Aviv Geffen (Blackfield) – Mêmes ingrédients, nouvelle recette

Il aura fallu attendre quatre ans pour voir arriver un nouvel album de Blackfield. Quatre longues années durant lesquelles personne ne pouvait être certain qu’un potentiel successeur serait donné aux deux chef d’œuvres pop du duo Aviv Geffen/Steven Wilson. Mais quelques semaines avant la sortie de Welcome to my DNA, Chromatique.net a eu l’occasion de s’entretenir avec Aviv Geffen pour faire le point avec un musicien dont la réserve n’aura de cesse de nous étonner.

Chromatique : Commençons dans le vif du sujet avec une question qui a brûlé les lèvres de nombre de lecteurs. Pourquoi tant de temps s’est-il écoulé depuis l’album précédent ?
Aviv Geffen : Steven et moi avons chacun une carrière personnelle à mener. Il tournait avec Porcupine Tree tandis que j’ai eu une année très chargée, sur la route avec U2 et Placebo, sans parler de la sortie de mon nouvel album. Mais Blackfield reste pour nous quelque chose de très sérieux. Nous souhaitons vraiment donner le meilleur de ce que nous avons. Nous avions commencé ce travail comme un side-project, mais c’est désormais un véritable projet pour nous, un travail à plein temps. Nous avons prévenu les membres respectifs de nos groupes que nous consacrerions une année entière à Blackfield, et nous sommes sur le point d’entamer la tournée la plus longue que nous ayons jamais faite, en Europe et en Amérique. Nous n’avons jamais joué au Canada ni au Mexique. C’est très excitant !

Raconte-nous un peu ta tournée avec Placebo et U2. Comment se sent-on lorsqu’on ouvre pour deux groupes aussi célèbres ?
C’était un pas de géant pour moi. Pour leur première partie, U2 avait le choix entre Lenny Kravitz, les Foo Fighters et moi… Et c’est moi qu’ils ont choisi ! Je n’en revenais pas ! Pour Placebo la tournée s’est déroulée avec beaucoup moins de sérieux, je me suis vraiment amusé avec eux, ce sont des types que j’adore.

Penses-tu qu’un jour Blackfield atteindra une notoriété comparable à celle de ces deux groupes ?
Pour ce qui est de Placebo, je pense que d’ici quelques années nous pourrons atteindre leur niveau. Je ne suis pas certain en revanche que nous souhaitions vraiment atteindre la notoriété de U2. Il faut arriver à parler à tout le monde, et pour ça il faut arriver à écrire ces chansons. Regarde Radiohead, ils sont très connus et auraient pu atteindre le niveau de U2. Mais Thom Yorke a une personnalité très particulière, qui ressort dans ses morceaux. Je ne pense pas qu’il souhaite s’adresser à tout le monde, comme le fait Bono. Pourtant ils le pourraient. Personnellement, je préfère m’arrêter au niveau de Placebo. En termes de spectateurs, j’aimerais pouvoir jouer de manière régulière devant 2000 personnes. Et c’est ce que nous atteignons déjà dans certaines villes !

Parlons du nouvel album. Il est bien plus progressif que les précédents…
Progressif ? Non ! Il est très inspiré de Pink Floyd ou encore des Beach Boys. Mais pas de progressif !

Disons que les ambiances sur Welcome to my DNA sont bien plus variées que les deux précédents. I et II étaient très homogènes, celui-ci est très différent. Avez-vous cherché à être radicalement différents des deux autres ?
Je suis cette fois l’auteur de la majorité des chansons, Steven n’ayant composé que « Waving ». J’ai engagé quarante-deux musiciens d’orchestre, cordes et vents, car je reste convaincu que Blackfield mérite ces orchestrations. Il nous aura fallu deux albums pour atteindre la perfection du son que nous avons atteinte avec Welcome to my DNA. C’est le travail dont nous sommes le plus fiers jusqu’à présent.

Continuons sur les ambiances : les textes semblent plus sombres qu’auparavant. Par exemple, les paroles de « Go To Hell » sont-elles destinées à quelqu’un en particulier ?
Oui, elles s’adressent à mes parents. J’ai un fils de trois ans, Dylan. Je lui donne tout ce que je peux lui offrir ! Il est en quelque sorte une réflexion inversée de mon enfance. Mes parents étaient plus intéressés par la drogue et l’alcool que par mon existence et lorsque je suis devenu père, j’ai mesuré à quel point ils ne m’avaient pas donné grand-chose. Quand je suis arrivé au studio, j’ai dit à Steven : « Ecoute, je n’ai pas besoin de beaucoup de textes, je vais aller droit au but et dire ce que j’ai sur le coeur ». C’est une très bonne thérapie : « Fuck you, go to hell ».

Steven et toi êtes connus pour avoir des positions assez tranchées sur la musique. Comment faites-vous pour vous accorder sur la composition ?
Pas vraiment, nous échangeons beaucoup tous les deux, et nous apprenons l’un de l’autre. Dans un sens, nous nous respectons énormément. Nous laissons l’ego à la maison pour venir au studio et donner le meilleur de nous-mêmes. Je lui ai appris pas mal de choses quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois il ya maintenant quelques années. Je me souviens, il était tout raide quand il jouait, et je lui ai dit : « Détend-toi mec, sois sexy ! Sois charismatique ». Il est désormais très différent.

C’est quelque chose qu’il a lui-même reconnu sur son DVD Insurgentes !
Je n’ai pas encore réussi à le décourager de porter ses affreux t-shirts, mais j’y travaille ! (rires)

Sur ta dernière tournée, tu as joué une proportion importante de morceaux de Blackfield, en comparaison à tes morceaux solo. Ne penses-tu pas avoir pris le risque de décevoir ?
Je pense qu’à la sortie d’un nouvel album, il faut y aller doucement en termes de promotion. Donner un avant-goût de l’album en live mais pas le jouer en intégralité, sinon il perd son intérêt en version studio. Et puis Blackfield est très connu en Europe…

A ce propos, ne trouves-tu pas ça un peu paradoxal d’être une telle rock-star en Israël et d’être si peu connu en Europe ?
Je reçois beaucoup de mails d’Européens qui m’apprécient en tant qu’artiste solo. Mais l’un dans l’autre, Blackfield c’est aussi en grande partie Aviv Geffen. Les gens de l’industrie de la musique et le public le savent. Pourtant, un groupe comme Blackfield ne pourrait jamais faire la première partie de U2 parce que nous sommes trop indie. Mon album solo a été diffusé sur la BBC qui est pour moi la radio la plus snob de tous les temps. Croyez-moi, ils n’auraient jamais osé diffuser du Blackfield !

Blackfield semble donc différent de ta carrière solo… Quelles sont tes inspirations lorsque tu composes pour un album de Blackfield ?
Mes héros sont Pink Floyd, King Crimson, et Radiohead, mais aussi Jim Morrison et John Lennon. En dehors de ceux-ci, j’aime des genres divers et variés, je peux trouver l’inspiration dans les voix de Nick Cave et de Kurt Cobain. Je ne saurais pas vraiment donner une liste exhaustive.

Et en dehors de la musique ? Est-ce que tu tires de l’inspiration d’autres domaines comme des livres ou des films ?
Mon film fétiche est « Forrest Gump ». Steven déteste quand je dis ça, pourtant pour moi c’est l’histoire des Etats-Unis : si tu es stupide, tu réussiras dans la vie ! En ce qui concerne les livres, je lis beaucoup de poésie. En revanche, je n’arrive pas à lire des romans ou des essais. Il m’est difficile de me concentrer. Je m’ennuie vite en lisant et je me retrouve souvent à repasser quatre foi surs la même page.

Quel a été le processus d’écriture pour Welcome to my DNA ? Combien de temps l’écriture de l’album a-t-elle pris ?
Il s’agit un peu d’un album concept. C’est la première fois que je souhaite vraiment montrer qui je suis, m’exposer et exposer mon âme, décrire les moments forts et les épisodes traumatisants de ma vie. Sur les deux albums précédents je me cachais, que ce soit derrière la musique ou derrière Steven. Cette fois-ci, c’est une véritable évolution pour moi, nous chantons ensemble, nous jouons ensemble et je fais partie intégrante du groupe.

Est-ce que cela a à voir avec le titre de l’album ?
Pas vraiment, en fait. Le questionnement que j’essaie de mettre en place est surtout : « est-ce que tout est inscrit dans notre ADN, ou doit-on acquérir certains caractères au cours de notre vie ? ». Quels sont tes paramètres par défaut ? Es-tu triste ? Es-tu joyeux ? Je vois certains de mes amis se promener dans la rue en sifflant le dernier album de 50 Cents et en être heureux. Je suis jaloux ! J’aimerais être capable de ces bonheurs-là, mais j’en suis incapable, pour moi ce sont des âneries ! Comment ne pas voir le malheur dans le monde qui nous entoure ? Ils choisissent 50 cents, je choisis Pink Floyd. Je suis convaincu que c’est inscrit dans notre ADN.

Peux-tu nous parler de la pochette de l’album ? Que représente-t-elle ?
La pochette représente ce que nous souhaitons faire vivre aux auditeurs. Leur permettre d’observer leur vie au-dessus des nuages, avec cette sensation de liberté alors qu’ils sont enfermés dans une cage de verre.

Quel est le morceau dont tu es le plus fier sur Welcome to my DNA ?
« On the Plane » me représente plutôt bien. Enfant, j’attendais que mon père rentre de voyage. Et je l’ai attendu si souvent… Ce morceau me chamboule à chaque fois. Quand on a commencé l’enregistrement du morceau avec Steven, je me suis mis à pleurer tellement il me rappelait des moments intenses. C’est une chose de poser la théorie sur le papier, mais y mettre son énergie et ses émotions lors d’un enregistrement est très différent. Sinon, j’adore « Blood ». C’est un morceau très particulier. J’aime les moments chaotiques, ils me font penser à une guerre. On a mélangé le jeu de Steven avec des guitares espagnoles, arabes et l’orchestre. Le résultat sonne de manière très originale.

Toujours à propos de « Blood », c’est un morceau en marge du reste de l’album. Est-ce que les inspirations orientales que l’on y perçoit viennent de la musique traditionnelle israélienne ?
Ce sont en fait des inspirations arabes. Je suis né à Tel-Aviv, et dans ma région, on croirait presque que les gens prennent plaisir à rester dans ce cercle vicieux sanglant. J’ai dit à Steven qu’il serait bon que nous parlions du chaos et de la guerre là-bas. « Here comes the blood » [Voilà le sang], c’est comme un mantra que l’on peut répéter en boucle, et qui représente parfaitement cette situation sans fin.

Tu as des positions politiques connues sur la question des territoires occupés. Comment te places-tu par rapport à d’autres artistes israéliens qui dénoncent les mêmes problèmes, comme Orphaned Land ?
Je ne pense pas que l’on puisse me comparer à Orphaned Land. Ils ne se sont jamais posés clairement contre le gouvernement et ne l’ont jamais critiqué. Je pense être le seul artiste à en parler clairement. Ne me méprenez pas, j’adore ces types, mais je pense qu’ils sont trop doux. Ils devraient être plus agressifs ! Jouer du metal, ce n’est pas simplement avoir une grosse pédale de distorsion, c’est aussi se battre pour ce qui nous plaît et défendre ses opinions.

Finissons par une petite question politique. Que penses-tu de ce qui s’est passé en Tunisie et en Egypte, et qui vu d’ici semble inquiéter en Israël ?
C’est fabuleux ! C’est la première fois dans l’Histoire qu’une génération de jeunes exprime son opinion en utilisant des moyens technologiques tels que Twitter et Facebook sans passer par les filtres du gouvernement et des media publics. Ils veulent la démocratie, et l’Etat cherche à les faire taire, à les maintenir dans la peur. C’est à marquer d’une pierre blanche dans l’Histoire. C’est la première fois qu’ils se montrent vraiment et encouragent d’autres pays à les imiter. Pour ce qui concerne Israël, c’est différent. C’est un monde occidental entouré par des mondes orientaux. La démocratie dans ce pays est une fiction, c’est une honte. Les jeunes veulent aussi une véritable démocratie, mais personne n’est là pour nous encourager, et c’est dommage.