– Hommage, ô desespoir !

Commun à tous les genres musicaux, l’exercice souvent risqué de la reprise n’épargne pas la mouvance progressive. Des albums entiers, parfois doubles voire triples, sortent régulièrement depuis les années quatre-vingt-dix. Quelle motivation pousse donc les maison de disques à produire ces tributes ? Une dévotion quasi-religieuse pour les artistes ainsi honorés ? L’assurance d’une rentrée d’argent facile ? Toujours est-il que pour une niche musicale aussi restreinte, les disques-hommages sont légion pour le plus grand bonheur des fans… et parfois à leur plus grande consternation.



Parmi les groupes les plus souvent « hommagés », Genesis, assurément la plus populaire des formations progressives dites « classique », tient le haut du pavé. D’autres comme Yes sont plutôt épargnés par le phénomène. Il est d’ailleurs amusant de constater que plus la musique d’un groupe est complexe, tant sur le plan technique que sur celui des arrangements, plus le résultat est… aléatoire ! Ainsi, Dream Theater, King Crimson ou Gentle Giant, pour ne citer qu’eux, ont connu « l’honneur » de l’hommage, mais les titres repris étaient parfois bien au-dessus des capacités de leurs interprètes !


Il arrive également qu’un artiste consacre la totalité d’un album à des reprises. Citons par exemple Peter Gabriel avec Scratch My Back ou Fish avec Songs From the Mirror. A l’inverse, l’artiste honoré voit parfois ses albums réinterprétés dans leur intégralité. Sur scène, Dream Theater s’est d’ailleurs distingué dans cet exercice, reprenant en concert The Number of the Beast de Iron Maiden, Master of Puppets de Metallica et The Dark Side of the Moon de Pink Floyd. D’autres groupes vont jusqu’à dédier toute leur activité au répertoire d’un artiste. On pense notamment à The Australian Pink Floyd Show ou encore The Musical Box, qui pousse le mimétisme jusqu’à reproduire dans les moindres détails les prestations scéniques de Genesis.



Côté labels, Mellow Records arrive largement en tête du nombre de disques produits. Alors que King Crimson, Genesis, Camel, Gentle Giant, Van der Graaf Generator, ELP et The Moody Blues ont déjà eu droit à leur hommage, la maison de disques italienne semble remettre le couvert tout récemment avec des sorties dédiées à Marillion, Santana, Genesis, Yes et Pink Floyd. Si certains de ces albums constituent d’intéressantes curiosités, la qualité d’ensemble reste bien en-deçà de celle des productions de Magna Carta. Fort d’une écurie (qui fut) prestigieuse, le label américain peut se targuer d’un niveau d’ensemble souvent très élevé. A ce jour, son catalogue propose des hommages à Rush (trois au total), Genesis, Yes, ELP, Jethro Tull et Pink Floyd.

Parallèlement à ces relectures qui évoluent plus ou moins dans le même univers musical, il existe de nombreuses réinterprétations dans des styles très différents, comme la musique de chambre (After Genesis, The Cryme of Selling Lambs), le piano (Gudal & Matte, Genesis For Two Grand Pianos), le jazz (Crimson Jazz Trio, King Crimson Songbook).



Il est à noter que des formations se spécialisent dans l’appropriation du répertoire de divers artistes, tel le quatuor à cordes String Quartet qui a déjà de nombreux disques à son actif, dont des tributes à Rush, Dream Theater, Pink Floyd, Radiohead, The Mars Volta, Muse, Peter Gabriel, Tool et de nombreux autres (plus de détails sur le site du label, Vitamin Records). Au rayon des curiosités, citons également 21st Century Schizoid Band, groupe formé d’anciens membres de King Crimson et reprenant des titres de… King Crimson.

Afin que le lecteur s’y retrouve, voici une discographie sélective, en aucun cas exhaustive, de ce qui se fait de mieux… et de pire dans le domaine !

Les franches réussites



Magna Carta détient incontestablement la palme de la qualité. Ses productions valent presque toujours qu’on s’y attarde. Certaines d’entre elles sont même devenues des références en la matière.

Working Man [hommage à Rush] – Magna Carta

Le premier des disques-hommage à Rush publié par Magna Carta est aussi le meilleur. L’équipe engagée sur ce projet fait tout simplement rêver : Fates Warning, Devin Townsend, Billy Sheehan, Steve Morse, des membres de Dream Theater (Mike Portnoy, James Labrie, John Petrucci), de Symphony X (Michael Romeo, Michael Pinnella), de Cynic (Sean Malone, Sean Reinert) et de Shadow Gallery. Le résultat est à la hauteur du casting : la joie quasi-enfantine des musiciens de jouer un titre de leurs idoles s’exprime ici de manière flagrante.

Supper’s Ready [hommage à Genesis] – Magna Carta

Là encore, le casting est impressionnant : Shadow Gallery, Richard Sinclair, Pete Bardens, Kevin Gilbert, Annie Haslam et quelques groupes bien connus du mélomane averti (Cairo, Magellan, Enchant,…). Supper’s Ready parcourt les deux décennies les plus marquantes de Genesis avec une égale réussite, se détachant suffisamment des versions originales pour ne pas tomber dans la simple redite.

Mannerisms – A Celebration of the Music of Geoff Mann [hommage à Geoff Mann] – Verglas

Cet album mérite de figurer à plus d’un titre dans cette liste. Réalisé à la suite du décès en 1993 de Geoff Mann, chanteur notamment de Twelfth Night mais également peintre, écrivain et homme d’église, Mannerisms est un vibrant hommage à une personnalité hors du commun, par notamment la quasi-totalité des grands groupes de néo-progressif britanniques des nineties : Pendragon, Jadis, Twelfth Night, IQ, Galahad, Pallas, etc.



Rewiring Genesis: A Tribute to the Lamb Lies Down on Broadway [hommage à Genesis] – ProgRock Records
Très controversé à sa sortie, méprisé par bon nombre de puristes de Genesis, A Tribute to the Lamb Lies Down on Broadway commet le sacrilège de réarranger une œuvre emblématique du rock progressif. Et pourtant, qu’il est bon ce blasphème ! Instigateur du projet, Nick D’Virgilio (Spock’s Beard) a eu le courage de poser un regard nouveau sur cet « intouchable » du prog : une pléthore de cuivres, de cordes, de l’accordéon, des couleurs jazz, et voilà que les péripéties de Rael prennent une tournure différente !



Les efforts louables

Subdivisions et New World Man [hommages à Rush], To Cry You a Song [hommage à Jethro Tull], Tales From Yesterday [hommage à Yes] et même Encores, Legends & Paradox [hommage à ELP] méritent tous de s’y attarder. Tous les disques produits par Magna Carta contiennent leur lot de bons titres, interprétés par de vrais fans doublés de musiciens réputés.

Voices [hommage à Dream Theater] – Adrenaline Records

On retrouve sur cette compilation des clones bien connus de Dream Theater comme Empty Tremor, Aztec Jade ou Evil Wings, la plupart disparus aujourd’hui. Certains d’entre eux s’en sortent d’ailleurs plus qu’honorablement malgré la difficulté de la tâche. On saluera aussi l’originalité de ce double CD qui propose des compositions originales de chacun des groupes représentés. Si Voices est à déconseiller totalement aux allergiques du prog metal des années quatre-vingt-dix, il constitue un investissement intéressant pour ceux qui sont tombés dedans quand ils étaient petits.



The Fox Lies Down [hommage à Genesis] – Purple Pyramid, réédité quelques années plus tard en une version augmentée de trois titres nommée Our Own Special Way – Music Avenue
Malgré une affiche prestigieuse (The Flower Kings, Patrick Moraz, John Wetton, Daevid Allen, etc.), le résultat reste mitigé. Se focaliser sur la période seventies de Genesis et sortir certains titres de leur contexte n’était pas forcément une bonne option et certains s’y sont cassé les dents. L’ensemble reste néanmoins bien interprété mais ne prend que peu de liberté avec les originaux.

Recital For a Season’s End [hommage à Marillion] – Mellow Records

Voici l’un des rares hommages produit par Mellow Records qui mérite que l’on s’y attarde quelque peu. Toutes les périodes du groupe britanniques sont survolées et la bonne volonté de la plupart des groupes est tangible.

Giant Tracks [hommage à Gentle Giant] – autoproduction

Les réinterprétations s’éloignent ici des originaux. Si toutes les tentatives ne sont pas couronnées de succès, l’effort, qui s’inscrit dans l’esprit non conformiste de Gentle Giant, est à saluer. A noter que Giant Tracks contient deux compositions originales dans l’esprit du groupe, l’une de feu Kevin Gilbert, « Suit Canon – Fugue of the A&R Staff » (que l’on retrouve sur le concept album The Shaming of the True) et « In Memory of Gentle Giant » de Gustavo Matamoros, qui mêle quelques-uns des thèmes du gentil géant.

Les tentatives calamiteuses

Hope For the Future [hommage à Marillion] – Out of This World Records

Un album sorti de nulle part, interprété par des groupes tous plus obscurs les uns que les autres (excepté John Welsey, bien connu des fans de Marillion). La prestation d’ensemble souffre d’une absence de professionnalisme, d’autant que certains groupes prennent le risque inconsidéré de s’éloigner de l’original. On ne retiendra qu’une ou deux tentatives, dont l’interprétation de John Wesley lui-même.



Giant For a Life [hommage à Gentle Giant] – Mellow Records

Malgré quelques doublons par rapport à Giant Tracks, le niveau d’ensemble est bien plus faible. Quand le chant n’est pas calamiteux (n’est pas Derek Shulman qui veut ! Ecoutez donc « Cogs in Cogs » !), c’est la production très amateur ou l’interprétation mollassonne voire laborieuse qui plombe les bonnes intentions de cet hommage.



The River of Constant Change [hommage à Genesis] – Mellow Records

Quand une pléiade de seconds voire troisièmes couteaux du progressif des années quatre-vingt-dix, dont une bonne pelletée de groupes italiens insignifiants décide de célébrer Genesis, cela donne un patchwork de reprises aussi maladroites que quasi blasphématoires.



Eyewitness [hommage à Van Der Graaf Generator] – Mellow Records

On s’en serait douté, reprendre du Van Der Graaf Generator relève de la gageure. Ce n’est pas pour rien que peu de groupes s’y sont essayés. A l’instar de King Crimson (qui ne méritait sans doute pas les deux hommages qui lui sont consacrés, Schizoid Dimension et The Letters), les disques de la bande à Peter Hammill sont des œuvres habitées, souvent des cris venus du fin fond de l’âme, loin du romantisme onirique de Genesis. Eyewitness, c’est l’amateurisme au service d’un désert émotionnel.