Amos Williams (TesseracT) – Multidimensionnel

Révélation metal de 2010, leur premier EP Concealing Fate n’était pas passé inaperçu dans les cercles progressifs. Quelques mois plus tard, les Anglais de TesseracT publient leur premier album, One. L’occasion ou jamais de nous entretenir avec Amos Williams, le bassiste de la formation qui, à la différence de nombre de ses congénères, n’a pas la langue dans sa poche !

Chromatique : TesseracT est présent sur la toile depuis un certain temps ! Officiellement votre projet remonte à 2003. Pourtant, il a fallu attendre 2011 pour voir poindre un premier album. Qu’est ce qui a pris autant de temps dans la réalisation de One ?
Amos Williams :
Du point de vue du public, il aura effectivement fallu longtemps pour que l’album sorte. Cela s’explique par trois facteurs importants. Premièrement, cela ne fait que très peu de temps que nous travaillons à plein temps sur notre musique. Avant, nous devions intégrer TesseracT à des emplois du temps très chargés. Nous par ailleurs habitons aux quatre coins de l’Angleterre, ce qui rend difficiles les rencontres pour répéter et jouer. D’autre part, nous avons enregistré l’intégralité de l’album avant de signer notre contrat avec le label, et donc payé de notre poche l’intégralité des frais.. Heureusement, je travaillais à l’époque dans un studio fantastique à Londres, le Metropolis Studio, ce qui nous a permis de nous servir du studio principal gratuitement lorsqu’il n’était pas utilisé. Au total, l’enregistrement et la post-production de l’album ont pris un maximum de six semaines, étalées sur dix-huit mois. Enfin, le dernier point chronophage a été la négociation avec les labels pour la promotion de l’album. Nous ne voulions pas qu’il sorte et se perde au milieu de milliers d’autres publications. Malheureusement, certains labels ont des dates de publication fixes. Par exemple, lorsque nous avons signé sur la branche américaine de Century Media, nous avons eu le choix de sortir One à l’automne 2010, ou en mars 2011. Nous avons opté pour mars.

Maintenant que l’album est sur le point de sortir, préparez-vous une tournée mondiale ? Pensez-vous passer en Europe, et plus particulièrement en France ?
Après une tournée en Amérique du Nord avec Protest the Hero en mars et en avril, nous espérons venir en mai en Europe, et avec un peu de chance, nous passerons aussi par la France. Je trouve incroyable que nous ayons été en Russie, en Inde, au Canada, aux États-Unis et pas en France !

TesseracT était à l’origine un projet solo d’Acle Kahney. Quel est l’engagement des autres musiciens dans le processus d’écriture de One ?
Il serait assez juste de dire qu’Acle est le génie qui se cache derrière TesseracT. Il est l’étincelle de créativité à partir de laquelle tous nos morceaux sont nés. Le processus de composition que nous suivons est généralement le même : Acle nous envoie une démo sur laquelle il a travaillé, nous en discutons par mail, faisons des suggestions et des critiques. Nous apprenons ensuite chacun nos parties, de façon à pouvoir les transformer immédiatement en morceaux lorsque nous nous retrouvons. C’est à ce moment-là que nous ajoutons chacun nos propres inflexions, nos subtilités et notre propre jeu aux parties qui nous concernent. C’est un peu comme un acteur à qui l’on demande de jouer un script. Les parties écrites par Acle se développent et évoluent pour se détacher de la démo d’origine, en fonction de notre propre personnalité. Il reprend ensuite toutes ces idées et crée une démo de meilleure qualité, en y ajoutant parfois du chant. L’écriture se poursuit généralement après avoir testé les morceaux en concert. J’ai une vision assez forte de nos morceaux, c’est pourquoi j’évite de trop m’impliquer dans le style de composition d’Acle. En revanche, je ne me priverai jamais de lui faire des suggestions ou des critiques quand cela me semble important.

Pourquoi avoir inclus les titres de Concealing Fate à One ? Par ailleurs, vous offrez un morceau supplémentaire pour les précommandes de One : pourquoi ne pas l’avoir mis sur l’album ?
C’était prévu depuis le début. A l’origine, Concealing Fate ne devait être disponible qu’aux États-Unis lorsque nous avons fait la première partie de la tournée de Devin Townsend à l’octobre dernier, essentiellement à des fins promotionnelles et en nombre limité. Nous avons cependant remarqué que Concealing Fate circulait sur des IPods et des ordinateurs dans le monde entier. J’ai malheureusement assez peu de sympathie pour les ceux qui se plaignent que le contenu du EP se retrouve sur One, sachant que les deux-tiers d’entre eux doivent l’avoir téléchargé illégalement. En ce qui concerne la piste bonus « Hollow », nous avons décidé d’en faire un petit cadeau de remerciement. A l’heure actuelle, il est tellement aisé de tout obtenir gratuitement par le net ! Acheter un album est une chose, faire la démarche de le précommander en est une autre, qui signifie que vous êtes vraiment attaché au groupe. « Hollow » devait être à l’origine une simple introduction. Finalement, nous l’avons développée pour en faire un véritable morceau, certes un peu étrange, mais un vrai morceau.

Ne pensez-vous pas que ces deux sorties rapprochées risquent de décourager les gens qui ont acheté Concealing Fate d’investir dans One ?
Malheureusement certains seront sans doute découragés, c’est vrai. Nous avons envisagé différentes options pour ceux qui avaient déjà acheté le EP, mais c’était trop compliqué logistiquement. Nous avons finalement décidé d’ajouter autant de contenu que possible sur l’album. Par exemple, l’édition limitée contient le DVD d’une version live de Concealing Fate, filmée et enregistrée aux splendides Sphere Studios de Londres. Nous nous sommes rendus compte que TesseracT sur album et en live, c’était très différent. Cette vidéo le prouve, et donne une idée assez précise de ce qu’est TesseracT en concert : loin d’être parfait mais avec une énergie et une profondeur qui font défaut à beaucoup de nos contemporains. De plus, puisqu’il s’agit d’un DVD, nous l’avons mixé en 5.1. J’ai toujours eu envin d’un album en son surround. Je me souviens en avoir parlé à Acle pendant nos premières sessions en 2005. Six ans plus tard, nous y sommes !

Concealing Fate représente la moitié de l’album. Quel est le concept sous-jacent à ces morceaux ?
Nous n’étions pas partis sur un concept au départ, mais les morceaux ont progressivement acquis un sens et une mythologie à commencé à se développer autour d’eux. Acle a commencé par écrire la cinquième partie, « Epiphany ». Il a ensuite travaillé les morceaux à reculons : le quatrième, puis les trois premiers. C’est une excellente manière d’écrire. Savoir comment l’histoire se termine permet de retracer tout le cheminement jusqu’à cette fin. Une fois l’ensemble terminé, nous avons décidé de composer une sorte de récapitulatif du premier morceau, qui est devenu la sixième partie de Concealing Fate. Considéré dans son intégralité, il s’agit d’un voyage musical. Si vous vous concentrez sur l’émotion dans la musique, vous pourrez faire le lien entre les titres et la signification de chaque morceau. « Part One – Acceptance » reflète les émotions de Dan [NdlR : Tompkins, le chanteur] lorsqu’il nous a rejoints. Nous étions déjà bien établis et il a dû apprendre et adapter les parties chantées que nous avions mises en place avec le précédent chanteur. Ce morceau représente le départ d’un voyage, le fait qu’à notre naissance nous n’avons aucun choix sur notre nom, notre famille, etc. Il faut apprendre à accepter ces décisions prises pour nous et arriver à vivre avec. C’est ce qu’a fait Dan en arrivant dans le groupe. « Part Two – Deception » représente l’enfance. Alors que l’on grandit et que l’on apprend de plus en plus de choses, il est courant que les gens autour de nous nous trompent. On se rend alors compte que certaines choses sont injustes ou fausses. Mais aussi, on se trompe soi-même. Pour ce morceau, la musique semble complexe, mais ce n’est qu’une apparence. Le même motif se répète encore et encore tout au long du morceau. Dans « Part Three – The Impossible », la croissance continue, et au fil des expériences l’homme commence à aspirer à un certain mode de vie. Il s‘agit généralement d’un idéal impossible à atteindre. Imaginez-vous sur une plage, le regard tourné vers une île au loin : vous souhaitez la rejoindre mais vous n’avez aucun moyen de le faire. Cette île représente tout ce qui est votre idéal : « Part Four – Perfection ». C’est au moment de « Part Five – Epiphany » que vous réalisez que la distance que vous parcourez importe peu. Vous souhaiterez toujours ce que vous n’avez pas. Mais tout ce dont vous avez besoin c’est ce que vous avez toujours été. C’est à ce moment que la conclusion « Part Six – Origin » entre en jeu.

Les autres morceaux sont-ils liés d’une manière ou d’une autre à Concealing Fate ?
Thématiquement, les morceaux n’ont aucun rapport. Mais nous avons fait très attention à la dynamique et à la structure de chaque piste, de manière à ce que l’enchaînement se fasse naturellement entre les morceaux, que ce que ce que vous entendez vous prépare à ce que vous allez entendre d’ici quelques minutes, mais aussi vous rappelle ce que vous avez déjà entendu avant. C’est tout le principe derrière TesseracT : le temps n’est plus linéaire, l’expérience se prolonge dans les deux directions.

En dehors de groupes tels que Texture et Meshuggah, qui citerais-tu comme influences pour le groupe ? Et sur un plan personnel ?
Le groupe s’inspire de toutes les formes de musique auxquelles on pourrait penser. Nous aimons tout, du classique à la dance en passant par le metal et la pop. Certaines inspirations sont évidemment plus fortes comme Pink Floyd ou Jeff Buckley pour le chant, un soupçon de Faith No More, probablement un peu de Tool et de Deftones. Plus personnellement j’adore les compositeurs minimalistes tels que Philip Glass, les musiciens fabuleux comme Victor Wooten ou encore les groupes de jazz fusion ethniques comme Shakti avec John McLaughlin. Par ailleurs, j’ai passé beaucoup de temps à étudier et apprécier la musique asiatique. Enfin, j’ai découvert récemment le fabuleux dernier album d’Anathema : We’re Here Because We’re Here.

Êtes-vous inspiré par d’autres domaines culturels, tels que le cinéma ou la litterature ?
Nous aimons tous des auteurs scientifiques comme Stephen Hawking, Michio Kaku, Brian Greene et de manière générale tout ce qui a pu être écrit sur la physique et la cosmologie. C’est une énorme source d’inspiration pour nous. En ce qui concerne le cinéma, les films ont un impact important : nous essayons de faire en sorte que notre musique soit aussi cinématique que possible. Nous aimons la façon qu’ont les réalisateurs de susciter ces émotions à partir d’images.