– Du sang sur le toit

Enfoui dans le Sundgau profond, non loin de la frontière suisse, le village alsacien a accueilli l’événement organisé par l’association Genesis France dans cette région peu habituée à ce genre de manifestations. C’est un peu moins de trois cents die-hard fans qui ont fait le déplacement ce week-end pour applaudir le prestigieux guitariste et ses invités.
 
Samedi 22 mai

Pour la première journée, ce n’est certainement ni Unifaun ni The Watch qui ont motivé les mélomanes à se rendre vers ce lieu perdu au milieu de nulle part. Les Suédois ne fouleront d’ailleurs jamais la scène, pour une raison qui reste floue, et le spectacle « surprise » des Italiens prévu en remplacement se réduit à une prestation minimaliste d’à peine une demi-heure, composée entre autres de « Stagnation » et « Anyway ». Ce maigre dépannage gentiment proposé par ces aficionados de Genesis, qui ont eux-mêmes eu du mal à arriver à bon port, a toutefois dû faire grincer quelques dents…

S’ensuit une pause de… plus de trois heures ! Le soleil a répondu présent, fort heureusement, la buvette (et ses prix prohibitifs, dignes d’un grand festival d’été) et les quelques bancs installés au dehors permettent de créer un moment de convivialité. Ceux qui n’avaient rien prévu ont dû mortellement s’ennuyer, à moins d’une sieste dans l’herbe ou d’une visite de l’église paroissiale et des moulins de cette petite bourgade de six cents habitants.

Le dîner collectif achevé, Steve Hackett débute sa prestation acoustique, d’abord seul, puis bientôt rejoint par son frère John à la flûte et Roger King aux claviers. Le trio respire la bonne humeur et le set, constitué du matériel des trois larrons et de quelques titres de Genesis, est justement ovationné. The Watch enchaîne une heure plus tard avec un show basé principalement sur la reprise de l’album Foxtrot. La prestation est solide, sans surprise néanmoins, et vient conclure une journée en demi-teinte, qui aurait gagné à être plus resserrée dans le temps.

Petite pensée émue en outre pour ceux qui n’auront pu assister qu’à cette première journée, pour la bagatelle de cinquante euros… Même si le concert de Steve Hackett a largement tenu ses promesses, une partie du public a probablement dû repartir avec le sentiment de ne pas en avoir eu pour son argent.

Dimanche 23 mai

Si la journée de dimanche est marquée par les concerts des duos John Hackett et Nick Magnus, ainsi que Nick et Franck – des locaux reprenant Genesis façon acoustique – nul doute que c’est bien le groupe électrique de Steve Hackett qui sera le point d’orgue de ces deux journées ensoleillées. L’ensemble entre sur la scène sous les applaudissements du public d’environ deux-cent-cinquante personnes toutes acquises à sa cause. Le concert commence avec un « Mechanical Bride » très enlevé, sorte de remake de « 21st Century Schizoid Man », démontrant s’il en est l’influence profonde de King Crimson sur l’Anglais.

La première partie du concert se concentre sur la carrière solo de l’artiste, dont il faut retenir les excellents « Ace of Wands » (Voyage of the Acolyte), « Everyday » et « Spectral Mornings ». Un sympathique « Carpet Crawlers » vient illuminer ce début de set qui pèche par un certain manque de folie. Les parties vocales ne sont a priori pas le point fort de ces excellents musiciens qui entourent un Steve Hackett en grande forme, bien que souffrant de la chaleur de la scène (à moins que cela soit en raison de sa veste hors saison). Mention spéciale pour Nick Beggs, survolté à la basse et au Stick Chapman, et le souffle divin de Rob Townsend au saxophone et à la flûte. 

Les choses sérieuses débutent réellement avec « Firth of Fifth », peut-être le meilleur morceau jamais écrit par Genesis. L’interprétation est identique, copie carbone, à la version de Selling England by the Pound : même introduction au piano jouée à la perfection par Roger King, même inflexions vocales que Peter Gabriel de la part de Gary O’Toole, qui en plus d’être un batteur de haut niveau est sans doute le meilleur chanteur de la soirée. Toujours aussi magnifique, le solo de guitare, tel un concerto de Beethoven, ne dévie pas d’un iota de la partition originale.

S’ensuit une série de perles acoustiques et un étonnant « Blood on the Rooftops », qui tiennent littéralement le public en haleine. La fin du concert – en majorité basé sur le répertoire de Genesis d’avant 1977 – reste de ce haut niveau. On regrettera juste ce « Still Waters » sans grand intérêt qui confirme que Steve Hackett n’est pas un grand bluesman. Alternant des moments essentiels avec des passages plus dispensables (certains morceaux de ses albums les plus récents), le Britannique et son groupe ont assuré une prestation solide et variée.

Place maintenant aux Gens de la Lune qui, étonnamment, font sortir le public pour effectuer leur balance. Dommage car certains, au vu de l’heure tardive, en ont profité pour quitter les lieux. Toujours aussi fou, Francis Décamps foudroie l’audience de ses regards hallucinés tout en tirant des sonorités d’outre-tombe de ses claviers. Le style racé de Damien Chopard à la guitare sied à merveille à la musique du groupe, mélange d’Ange et de hard rock, tandis que Jean Philippe Suzan assure ses parties d’une voix de maître.

La filiation trop directe avec la musique angélique des grandes années (1973-1978) représente toutefois une limite que l’on espère voir les Français dépasser dans le futur. Le medley de Ange, sommet du concert avec un « Hymne à la vie » au final magnifique, va dans le sens de ces observations. L’hommage fait à Genesis et à Steve Hackett en particulier en a étonné plus d’un. Il aurait été intrigant de connaître l’avis de l’intéressé qui a malheureusement mis les voiles avant le début du concert…

Avec ce week-end consacré à l’ancien guitariste de Genesis, l’association Genesis France a réussi son coup pour l’essentiel, même si les aléas de ce genre d’organisation sont parfois plus qu’hasardeux (l’annulation du concert de Unifaun et un entretien raté pour des raisons encore inconnues). Il aura surtout permis aux amateurs du guitariste de l’apprécier sous toutes ses facettes, tant acoustique qu’électrique, dans un cadre pour ainsi dire étonnant.