Yom and the Wonder Rabbis - With Love

Sorti le: 11/04/2011

Par Fanny Layani

Label: Buda Musique

Site: www.yom.fr

De lourds nuages plombés pèsent sur une Terre sinistrée où croupit une humanité gémissante et ployant l’échine, en proie au lourd fléau du narcissisme, de l’ennui et de l’absence d’amour. Soudain, déchirant les cieux tourmentés dans le fracas d’un roulement de toms, surgit un musculeux personnage bicolore, suivi de près par trois curieux compères. Voici Yom et ses Wonder Rabbis, fraichement échappés du monde des superhéros pour apporter un peu de douceur à ce troupeau de bipèdes hébétés. Signes particuliers : un crâne soigneusement rasé et une clarinette en guise de Batflingue pour Yom, tandis que ses acolytes arborent d’imposantes coiffes de rabbins tout droit sortis d’un shtetl perdu au fin fond d’une Pologne projetée en enfer par le déferlement des Panzers.

« Picnic in Tchernobyl » donne d’emblée le ton de ce With Love, celui d’un electro-klezmer-rock oscillant entre pulsations binaires et rythmiques chaloupées de la paire Sébastien Lété (batterie) / Sylvain Daniel (basse et effets en tous genres), sans reculer parfois devant le second degré d’un certain kitch, parfaitement assumé (les parties de claviers de « Highway to Constantinople »). Le livret du disque, bande dessinée dans la plus pure tradition des comics américains, habille de couleurs clinquantes sur fond rose bonbon un grand délire aux accents psychanalytiques : dans la droite lignée de New King Of Klezmer Clarinet, si la musique est une affaire de la plus haute importance, il n’est décidément pas question de se prendre trop au sérieux !

Loin des ambiances gaies et entraînantes que le visuel comme la belle absurdité de certains titres auraient pu laisser attendre, les tempi modérés dominent. Et rapidement, c’est l’aspect hypnotique qui l’emporte, dans les boucles de clarinette et les rythmiques lancinantes de « Saving The World Is Easy », par exemple. La transe n’est pas loin, merveilleusement entretenue par les claviers planants de Manuel Peskine (Rhodes et synthétiseurs) et l’on imagine aisément les développements que tout ceci pourrait prendre en concert. Pour autant, l’univers de Yom n’est pas univoque : autour d’une déclaration d’amour à la tradition instrumentale klezmer dont il est dépositaire, se développent et s’entremêlent les ramifications de plusieurs familles musicales. L’electro de « Along The Red Danube » se rapproche de l’aspect lancinant du trip-hop tandis qu’entre deux instants tirant fortement vers le psychédélisme, quelques relents de coldwave viennent s’immiscer. The Cure rôde par moments, du moins dans l’esprit, planant comme une remontée d’adolescence chez ces trentenaires aventureux (sans oublier « Killing a Gipsy », évocation probable du « Killing an Arab » qui propulsa le groupe de Robert Smith sur la scène internationale).

Rien n’est vraiment grave, dans ce monde de super héros ; rien n’est vraiment sérieux, mais rien ne plaisante tout à fait non plus, et le quotidien affleure dans toute sa pesanteur : « Along The Red Danube » ou « Killing a Gipsy » renvoient à de tristes épisodes récents, entre pollution industrielle aux boues rouges en Hongrie et pollution de la parole politique ici même, en ces temps incertains.

La musique que propose Yom, tranchant ainsi avec les couleurs acidulées de son univers graphique, est paradoxalement assez sombre. On y retrouve, à chaque instant, la profonde nostalgie inséparable des traditions musicales juives, qu’elles soient d’Europe ou du Moyen-Orient, et plus encore de leur renaissance contemporaine hors de ce Yiddishland disparu dont l’ombre ne cesse de planer sur les vivants. La douceur du timbre de la clarinette joue dans ce spleen un rôle essentiel, comme sur « The Wonder Rabbis », qui reprend un thème du « Rêve de l’enfant » présent sur Unue (comme « Saving The World Is Easy » reprend celui de « Souvenirs ») et dont la longue montée en puissance est très réussie, ou sur « Kaddish for Superman » qui tient plus du recueillement de la prière des morts que d’une chasse endiablée à la Kryptonite.

Ainsi, de cette apocalypse psychique du sentiment comme du poids de la Catastrophe historique omniprésent dans ce courant musical, Yom tire une substance dense et évocatrice, actualisant au meilleur sens du terme une tradition qui n’en finit pas de refuser de disparaître.