Dimmu Borgir – Le coup du lapin

En seulement quelques années, les Norvégiens ont su se forger une place de choix au sein de la scène metal, mais surtout en tant que leader incontesté du black metal symphonique avec la fusion presque improbable de l’extrême et de la musique classique. De passage à Paris, un mois avant la sortie de leur huitième album studio Abrahadabra chez Nuclear Blast, c’est une formation réduite à son noyau dur qui a invité les journalistes français à venir écouter leur sombre méfait – sur un Ipod branché à des micros baffles, maudite politique anti-piratage. Plutôt enthousiastes, Galder (guitariste) rejoint plus tard par Silenoz (guitariste et membre fondateur du groupe en 1993) sont venus s’enquérir de nos impressions tout en répondant à nos questions pointues, un peu comme à leur image finalement.

Progressia : Commençons directement avec la question qui fâche ! Vous avez connu quelques changements d’effectif récemment, ce qui n’est pas une première. Peux-tu nous présenter le groupe tel qu’il est désormais constitué ?
Galder : Nous voudrions garder le secret encore un petit moment. Pour l’instant, seuls Silenoz, Shagrath et moi-même constituons Dimmu Borgir. Sachez toutefois que trois nouveaux musiciens seront annoncés prochainement…

Peut-on revenir sur les évictions de Mustis (claviers) et ICS Vortex (basse et chant clair) ? Que s’est-il réellement passé ?
Il y a eu simplement certains désagréments entre nous. C’est comme lorsqu’on est marié depuis dix-sept ans, c’est le genre de choses qui arrive à tout le monde. Beaucoup de groupes dans l’histoire de la musique ont connu cette situation. Parfois ça marche, parfois non… Ils ont fait partie de Dimmu Borgir pendant dix ans et puis ça a foiré. Ce que nous voulons, c’est être toujours meilleurs et avancer, d’où notre souhait que nos chemins se séparent. Nous sommes restés en contact avec eux mais sans plus…

Pensez-vous pouvoir vous passer des orchestrations de Mustis et du chant de Vortex ?
Ce ne sont pas les premiers à quitter Dimmu Borgir. Nous sommes obligés et surtout capables de poursuivre sans eux. Shagrath s’est occupé de la majeure partie des claviers alors que Mustis… Pour le chant, il va falloir trouver une solution car si ça ne marche pas, il faudra utiliser des bandes. Nous devons employer quelqu’un qui soit capable de le faire, c’est certain.

Peux-tu nous donner ta propre définition du black metal symphonique ?
C’est une étiquette qui colle parfaitement à Dimmu Borgir, car elle représente cette alliance de tons horribles, d’harmonies tristes et d’orchestrations, qu’elles soient jouées aux claviers ou avec un véritable orchestre, ce qui crée cette atmosphère particulière. Si tu mets un orchestre symphonique par-dessus tout ça, tu seras forcément amené à nommer cela « symphonique »… (rires) à la différence du black metal à l’ancienne.

Justement, penses-tu qu’il existe un fossé entre ceux qui pratiquent ce black metal et vous-mêmes ?
C’est évident, car ils pratiquent une musique plus thrash metal, si tu parles de groupes comme Immortal ou Mayhem au début des années quatre-vingt, tandis que nous axons nos titres sur une voie plus heavy avec beaucoup d’ambiances et un côté épique. Il y a désormais une séparation distincte car ils ont beau dire qu’ils veulent rester underground, la plupart tournent et vendent pas mal de disques.

Quelles sont vos relations avec ces autres groupes ?
Il nous arrive de boire quelques bières avec certains dans les bars et en tournées. Concernant les relations qui pourraient être tendues entre les musiciens, si elles viennent de quelque part, c’est surtout des autres mais pas de nous ! (rires) Si certains veulent partager une scène, aucun problème, c’est quand ils le souhaitent. À propos des ventes de disques, si on en vend plus, c’est normal, tout comme les tensions qu’on peut provoquer, il y en aura toujours qui nous détesteront ! (rires)

Quelle idée se cache derrière ce nouvel album Abrahadabra ? Pourquoi ce choix d’un seul mot plutôt que les trois habituels ?
C’est une formule magique employée par Aleister Crowley. Cela représente une nouvelle ère et le choix d’un seul mot souligne notre souhait d’aller de l’avant et de sonner différemment. A faire inlassablement la même chose, tu finis immanquablement en tant que groupe par te brûler les ailes. Tu dois faire évoluer tes idées et sortir des sentiers battus. Tu dois saisir ta chance. Ce titre incarne le changement, un nouveau départ.

Avec votre précédent album, In Sorte Diaboli, vous avez tenté votre premier concept album. Abrahadabra en est-il la suite ?
Non, c’est une toute autre histoire. Ce n’est d’ailleurs pas un concept. Silenoz a vraiment écrit sur différents thèmes, beaucoup sur Aleister Crowley, tout comme sur Dimmu Borgir. C’est donc vraiment très personnel. Nous avons jonglé avec de nombreuses idées.

Vous aviez opté pour un son résolument plus cru sur In Sorte Diaboli. Pourquoi un tel choix ?
Quand tu rentres en studio, tu ne sais jamais à quoi t’attendre avec l’ingénieur du son. C’était la troisième fois que nous y enregistrions. Or cela reste du pur hasard, mais je vois ce que tu veux dire quand tu dis « cru ». Nous avions utilisé beaucoup de synthétiseurs midi et non de véritable orchestre, ce qui a produit une certaine atmosphère. En aucun cas nous n’avions délibérément choisi de le rendre tel quel.

Ce nouvel album semble particulièrement épique, les fans vont-ils y adhérer ?
C’est comme tout ! Certains oui, d’autres non. Dimmu Borgir a toujours été adoré ou détesté. A l’époque de Puritanical Euphoric Misanthropia (2001), ce fut un grand pas de franchi, vers une toute autre direction. Et les gens ont été surpris, pas seulement par les orchestrations, mais la batterie et les guitares se sont révélées radicalement plus techniques, bien plus que Stormblast (1996) par exemple ! (rires) Les gens n’apprécient pas tellement les changements en général. Ils ont besoin de temps pour digérer la chose, c’est tout…

Peux-tu nous parler de ce fameux orchestre ?
Il se nomme le Kringkastingorkestret. C’est l’orchestre officiel en Norvège pour la radio et la télévision. Il comprend cent une personnes avec un chœur et tout ce qui suit. Nous avons travaillé avec l’extraordinaire Gaute Storaas, comme par le passé sur Death Cult Armageddon (2003) par exemple. Il a tout pris en main, tout s’est fait quasiment en une prise. Ils jouaient et ça le faisait instantanément, c’était vraiment très professionnel ! Tout a d’abord été écrit et passé par des synthétiseurs midi pour recréer le son des violons, violoncelles et autres instruments. Au final ça sonne vraiment comme nous l’avions imaginé !

Comment s’est passé le processus d’écriture ?
Nous avons commencé il y a environ un an lorsque tout le monde était encore dans le groupe. Cela se passait principalement chez Shagrath avec Silenoz et moi-même. Nous bossions environ trois à quatre fois par semaine tous les trois. Nous étions les seuls à participer car les autres ne se montraient pas beaucoup. Nous avons travaillé comme ça pendant un petit moment avec quelqu’un qui pondait un début de chanson, puis un autre. On revenait dessus en changeant des passages très méticuleusement, etc. On a vraiment travaillé très dur sur cet album, comme jamais auparavant.

Maintenant que vous possédez une certaine notoriété, pourquoi ne pas revenir à un chant en norvégien ?
Nous pourrions, nous l’avons déjà fait par le passé, pourquoi pas pour le prochain album ? Nous avons déjà trois textes écrits en norvégien pour la suite, mais en ce qui concerne Abrahadabra, tout s’est passé si vite que je dois bien avouer que ça ne nous a même pas traversé l’esprit.

[Silenoz prend place.]

Êtes-vous familier avec les musiques progressives d’un point de vue général ?
Silenoz et Galder : Rush !!!
Galder : C’est un des premiers disques que j’ai eu par l’intermédiaire d’un ami. Ils ont vraiment d’excellents albums et c’est très certainement une influence en ce qui me concerne.
Silenoz : Pour ma part, j’ai été très influencé par les années soixante-dix. J’ai beaucoup écouté Cactus par exemple mais je ne sais pas si on peut considérer comme du prog.
Galder : Vous pouvez avoir l’impression que le genre progressif est développé en Norvège alors que c’est bel et bien la scène black et death metal qui domine.
Silenoz : Nous avons Pagan’s Mind !
Galder : Le progressif grandit peu à peu en Norvège mais reste toutefois très confidentiel, à mon avis.
Silenoz : Si c’est trop technique, je me sens perdu et ça me saoule rapidement. Il y a des groupes comme Necrophagist que j’aime beaucoup, extrême et très technique qui peuvent être considérés comme « proggy » si tu perçois les choses sous cet angle.

Que prévoyez-vous d’organiser pour vos vingt ans de carrière d’ici trois ans ?
Galder : C’est marrant, on m’a posé la question récemment, ce matin-même je crois !
Silenoz : Nous en avions déjà parlé pour nos dix ans et toujours rien ! (rires) Nous n’y pensons pas autant que les gens qui nous écoutent. On a déjà assez à faire avec le groupe : composer, tourner, promouvoir, etc. et le temps passe une allure folle. On ne se rend pas compte que nous faisons ça depuis si longtemps ! Et si tu dois te concentrer sans arrêt sur le fait que tu vieillis, ce n’est pas une bonne chose…
Galder : Allez, on fera sûrement quelque chose de cool pour nos vingt ans !

Jouez-vous aux jeux vidéo ?
Galder et Silenoz : Oui ! (rires)
Galder : On nous dit souvent que certains passages font penser à Star Wars ou au Seigneur des anneaux. Peut-être est-ce ce côté très cinématographique qui confère un aspect épique à notre musique.
Silenoz : En revanche, nous ne composons pas à dessein. Les idées s’enchainent naturellement. D’ailleurs nous sommes plus critiques avec le temps et le processus d’écriture s’en trouve rallongé.

Que diriez-vous à des gens qui ne vous connaissent pas pour leur faire découvrir votre musique ?
Galder : Je connais beaucoup de personnes qui n’aiment pas le metal et qui m’ont pourtant dit apprécier Dimmu Borgir, soit pour les chants clairs, soit pour les parties orchestrales. C’est cette combinaison de passages lents et rapides, parfois calmes parfois brutaux. Tu peux vraiment y trouver des éléments que tu aimes en général. Je n’ai pas dit que c’était  facile pour tout le monde mais je pense que ce que nous proposons reste accessible.

L’aspect satanique occupe une place importante dans votre musique, est-un gimmick ou une réelle idéologie ? Ne pensez-vous pas surtout que cela peut vous couper d’un auditorat plus conséquent ?
Galder : Forcément car nous jouons du black metal ! C’est ce qui donne ce côté noir et mystérieux. Oui c’est un facteur important, mais ce n’est pas un gimmick. Pour d’autres groupes oui, pour nous non. C’est difficile de ne pas catégoriser et aller vers le satanisme est une direction logique, pourrait-on dire. Le black metal n’est pas supposé parler de politique.
Silenoz : Nous sommes ce que nous sommes. Si les gens ne sont pas intéressés par la façon dont nous nous habillons et tout le reste, ce n’est pas notre problème… (rires)
Galder : Nous n’obligeons personne à nous écouter. De toute manière, nous ne changerons pas.