Periphery – Djentlemen avant tout !

Avec un premier album aux saveurs américaines mais aux bases européennes, Periphery semble ouvrir la voie à un véritable courant musical qui se distingue dans la scène metal par une certaine fraicheur. Rencontre avec Alex Bois, fier représentant d’un brelan de guitaristes, posé sur une assise rythmique en béton et un chanteur inventif, qui portent haut et fort une musique réconciliant instinct et réflexion.

Progressia : Comment se déroulent les concerts, vous qui êtes actuellement en pleine tournée pour la défense de votre album éponyme ?
Alex Bois : À merveille ! Nous venons de terminer notre première tournée, partageant l’affiche quasiment chaque soir avec d’excellents groupes, et nous avons eu le plaisir de constater que nos fans sont de plus en plus nombreux depuis la sortie de l’album, au mois d’avril. Nous sommes ensuite partis pour l’Australie, avec The Dillinger Escape Plan, pour profiter d’autres horizons et d’un pays magnifique. D’autres dates sont prévues mais je ne peux malheureusement pas en parler pour le moment, même si vous entendez probablement ce genre d’excuse très souvent. Pour l’heure, nous profitons d’un petit temps de repos pour mettre à plat du matériel musical en vue du prochain album.
 
Composez-vous sur la route ou attendez-vous le retour à la maison pour travailler vos idées ?
Il est difficile, lorsqu’on pratique son instrument en tournée, de ne pas avoir des idées de riffs ou de rythmiques qui nous démangent. Nous avons fait beaucoup de dates cet été avec des calendriers et une logistique très chargés. Entre l’heure de réveil, les trajets en minivan pas vraiment conçu pour sortir les instruments et les heures tardives auxquelles nous avons joué, il a été très difficile de se poser un moment dans une chambre d’hôtel ou ailleurs pour composer. D’habitude, c’est plus facile, l’emploi du temps est moins lourd. Cela dit, maintenant que nous avons un line-up solide, le processus de composition sera amené à se renforcer. 

Comment votre musique est-elle accueillie sur scène ? Sentez-vous le public prêt à assimiler tant de complexité ?
L’accueil est franchement positif. Nous avons pour le moment tourné uniquement aux États-Unis et en Australie mais selon les endroits, le public est soit très impliqué et à fond dans la musique, soit attentif ou interrogatif (ce qui est d’autant plus perceptible sur les dates où nous jouions avec des formations au discours musical puissant et direct). Lorsque nous entrons sur scène et entamons nos premiers morceaux, les gens se demandent souvent ce que nous sommes en train de faire, car notre musique est effectivement très cassée et complexe ; même si nous avons des parties plus groovy et accessibles en terme de « secouage de tête ». En définitive, pour le quidam qui ne nous connait pas et qui trouve notre travail difficilement accessible en live, nous espérons au moins susciter suffisamment de curiosité pour qu’une fois à la maison et au calme, il ait envie d’en savoir plus.

Vous attendiez-vous à un tel succès et vous considérez-vous comme quelque peu chanceux dans un contexte musical de plus en plus difficile, notamment depuis l’avènement d’Internet ?
Oui nous le sommes, nous ne nous attendions certainement pas à un tel engouement. Nous avions une fanbase sur Internet mais nous ne savions vraiment pas comment notre musique allait être perçue dans un contexte plus large. Heureusement, et par chance, les gens ont accroché en dépit de la complexité. Pour ce qui est du contexte actuel, nous sommes sans hésitation redevables à Internet puisque le noyau dur s’est construit autour de Bulb [Misha Mansoor, guitariste fondateur de Periphery, ndlr] et par cet unique intermédiaire, indispensable vecteur pour tout groupe désireux de se faire connaître. En revanche, la mode va très vite et le téléchargement gratuit, à la portée de tous, empêche une partie de l’argent de transiter du consommateur jusqu’à l’artiste. Nous savions dans quoi nous nous engagions, mais il est clair que cela fait une motivation en moins pour celui qui souhaiterait vivre de cette passion, et c’est malheureusement ce désir en particulier qui vous amène à payer finalement vos factures. J’ai peur que certains se découragent et que les musiciens potentiels passent leur chemin parce que cette voie ne génère plus de revenus suffisants.

Est-ce une garantie pour vous d’être signé chez une maison de disque réputée ?
Il y a encore une quinzaine d’années, l’objectif suprême était d’être signé chez un label. C’était synonyme de réussite et cela laissait présager une carrière. Maintenant les garanties ne sont plus si stables, surtout pour un jeune groupe qui ne connait rien du milieu ni de la manière dont l’argent, quand il y en a, est géré. Comme les disques ne se vendent plus, certains labels doivent proposer des contrats très défavorables aux artistes, cherchant à se protéger d’un éventuel échec en les prenant à la gorge, au maximum. Par conséquent, être signé peut rapidement devenir un cadeau empoisonné. Je suis diplômé en commerce et j’ai donc pu approcher un avocat et lui demander comment comprendre un contrat musical, comment anticiper les différences entre les pays, comment négocier les points les plus intéressants pour nous afin que tout reste équitable. Mais au final, avec Roadrunner Records, nous sommes en de très bonnes mains quelle que soit la filiale, et nous avons vraiment un contrat très adapté, qui nous permettra si possible de faire un bout de carrière.

Comment définiriez-vous le mot « djent » qui circule assez facilement chez nous pour caractériser votre musique ?
Disons, pour faire court, que cela vient d’une manière un peu plus musclée de jouer des accords puissants, tout en ajoutant une quinte à l’octave. Si le son est suffisamment précis et agressif, on obtient un effet très mécanique au spectre plus large que sur un simple accord de rock. Il est bien sûr plus facile d’avoir le « djent » sur du matériel approprié, à lampes par exemple, que sur un ampli de poche à dix dollars ; aussi utilisons-nous des Axe Fx Ultra de chez Fractal Audio avec lesquels nous jouons sur scène et avons enregistré tout l’album.

La musique de Periphery a-t-elle toujours été composée pour trois guitares ?
Pour la plupart, oui, dans la mesure où nous raisonnons beaucoup en terme de couches musicales. Il nous semble, avec notre matériel, très important d’ajouter de la substance aux guitares afin d’obtenir un son très compact et nous laisser le plus de liberté possible. Misha a écrit la quasi-totalité de l’album en réfléchissant sur plusieurs strates, ce qui nous permet de proposer sur scène une musique cohérente et puissante.

Pensez-vous que le processus de composition peut-être ouvert à tous les membres sur les prochains albums ou laisserez-vous encore Misha aux commandes ?
Nous essaierons toujours de jouer la meilleure musique possible, telle que nous la concevons, indépendamment de sa provenance. Jusqu’à présent, Misha a élaboré tout le matériel musical, en bâtissant ce groupe autour de sa perception musicale, et cela a très bien marché. Nous insisterons probablement donc pour que le processus de composition passe en priorité par Misha, pour rester loyal aux origines de Periphery et rester dans une certaine cohérence. Ce qui ne veut pas dire que nous ne nous impliquerons pas. Nous proposerons des idées, des paroles, comme nous l’avons déjà fait, mais Bulb doit rester à notre avis le décideur et la plaque tournante de toutes nos créations.