Timo Tolkki – Symphonie en réunion

C’est avec Timo Tolkki, une des têtes pensantes du groupe Symfonia, que nous avons rendez-vous. Visiblement confiant et détendu, prompt à la digression, le Finlandais nous a confié quelques secrets de fabrication à la veille de la sortie d’In Paradisum.

Chromatique : Parlons de l’origine de Symfonia. Dans ton esprit, était-ce, au départ, le successeur de Revolution Renaissance, ou cela correspondait-il au contraire à l’intention de créer un all-star band ?
Timo Tolkki
: Rappelons tout d’abord que Revolution Renaissance n’a eu aucun succès commercial, bien que je le considère comme une véritable réussite artistique. Je n’avais rien prévu de particulier concernant un nouveau groupe, et tout a commencé lorsque j’ai appris qu’Andre Matos s’était installé en Suède. Cela m’a paru incroyable. Je le connaissais depuis la tournée Fireworks d’Angra, où nous étions ensemble, avec Stratovarius. A l’époque il passait du temps dans notre bus et parfois même y passait la nuit. Lorsqu’il est arrivé en Suède, je n’y croyais pas vraiment, et j’ai décidé de l’appeler. Il est venu me voir à Helsinki en mai dernier avec ses claviers et on a commencé à écrire quelque chose à ce moment-là. Finalement le nuage volcanique islandais l’a empêché de repartir et il a été obligé de rester avec moi une dizaine de jours supplémentaires (sourires). Je l’ai rejoint à mon tour, l’été dernier, afin d’enregistrer les démos, et c’est à ce moment là que le projet a réellement débuté.

Pour la génération de la fin des années quatre-vingt-dix, cette rencontre musicale est une sorte de fantasme dont nous aurions à peine rêvé à l’époque. Ne crains-tu pas des attentes très élevées envers ce groupe ?
Cela ne m’inquiète pas, à vrai dire c’est sans importance pour moi. Je ne fais pas de la musique avec l’intention de plaire à quelqu’un, et Andre non plus. Evidemment il y a toujours le risque de se louper, commercialement parlant. Dans un monde idéal, la musique devrait être gratuite, la propriété de tout le monde. Ce n’est cependant pas possible au sein de ce système, qui l’oblige à être normée, limitée, dans le but d’être commercialisée. A une certaine époque, elle était gratuite. Ce serait une situation idéale, mais je dois payer mon loyer (sourire). J’espère que je pourrai le faire grâce à ce que je crée avec le cœur. C’est mon but en tous cas.

La tendance du genre est au “toujours plus » : plus symphonique, plus technique, plus prog. Dans ce contexte, Symfonia est très épuré, sonne de manière très classique. Ce contre-pied par rapport au marché était-il intentionnel ou est-il venu naturellement?
J’aime aller à contre-courant. Evidemment, quelques chansons reprennent des formules connues, mais je dirais que soixante-dix pour cent de l’ensemble me vient spontanément.« Alayna » par exemple, est basée sur l’émotion, tant d’un point de vue musical que narratif. Les arrangements, les paroles, tout s’imbrique parfaitement. C’est vraiment le type de musique qui me touche le plus, abstraction faite du genre ou du style dont au final je me soucie peu. Même ce qu’on entend ici peut susciter de l’émotion, si c’est bien fait. [NDLR : tendant l’oreille à la musique de fond passant au même moment dans l’hôtel : du R&B]. Hum, peut-être pas, finalement (rires).

… ou alors en concert ?
Le live, c’est différent : c’est se mettre au service des gens. Tu prends l’avion pendant dix heures, tu joues en étant crevé, mais il y a quatre mille personnes auxquelles tu peux réellement donner quelque chose, rendre leur vie un peu plus légère, au moins pour un temps.
Certains prétendent que voir un musicien sur scène, c’est observer l’extension de son propre ego. C’est très présent dans le metal, car le public projette certaines choses sur toi, comme si tu étais un dieu sur scène. Il n’y a rien de mal à ça, tant que ça n’échappe pas à tout contrôle. Malheureusement, parfois cela peut devenir un peu violent. J’ai vu des choses assez effrayantes dans ma carrière. En Colombie, on s’est arrêté de jouer car le public détruisait la salle. Le promoteur avait vendu plus de tickets que la capacité du lieu ne permettait d’en accueillir. On a littéralement dû s’enfuir, et la foule a été maîtrisée par l’emploi de canons à eau. Je suis passé de la scène à ma chambre d’hôtel, depuis laquelle j’entendais des coups de feu et voyais passer des militaires.

L’album est indéniablement marqué par l’empreinte de Stratovarius et par celle des premières années d’Angra, proche d’Helloween. Est-ce une façon de rassurer le public ? Avez-vous l’intention de défricher de nouveaux territoires par la suite ou le style musical est-il bel et bien défini ?
Je n’en sais rien. Cet album est ce qu’il est, le prochain pourrait être complètement différent, nous n’avons pas de limites. C’est un premier essai qui a nécessité beaucoup de travail, nous obligeant à être très créatifs. Nous avons enregistré dans des lieux très peu conventionnels, dans une petite maison, au milieu de nulle part, pour le chant. Peut-être envisagerons nous du jazz pour le prochain album ? Je ne pense pas, mais on ne sait jamais (sourire)…

En parlant de changement de style, tu as incorporé des éléments irlandais dans « Pilgrim Road ». En cela, tu te rapproches un peu du travail d’Andre avec Shaman. Vas-tu tenter à nouveau d’ajouter des éléments world ou traditionnels dans ton hard-rock ?
Je ne connais pas Shaman, et tout dépend de la façon dont nous composerons. Personnellement je commence par trouver le titre, et je m’en inspire. Sur cet album, tous les titres des morceaux sont de moi, et Andre a écrit les paroles correspondantes. Lorsque nous sommes parti enregistrer le chant, nous n’avions pas une seule parole. Nous nous sommes trouvés dans ce lieu complètement isolé, avec trois semaines devant nous. Le matin, Andre se mettait à écrire, pendant que je travaillais de mon côté. Au bout de quelques heures, il avait quelque chose à proposer. Si nous tombions d’accord, il prenait le micro. C’était un processus très créatif.

Parlons un peu plus du processus d’écriture…
Si tu regardes les crédits de l’album, toutes les chansons sont libellées “Tolkki-Matos”. Chacun a instillé de petites choses dans chacune d’entre elles, si bien qu’il ne pouvait en être autrement. De mon côté, j’ai produit l’album. J’agis un peu comme un réalisateur de film, et c’est surtout ma vision, mon son, qui prédominent. J’ai mixé le disque en Italie, à San Remo. C’est l’ensemble de ce processus de production qui donne à In Paradisum ce son particulier. Même si les choses ne sont pas parfaites, j’en suis très satisfait.

C’est peut-être ce qu’il y a de plus difficile dans l’écriture musicale, accepter l’imperfection ?
Pour moi, le plus compliqué, c’est d’occulter sa propre conscience. Si tu peux t’en débarrasser, je pense que tu peux écrire d’excellentes choses. Le plus grand ennemi, c’est ton cerveau, ton esprit.

La musique de Symfonia est très orientée « chanson » : couplets accrocheurs, refrains en forme d’hymne, il y a peu de fioritures. Est-ce le point commun de vos deux façons de composer, de ce que vous considérez comme étant l’essentiel dans l’écriture ?
Tu as raison concernant l’orientation musicale, puisque ces morceaux fonctionnent même en acoustique ! J’aime les bonnes chansons, je n’ai que peu d’intérêt pour la technique en général, je déteste ça. J’essaye de m’en détacher complètement en studio, pour saisir plus d’humanité. C’est très difficile avec certains, cela peut prendre beaucoup de temps, il faut user d’astuces et saisir le meilleur de chacun. La production peut être complexe si l’on s’y implique en profondeur. La plupart des choses peuvent être faites en deux minutes, comme ce truc [NDLR : dressant à nouveau l’oreille à la musique d’ambiance]. J’ai d’ailleurs déjà produit ce genre de musique. Je n’ai pas de restriction en matière de goûts musicaux, on trouve de bonnes choses dans n’importe quel style musical.

Ne t’arrive-t-il pas de te dire : « c’est de la pop commerciale, je ne peux pas apprécier ça » ?
J’ai déjà eu cette réaction-là, mais plus maintenant. Britney Spears par exemple a vraiment quelques bonnes chansons.

Ce n’est pas un discours habituel pour un métaleux (sourires) !
C’est celui que je peux me tenir à moi-même, mais d’ordinaire, je ne le dis pas en interview (rires).

Veux-tu que j’efface ça de l’enregistrement ?
Non, pas de problème, la musique n’est ni une religion, ni de la politique pour moi, contrairement à certains.

Ce n’est pas si facile d’écrire de la bonne pop, un refrain original et marquant. Beaucoup essayent, peu réussissent. Tout comme beaucoup ont tenté de reprendre la formule Stratovarius, rarement avec succès.
Nous sommes responsables, avec Helloween, Gamma Ray et quelques autres, de cette invasion de groupes, qui a un peu tué le genre. Mais je peux comprendre la démarche car, à une certaine époque, j’ai également suivi un style musical, une tendance. Cela prend du temps de trouver sa marque de fabrique, sans parler du fait qu’il est impossible de trouver son style sans se connaître réellement, les deux étant profondément liés.

Tu as toujours été très prolifique, il est rare qu’une année s’écoule sans que tu écrives un album. Aujourd’hui, tu possèdes un line-up de grande qualité constitué de gens très occupés. Vas-tu t’adapter à leur rythme ?
Tout est question de planification. Nous en avons justement parlé hier [NDLR : s’en suit une description du restaurant où a eu lieu la discussion, de même qu’une remarque sur l’excellente soupe qui y était servie]. Je ne me souviens plus de la question (rires).

S’ajuster au rythme de tes collègues, le fait que tu sortes un album par an…
Ce n’est pas un but en soi que d’écrire un album par an, j’ai eu des périodes où je n’écrivais rien. Mais au final, je suis un artiste et je compose tout le temps. Dans ma chambre d’hôtel, j’ai un clavier, le logiciel Logic, une guitare acoustique. Si quelque chose m’inspire ici, je pourrais peut-être en faire une chanson (sourires).

Nous avons pu voir sur ton blog qu’Andre Matos avait besoin d’un cactus et d’un tableau de Dali pour enregistrer ses parties de chant. Tu pourrais nous expliquer ?
Je ne peux pas croire que des gens aient pu croire cela (rires). C’était de l’humour. Pour Dali c’est vrai, sauf que c’était juste une peinture qu’il détestait et qui se trouvait là. Par contre, il buvait l’eau des cactus pendant l’enregistrement, ça, tu peux l’écrire !

Nous avons entendu parler de quelques shows acoustiques promotionnels, en France notamment. Est-ce toujours d’actualité ?
Je crois que nous allons jouer quelques chansons avant cette conférence de presse, demain, pour le site web de Sonisphere, notamment [NDLR : un enregistrement en privé a effectivement eu lieu]. Pour le reste, je ne sais pas, peut-être, j’aime ce genre de spectacle.

Votre tout premier concert, au Finnish Metal Expo, était composé en majorité de nouvelles chansons. Le Sonisphere où vous jouez bientôt est quant à lui probablement l’une des plus grandes scènes européennes. Quel est votre état d’esprit en présentant cette nouvelle formation devant un si grand public ? Un autre grand challenge après le FME ?
Pour moi, il n’a rien de particulier, sans vouloir manquer de respect à l’égard des organisateurs du Sonisphere. Chaque show possède sa propre énergie. Lorsqu’on est sur scène, c’est toujours la même chose, où que l’on puisse être. Si tu donnes cent pour cent de toi-même, tu ne peux pas te tromper.

Et après cela, la tournée ?
Nous sommes en train de la planifier. Nous étions supposés aller au Japon pour la promo, mais tout a évidemment été annulé. Nous espérons pouvoir le faire dès que possible. Aujourd’hui, on est tous prêts à jouer.

Tu n’en as pas vraiment eu la possibilité avec Revolution Renaissance…
Nous n’avons même pas fait un seul concert !

Il est difficile pourtant de vivre de la musique sans jouer sur scène de nos jours.
Difficile de vivre de la musique tout court…

Parle nous de ton projet Return to Dreamspace…
Ce projet reste en attente pour le moment. Nous avons écrit onze chansons. J’ai des souvenirs assez « romantiques » de cette période, revenir avec ces gars, c’était quelque chose d’excellent. Lorsque nous nous sommes retrouvés, je ne les ai même pas reconnus. C’était un sentiment très étrange. Il faut attendre le bon moment. L’année prochaine, nous fêterons les trente ans de Stratovarius. Ce sera peut-être l’occasion de se lancer.