexauer, ex-guitariste), Philémon (Walter, batterie) et moi nous rencontrons et passons des nuits à parler du prog en général et du jazz rock. A l’époque, notre niveau technique est extrêmement faible mais on se met à bosser assidument en rêvant de Zappa, Crimson, Return To Forever et autres Gentle Giant. Dans un premier temps, on a testé des musiciens divers et variés, cuivres et autres, mais aucun ne convenait à nos exigences. Soit on nous regardait comme des fous furieux qui s’obstinaient à jouer une musique complexe, soit on tombait sur de super techniciens qui nous jugeaient uniquement sur nos capacités à faire des octuples croches sans broncher… Période pas évidente qui nous a soudés profondément…
Puis nous rencontrons Harpus, alias Guillaume (Gravelin, harpe), qui, comme son nom l’indique, tient la harpe dans le band. Son arrivée nous a fait énormément progresser et a apporté une véritable patte sonore au groupe. Puis Bertrand Eber nous a rejoints avec sa trompette jazzy et sa patience implacable. Le bouquet final de la formation fut l’adjonction de Fab alias Fabrice Toussaint, fou furieux multi-instrumentiste (xylophone, vibraphone, trombone, basse, percussions ethniques), qui a été un véritable guide pour la réalisation de notre musique. Ce type a une science des arrangements dans tous les domaines (reggae, jazz, funk, classique), ce qui est une véritable force pour nous. C’est lui qui a su rendre cohérent le son du groupe, disparate de par sa composition « exotique ».

Et pourquoi « Camembert » et pas « Munster » ? Vous êtes alsaciens après tout !
Enfin, pour ce qui est du nom. On voulait faire un hommage aux seventies en général : les groupes de prog portaient des noms stupides et jouaient une musique extraordinaire. On a choisi Camembert : un objet d’utilisation courante dans nos vies à tous. Certains groupes mythiques ont même pensé à l’électrifier pendant les années soixante-dix…

Quelle drôle d’idée pour des jeunes gens beaux et pleins d’avenir comme vous de jouer ce style de musique en 2011. Qu’est-ce qui vous a pris ? Pourquoi ne pas avoir tenté votre chance dans un créneau plus porteur ?
On joue la musique qu’on aime et qui nous touche. Sans rire, on est transporté par nos compositions, qui sont des entités animées d’une vie propre. Nous les « vivons » littéralement en live. On se fout des créneaux : tant qu’on peux s’essayer à faire des mélanges uniques de styles, on fonce.

« Jazz fusion funk » : cette étiquette vous paraît-elle appropriée ? Ne pensez-vous pas que l’étiquette « prog » est handicapante, qu’elle véhicule une image passéiste et un peu boursouflée de la musique, même si la réalité est autre ?
Effectivement l’étiquette jazz fusion funk semble plus représentative de notre évolution actuelle. En ce moment, en boucle sur nos chaînes : George Duke, Earth Wind and Fire, Brother Ape, Yugen, Tipographica et Frogg café. On est parfaitement d’accord : l’étiquette prog se meurt, les temps changent… On va se pencher sur la question de notre définition dans les médias. Merci pour cette question qui fait avancer le schmilblick, JP.

Je suppose que les membres du groupe ont des parcours musicaux très différents. Quelles sont vos principales influences ?
Fabrice est un fou de musique classique, d’afro cubain et de jazz. Guillaume joue du classique depuis sa plus tendre enfance. Bertrand est dans le jazz, le funk et le reggae. Philémon est issu du metal et du blues rock à la base. Je viens du jazz électro mais aussi du rock.

Quelles ont été les réactions à la sortie de « Clacosmique », votre premier EP ?
Les réactions ont été extrêmement positives de toutes parts. Ça nous a vraiment motivé à 300 % : des Américains, des Japonais et des Russes nous envoient régulièrement des déclarations d’amour. Steve Feigenbaum de Cuneiform nous a beaucoup promus, les fanzines de prog ont suivi aussi. Vraiment, une entrée en matière plus que satisfaisante ! On ne remerciera jamais assez les gens qui nous soutiennent.

Camembert a signé chez AltRock, le jeune et dynamique label italien. Comment cela s’est-il fait ?
Au premier Cheese Prog Event en 2008, nous avons accueilli French Tv, formation américaine de Mike Sary qui employait aux claviers Paolo Botta de Yugen pour les besoin de la tournée. Michael Hazera de Zaar et Sotos tenait la batterie pour l’anecdote… Paolo m’offre alors un cd de Yugen, je tombe amoureux du groupe et le signale avec virulence à qui veut bien l’entendre. Pendant ce temps Paolo glisse quelques mots à l’oreille commune de Marcello Marinone et Francesco Zago, leaders d’Altrock. Marcello me contacte, me dit qu’il a écouté l’EP, qu’il adore et nous propose une place dans la maison. En une initiative de concert, Camembert s’est retrouvé signé sur le label de notre groupe actuel favori…. Cela a réellement dépassé toutes nos espérances.

Peux-tu nous en dire plus sur le nouvel album ? Ses orientations musicales, par exemple ?
Le nouvel album s’appelle Schnörgl Attahk. En deux mots : les Schnörgls, aliens stupides et méchants, tentent d’envahir la Terre. Un gigantesque fromage cosmique, le Clacosmique, entre dans l’orbite terrestre et organise la résistance à l’invasion.
La musique est extrêmement éclectique : c’est un voyage entre jazz fusion, prog, afro-cubain, musique contemporaine, électronique et funk. Pour ceux qui connaissent l’EP, on retrouvera sur cet album une version réarrangée et surpuissante d’« Untung Untungan » sur laquelle Francesco Zago himself tient la guitare! Peu satisfaits par la version de l’EP, nous avons métamorphosé « Le Vautour de Mars », un titre funky avec des solos, en insérant un thème épique à la harpe et au vibraphone en lieu et place des solos. On s’est éclaté à faire du funk à la Quincy Jones et Herbie Hancock en mesures complexes, en le colorant avec des thèmes tantôt à la Zappa, tantôt à la Stravinsky. Ça s’appelle maintenant « El Ruotuav Ed Sram » et c’est probablement la bombe de l’album. A signaler également, « Le Meurtrier Volant », cauchemar de film d’horreur mis en musique, et aussi un epic de dix-huit minutes : « La Danse Du Chameau ». Les morceaux sont liés par des interludes aux textures sonores extrêmement variées. Udi Koomran est aux commandes du mix. Udi a effectué un boulot monstre sur les effets de studios : de son propre aveu, l’album est son « bébé », l’un des projets sur lequel il s’est senti le plus en phase depuis des années. Ne vous étonnez pas d’y découvrir des voix de cartoon, des Indiens d’Amérique chantant autour du feu et du xylophone qui sonne comme un clavier de Daft Punk !

Fabrice et toi jouez sur l’album de SKE « 1000 Autunni » (Fading Records), qui est le projet solo du claviériste Paolo Botta. Comment avez-vous eu cette opportunité ?
Paolo avait du mal à trouver un bassiste électrique susceptible de s’investir dans un travail de plusieurs mois de déchiffrage, sans contrepartie financière. Un jour je lui ai envoyé les rushes du nouvel album, et il m’a proposé instantanément de jouer sur son disque. J’étais fou de joie. Fabrice a alors offert ses services de coloriste sonore aux vibraphone, percussions et trombones. On a tout enregistré en quatre jours, mangé énormément de sandwichs et on s’est vraiment marré ! Le résultat est détonnant : un mix inespéré entre Anglagard, Picchio dal Pozzo et Yugen. Paolo signe un vrai chef d’œuvre de composition à nos oreilles. Vivement les prochaines collaborations.

Camembert a joué au Triton et au Freakshow Artrock Festival 2010 à Würzburg, ce qui représente deux belles lignes sur votre CV. Quel a été l’accueil lors de ces deux concerts ? Avez-vous une préférence pour l’un de ces concerts ?
L’accueil fut excellent dans les deux cas. C’est l’incroyable Martin Horst de On The Edge Music qui nous a concoctée cette mini-tournée avec Phlox. On lui doit tout ! Nous avons été extrêmement émus au Triton : on sort de scène direction les loges, pour nous le concert est fini, et au bout de huit minutes, je retourne dans la salle. Le public applaudissait à tout rompre. Que de beaux souvenirs !
Au Freakshow Artrock Festival, nous avons fait la connaissance d’un des mecs les plus géniaux de la galaxie : Charly Heidenreich. Ce type organise à ses frais un festival de prog qui accueille Magma, SGM ou encore Yugen. Il a son public de fidèles. Un dimanche, pour un concert à midi faire cent vingt personnes, on peut difficilement rêver mieux… Cependant, la dernière édition de son festival n’a pas été un succès : j’encourage largement Chromatique à se mettre en relation avec cette personne clé du prog en Allemagne. C’est chez lui que nous avons rencontré le public le plus réceptif et le plus acheteur de cd que nous ayons jamais vu.

Quelle est la différence entre le public français et le public allemand ?
Avec un seul concert en Allemagne, il est peut-être trop tôt pour juger.

Ces concerts vous ont-ils ouvert des portes ?
Oui, ces concerts nous ont ouvert des portes inespérées : vous pourrez nous voir prochaînement sur des scènes jazz et prog inattendues.

Je suppose qu’il n’est pas facile de trouver des concerts dans votre créneau. Avez-vous d’autres possibilités de scène prochaînement ? On est sur beaucoup de plans actuellement : des scènes jazz subventionnées aux grands festivals de prog… Ne vous en faites pas pour nous ! On vous tiendra au courant lorsque l’on aura les confirmations définitives. On joue au Triton le 20 octobre avec Phlox à nouveau, pour fêter l’album, à Wurzbürg le 19 octobre chez le génial Charly. Puis le 18 novembre au Molodoï, nous lançons un nouveau concept : Prog in Alsace. On fait un double concert avec Gens de la Lune, le nouveau groupe de Francis Descamps, qui fête aussi la sortie de l’album Alors Joue !.

Camembert est à l’origine du Cheese Prog à Strasbourg, qui en est aujourd’hui à sa troisième édition. Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir créer ce festival ? L’absence d’une réelle tribune pour les groupes dans votre genre ?
Exactement, et attention coup de gueule : la majorité de la programmation en France est une mafia qui vit de conflits d’intérêt. Des gens « en place » gangrènent littéralement le milieu. Il suffit de connaître telle ou telle personne pour rentrer par magie dans un réseau qui de toute façon n’en a plus rien à faire des réactions des spectateurs. Le Cheese Prog Event, c’était ça : si la prostitution artistique est le seul moyen de jouer sur des grandes scènes, on voulait montrer que les petites gens savaient s’organiser pour permettre à de vrais groupes de jouer. Le modèle du festival Crescendo, de Charly Heidenreich et du festival RIO sont des exemples à suivre pour nous !

Allez-vous retenter l’aventure, peut-être sous une autre forme, malgré le succès très mitigé de cette troisième édition ?
Une mutation du projet est nécessaire : on s’est ramassé niveau fréquentation cette année. On lance le concept de Prog In Alsace le 18 novembre avec Gens de la Lune : l’idée est d’afficher le parrainage entre les générations, de frapper un gros coup avec un groupe de grand standing afin de fidéliser un public à une scène plus alternative. Francis Descamps est quelqu’un extrêmement sympathique et ouvert qui est parfaitement dans cet esprit. Collaborer avec lui pour braquer les projecteurs sur le prog en Alsace est probablement la plus belle chose qui puisse arriver au genre à Strasbourg. Nous allons médiatiser cet évènement à outrance !

Quelle serait pour vous l’affiche idéale du Cheese Prog ?
Pour le fun : Pat Metheny Group, George Duke version seventies Jagga Jazzist et Dweezil plays Zappa. La prog idéale : Frogg Café, Haken, Big Big Train, Brother Ape, Ritual, Yugen, Ske, Andy Emler Megaoctet, Nguyen Le et Camembert.

A part la promotion du nouvel album à paraître en septembre, quels sont vos projets immédiats et futurs ?
On travaille sur de nouvelles dates. On réarrange également le répertoire précédent car nous n’avons plus de guitare. Les compositions du successeur de Schnörgl Attahk sont déjà très avancées : le son sera encore plus funky et les thèmes plus complexes. Pour le titre, on pense à Orteil négatif – pourquoi tu te marres Jean Philippe ?. Bertrand et moi préparons un duo de guitares acoustiques…

Un dernier mot pour Chromatique ?
Merci beaucoup à Chromatique et à tous ses lecteurs. Votre site est vraiment avant-gardiste dans le sens où il permet de faire perdurer l’esprit prog mais en s’affranchissant de son étiquette. A quand des live report chez Charly ? Et surtout, pourquoi pas un festival Chromatique ?