Shaolin Death Squad – Cinq raisons mortelles d’aimer

L’attente aura été intolérable, mais les Cinq (depuis peu six) Venins Mortels de Shaolin Death Squad viennent enfin de donner un successeur à Intelligent Design. Dans leur infinie bonté, les frangins O’Hearn, David aka Dragon Rouge et Androo aka Cygne Blanc, ont accepté de révéler aux petits scarabées de Progressia les techniques secrètes employées dans une musique qui mérite de sortir du relatif anonymat dans lequel elle se trouve encore.

Progressia : Salut les Texans ! Tout d’abord, pouvez-vous nous parler de votre nom, qui serait inspiré d’un film d’arts martiaux des années soixante-dix ?
Il semble bien que ce soit Dave qui ait proposé ce nom après un souvenir laissé il y a longtemps par le clip « Efilnikcufecin » du groupe Anthrax. Ils avaient fait un sketch plein d’humour qui s’appelait The Shaolin Death Squad, tiré bien évidemment du film des Shaw Brothers. Auparavant, nous avons connu plusieurs incarnations sous différentes appellations. Nous étions prêts à changer de nom car nos compositions devenaient plus cohérentes, le line-up se stabilisait et ce nom correspondait au groupe. Nous ne savons pas s’il existe vraiment des « escadrons shaolins de la mort », ça semble contradictoire, un peu comme nos compositions finalement.

Sur scène, vous portez des masques et des costumes. Êtes-vous fascinés par ce genre de films ou par la Chine du Moyen Âge, ou vous amusez-vous simplement ?
Shaolin Death Squad est une fusion de plusieurs éléments issus de l’Asie. Nous apprécions beaucoup l’art, la musique, les films, la nourriture et la culture asiatiques, surtout le mélange qui en découle. Un ancien membre du groupe, Brian Lewis, est venu un jour en répétition avec un costume intégralement oriental, juste après avoir rejoint le groupe. On venait tout juste de choisir notre nom et on s’est dit que de tels accoutrements seraient un très bon apport visuel à notre musique. Devant le public, on aime avoir l’air aussi étrange qu’elle.

Votre premier EP éponyme contenait déjà une grande diversité de styles musicaux. Une sorte de patchwork original entre Faith No More et Cynic. D’autre part, le titre « Sleepless » possédait des sonorités plus ambient ou post-rock. Quels sont les groupes qui vous influencent le plus et comment les définiriez-vous ?
Cette question pourrait avoir six réponses différentes puisque nous – Androo, Gary, Matt, Kenny, Kelsey et moi-même – possédons des influences différentes qui couvrent un très large champ musical. En grandissant, nous avons écouté à peu près tout ce qui nous tombait sous la main, de William Tell Overture à Rush, de Mozart et Bach à Willie Nelson, Fleetwood Mac, Bob Dylan, Fates Warning, Faith No More, etc. Ce que nous nous sommes mis entre les oreilles, nous l’avons digéré. Nos parents étaient de grands mélomanes, très influents dans notre éducation musicale. Nous avons tous les deux commencé le piano à six ans et avons toujours étendu notre palette en écoutant des artistes comme Devo, Oingo Boingo [le groupe du prestigieux compositeur Danny Elfman, NdlR], Frank Zappa, Stevie Wonder, Michael Jackson jusqu’à aller vers des groupes plus heavy comme Iron Maiden, Queensrÿche, Metallica et Slayer. Puis nous avons évolué vers les groupes metal de Floride tels que Death, Disincarnate, Cannibal Corpse et tous ces musiciens et artistes géniaux. En ce qui concerne Dave, Carcass fut une influence énorme tout comme l’album Focus de Cynic qui changea tout pour lui, en particulier la façon dont il abordait le rôle de la guitare dans le rock et le metal. Cela a redéfini sa conception du heavy. Nous nous sommes intéressés à tous les genres musicaux. Sur ce premier EP, nous expérimentions et recherchions une voie. Nous avons essayé tous les riffs tout en continuant à être cohérents musicalement. Il y a sans aucun doute des passages carrément schizophréniques.

Intelligent Design fut un grand pas en avant, mêlant encore plus d’influences tout en gardant une grande unité et un style très personnel. Comment l’album a-t-il été reçu ? Avez-vous été contactés par des maisons de disques à l’époque ?
Ce premier album était génial car les compositions devenaient plus agglomérées les unes aux autres et notre style commençait nettement à s’affirmer. Nous avons également essayé des techniques d’enregistrement qui allaient de pair avec de nouvelles compositions. Chaque nouvel album de Shaolin Death Squad poussera les techniques d’enregistrement plus avant, tant que les morceaux repousseront les limites de notre écriture, en espérant que cela attire l’attention. Nous nous sommes rendus compte que l’Europe, la France en particulier, était plus ouverte et réceptive à la musique. Elle ne rentre pas dans un moule et nous aimons les gens qui en apprécient les bienfaits. La musique n’est en réalité qu’une partie de l’équation, car il y a également la promotion et la passion manifestée par des publications telles que Progressia, ainsi que le bouche à oreille de nos fans et amis européens. On plaisante tout le temps sur le fait de s’y installer… un jour. Je suis sûr que bientôt, ce ne sera plus une blague. Le label Equilibre Music a été intéressé par nous. J’étais devenu ami avec Arno de Carnival in Coal – à rajouter à la liste d’influences – qui m’a aidé à entrer en contact avec eux. Ils étaient vraiment sympas et avaient des groupes très intéressants dans leur écurie, mais au final cela n’a pas marché. Les affaires sont les affaires. Nous avons été contactés également par The End Records, qui travaille déjà avec nos potes de Sleepytime Gorilla Museum [dont s’occupe Equilibre Music en France. Les histoires de territoires restent souvent bien floues et compliquées, NdlR]. Bref, une question décisive s’est posée : « Pourquoi ne pas tout faire nous-mêmes ? ». Aucun compte à rendre à personne, nous gardons tous les profits et écrivons ce que nous voulons. Evidemment, avoir un soutien n’est pas négligeable quand il s’agit d’être distribués et de tourner. Mais à long terme, si tu veux faire quelque chose, fais-le toi-même !

Votre nouvel album Five Deadly Venoms fait référence une fois de plus à un film d’arts martiaux. Quel est en le concept, si toutefois il en existe un ?
C’est une histoire classique de cupidité qui raconte à quel point des gens visiblement vertueux peuvent facilement être corrompus. Peu importe que le sujet soit l’argent, le pouvoir, les voitures, les maisons ou les femmes, c’est destructeur dans tous les cas. La cupidité réveille nos instincts primaires. Elle détruit des familles, des amitiés et des communautés. Chacun des personnages du film était très complexe. Au lieu de re-raconter l’histoire, on s’est dit qu’il serait plus intéressant d’écrire sur la facette psychologique de chacun d’entre eux. Ils s’entrecroisent de la même manière que la musique. Une écoute attentive permet de relever des signatures musicales dans chaque morceau. Même si chaque « Venom » possède sa propre personnalité, ils restent tous connectés.

Il y a bien plus de claviers et d’influences heavy sur cet album. Les morceaux sont plus concis voire catchy, mais gardent toutefois des structures originales. Pensez-vous toucher un plus large public avec cet album ?
Il y a effectivement plus de claviers, sans qu’ils soient trop lourds, mais également plus de guitares, sans qu’elles ne soient trop heavy non plus. C’est en écoutant une grande variété de musiques différentes que les membres de Shaolin Death Squad en sont arrivés là. Par exemple, j’ai écouté dernièrement beaucoup de Mastodon, Gojira et The Red Chord mais également d’autres groupes comme The Knife, Goldfrapp, Björk, Amon Tobin et Kayo Dot. Concernant les structures étranges, ce ne serait pas un vrai album de Shaolin Death Squad s’il n’y avait pas de passages où l’on se dit « What the fuck ? ». On adorerait avoir un public plus élargi, mais pas en remettant en question notre musique. Si les gens l’écoutent et que ça leur parle, alors c’est parfait ! Sinon, ce n’est pas un problème, ce n’est simplement pas pour eux.

Depuis ses débuts, Shaolin Death Squad a un style très personnel dans les parties chantées. La voix versatile d’Androo rappelle celle de Paul Masvidal de Cynic ou bien encore celle de Geoff Tate de Queensrÿche. Comment se décide quel chant se prête le mieux à tel ou tel titre ?
Androo avale des bouts de verre et des clous rouillés. Ensuite, on lui frappe dans le ventre chacun à notre tour. (rires) Il est très consciencieux quand il s’agit de travailler son art. Chaque instrument, y compris les parties vocales, est dicté par le morceau. Si cela ne rend pas le morceau meilleur, on jette. Androo n’est pas seulement conscient de quel style vocal il faut utiliser pour un passage en particulier, il le sait même avant d’avoir joué une note, puisqu’il est le compositeur principal. De plus, il possède un éventail qui lui permet des possibilités très larges de signatures vocales. Avec l’arrivée de Kelsey Sharp, nous allons être en mesure de faire trois à quatre parties harmoniques.

Votre batteur Matt Thompson a joué avec King Diamond et sur le troisième album d’Aghora. Les membres de Shaolin Death Squad sont-ils tous impliqués dans d’autres projets ? Avez-vous également de vrais jobs ?
Nous avons tous des projets à côté. Dave joue par exemple pour The Spectacle, Post Human, Naqual et a également collaboré avec Bat Castle. Il y a juste trop de musiques dans le monde et trop d’expériences à vivre pour repousser ses barrières musicales. Cela étant dit, nous devons tous aller travailler comme le reste du monde pour payer notre loyer. Nous avons toutefois la chance que Shaolin Death Squad soit économiquement viable. C’est une machine autonome qui marche très bien. On ne s’achètera pas de bateaux tout de suite… mais ce n’est bien évidemment pas le but.

A regarder les vidéos publiées sur YouTube, Shaolin Death Squad est un groupe taillé pour la scène. Vous avez joué entre autres avec Sleepytime Gorilla Museum qui semble avoir une certaine influence sur vous. Est-ce facile pour un groupe aussi atypique de trouver des dates ?
La scène est l’essence même de Shaolin Death Squad. Cependant, il n’est pas évident de trouver des propositions intéressantes. On est contacté toutes les semaines mais la partie la plus ardue consiste à pouvoir jouer avec les bons groupes. J’entends par là avec des groupes « similaires » au nôtre, qui font le pas de plus au nom du divertissement. Nous avons des costumes, des décors, des lumières et des vidéos pour chaque représentation. Nous essayons de faire tout ce que nous pouvons pour nous assurer que les gens qui assistent à nos concerts partent en étant soit fascinés soit terrifiés. C’est pour cela que nous adorons jouer avec des groupes comme Sleepytime Gorilla Museum ou The Invincibles Czars… C’est de la musique englobant une performance artistique. Le gros lot en somme. Ces deux groupes ont placé la barre très haut, à ce niveau-là. Evidemment, les musiciens qui se donnent à fond sur scène en jeans et t-shirts font exactement la même chose que nous, mais pas de la même manière. Ce qui est important, c’est que si une personne sort d’un concert de Shaolin Death Squad – ou de n’importe quel groupe, d’ailleurs – en se disant qu’elle est vraiment contente d’y avoir assisté, alors on a réussi. Avec un peu de chance, elle reviendra en amenant quelqu’un avec elle.

Pensez-vous avoir des opportunités de jouer en dehors des Etats-Unis à l’avenir, éventuellement en Europe ? Ou peut-on espérer vous voir un jour sur DVD ?
Oui, c’est très possible. Nous parlons sérieusement de venir tourner en Europe depuis deux ans maintenant. Nous n’avons pas pu rassembler assez de dates l’année dernière avec Sebkha-Chott, mais allons essayer à nouveau cette année. Nous pensons tous qu’il est très important de venir sur le Vieux Continent et d’y jouer un maximum. Le seul problème, c’est l’argent. Sans soutien financier, c’est extrêmement difficile. Puisque Do For It Records est avant tout un label non-lucratif, ce qu’il peut nous offrir comme fonds reste vraiment maigre. On devrait peut-être se mettre à jouer à la loterie. A propos du DVD, nous avons plusieurs années d’archives et souhaitons vraiment produire quelque chose plus tard, mais pour le moment on préfèrerait davantage donner une vraie représentation live.

Qui assiste à vos concerts ? A quoi ressemble l’auditeur lambda de Shaolin Death Squad ?
Pleins de gens différents, du type lambda, au geek de la musique – au sens mélioratif – en passant par le musicien accompli ou le curieux qui a juste entendu parler de nous. Il y a toujours une « mer » de t-shirts noirs. Tous les âges sont représentés. On a eu un fan de dix ans qui faisait venir son père aux bars et aux concerts interdits au moins de vingt-et-un ans où l’on jouait. Il avait fait son propre masque qu’il mettait à nos concerts. On a trouvé ça cool et on l’a fait monter sur scène un soir, en lui donnant le micro pour chanter quelques couplets avec Androo. Lorsque nous avons joué à Denton, nous avons eu la chance de voir dans la foule Pops Carter, la légende du blues. Il devait avoir quatre-vingts ans. C’était génial. On adore ce genre de mixité. Nous sommes assez éclectiques, il est donc logique que les gens qui viennent nous voir le soient également.

Vos anciens albums étaient auto-produits. N’est-il pas difficile de trouver un label pour votre style musical ? Est-ce pour cette raison que vous avez créé votre propre label Do For It Records ?
La dure réalité, c’est que les labels ont besoin d’argent pour survivre. S’ils pensent qu’ils ne gagneront pas d’argent grâce à toi, ils ne te proposeront pas de signer, quel que soit ton talent de musicien ou celui de ton groupe. Les labels étaient indispensables il n’y a pas si longtemps car la technologie ne permettait pas d’être autonomes. Les groupes avaient besoin d’argent pour enregistrer, mixer, presser, se promouvoir et tourner. La situation a évolué, et dans le bon sens, selon nous. L’apparition de logiciels d’enregistrement et de nouveaux moyens de publication a porté un coup dur à l’industrie du disque. Nous avons réalisé que nous pouvions sortir un disque plus rapidement et avec des frais moindres, mais qu’en plus nous pouvions diriger intégralement notre création artistique. Nous jouons ce que nous voulons jouer et ne devons ni argent, ni explications à quiconque. En créant Do For It Records et doforitrecords.com, nous avons maintenant un foyer pour tous nos projets et pour d’autres groupes que nous trouvons excellents dans leur domaine. C’est plus un collectif musical qu’un label traditionnel. Le catalogue est un mélange qui reflète notre philosophie de la musique : rock, black metal, techno, ambient metal, New Age, electro et rock théatral. On l’adore, ainsi que les groupes avec lequel on le partage.

Pensez vous que le CD soit condamné à disparaître ? Quelle est votre opinion vis-à-vis de la musique dématérialisée ?
Le disque compact finira bien par disparaître… dans une certaine mesure. Il peut être difficile de s’adapter aux changements rapides de la technologie, mais on ne peut pas arrêter le progrès. Sans la dématérialisation de la musique, nous aurions beaucoup de mal à faire écouter la nôtre chez nous et à l’étranger. Sans YouTube, la plupart de nos auditeurs n’auraient jamais vu nos concerts. Les réseaux sociaux ont été une aubaine pour beaucoup de groupes méritant d’être découverts. Cependant, je dois dire que j’aime beaucoup l’aspect tactile du CD et des formats physiques. Tu peux te servir d’autres sens, en plus de l’ouïe : le toucher quand tu l’as entre les mains, regarder la pochette et lire les paroles, voire sentir l’encre qui a été utilisée pour le presser. C’est quelque chose que le format digital n’apportera jamais. Il est possible bien entendu de lire les paroles et voir la pochette sur ton ordinateur, mais c’est plat et en deux dimensions. J’agrémenterai toujours ma musique digital d’autant d’exemplaires physiques que je peux.

Quels sont vos projets à court et à long terme ?
Nous allons commencer à monter notre tournée de printemps et d’été, tout en travaillant sur de nouvelles compositions pour le prochain album. Il y a quatre ou cinq squelettes de morceaux déjà écrits. La prochaine base de travail ressemble déjà à une nouvelle grosse étape créative pour Shaolin Death Squad. Evidemment, nous continuerons à travailler sur nos autres projets et pour Do For It Records afin que le label grandisse et devienne plus rentable pour tous les autres groupes de l’écurie.

Un dernier mot pour nos lecteurs ?
« Si tu penses que ton travail est fini, la fainéantise a gagné… une fois encore ». Ne vous arrêtez jamais d’aller de l’avant. Ne vous arrêtez pas de créer. Merci à tous nous fans européens, vous êtes l’essence même de ce que nous sommes et la raison de ce que nous faisons. Merci pour cette interview.