Origine : Angleterre
Style : rock grandiloquent
Formé en : 1994
Composition :
Matthew Bellamy – chant, guitare et piano
Christopher Wolstenholme – basse et chœurs 
Dominic Howard – batterie

Progressia ne cessera de vanter les mérites des groupes les plus qualitatifs et innovants, même ceux qui osent caracoler en tête des charts et se permettent le luxe d’investir les stades. Le succès repose parfois sur une formule gagnante où l’Art et les dollars ne font qu’un. C’est une première que d’accueillir dans nos colonnes l’un des trios les plus efficaces de la galaxie rock. Rencontre avec Christopher Wolstenholme dans un grand hôtel aussi pompier que leur musique, et ce n’est certainement pas un mal !

Progressia : Dix ans ont passé depuis votre émergence sur la scène rock internationale. Quel bilan dresses-tu de cette période décennale ? 
Chris Wolstenholme
: Tout est allé tellement vite ! Nous avons évolué en tant qu’êtres humains. Nous étions jeunes quand Showbiz est sorti et le succès rencontré nous a permis de passer du statut de groupe lambda pour adolescents à celui de véritable machine musicale. Cette décennie est passée comme une fusée. Le fait de tourner dans le monde entier renforce d’ailleurs ce sentiment. J’ai encore du mal à à croire que notre premier album a été publié il y a dix ans. Avec cinq albums au compteur, on a l’impression que tout s’est déroulé effectivement en un claquement de doigts.

A l’époque, aviez-vous fait le pari de ne perdurer ne serait-ce que trois ou quatre ans ? Actuellement, cette durée relève parfois du miracle. Au bout de dix ans, vous persistez à être toujours aussi présents sur la scène internationale, malgré les difficultés actuelles rencontrées pour vivre de la musique…
Au moment de signer le contrat pour Showbiz, nous jouions déjà ensemble depuis un peu plus de cinq ans. Obtenir un deal et voir un budget se débloquer pour nous permettre d’enregistrer un album, c’était Byzance ! Nous ne pensions pas vraiment à long terme. Les groupes que nous écoutions à l’époque étaient déjà bien établis et nous nous sommes parfois pris à rêver d’être, pourquoi pas, aussi bien voire mieux lotis qu’ils ne l’étaient. Puis nous avons pris conscience rapidement que nous visions bien plus haut que jouer devant une centaine de personnes, et c’était à l’époque un véritable défi que nous nous lancions. Tout s’est fait à la fois rapidement et progressivement, sans que nous nous rendions vraiment compte de la vitesse à laquelle les choses évoluaient. Nous avons débuté dans des petits clubs et des salles minuscules pour embrayer sur des endroits à capacité plus conséquente, jusqu’à avoir aujourd’hui la chance de jouer dans des stades. Quand je m’assieds et que j’y repense, je me dis : « Zut, c’est arrivé quand tout ça ? » (rires). Il faut avoir fait un certain nombre de concerts pour prétendre pouvoir passer à l’étape supérieure. Nous souhaitions également être présents sur des festivals. Peu importait notre place. Etre tête d’affiche, c’était la cerise sur le gâteau. Enfin, il y a des concerts référence, notamment le premier show réalisé dans une salle à grande capacité. Tout y est multiplié à l’échelle du lieu. Voir tant de gens, autant de vie, c’est assez appréciable, alors imaginez quand nous avons joué à Wembley : c’était magique, surtout quand on pense à tous ces groupes et artistes immenses qui s’y sont produits, sans oublier les grands événements sportifs qui en ont fait l’histoire. Cela a définitivement dépassé toutes nos attentes. Peu de groupes aujourd’hui peuvent se targuer de pouvoir se produire dans un tel lieu. Je parle beaucoup de Wembley mais notre concert au Parc des Princes à Paris était tout aussi magique, j’en frissonne encore ! 

Entamons le plat de (The) Resistance. Pendant notre séance d’écoute, nous avons dégagé trois influences principales que sont Pink Floyd, les Beatles et Queen…
Concernant Queen, c’est indéniable à l’écoute de « United States of Eurasia ». C’est un bon exemple en soi, car nous n’avons jamais été des fans inconditionnels, mais nos parents l’étaient, les écoutant à fond pendant notre jeunesse. C’est d’ailleurs à cette période que s’imprègne le plus dans l’esprit et pour toute la vie les premières expériences musicales réelles. Nos parents respectifs étaient portés sur les disques publiés au milieu des années quatre-vingt tels que The Works et A Kind of Magic. J’ai écouté pour ma part ces chansons dans la voiture avec mon père, mais ça ne fait que quelques années que je m’y intéresse sérieusement. Concernant Pink Floyd, outre The Dark Side of the Moon, je ne connais que très peu. Les Beatles ? Je n’ai jamais été trop accro à leur musique même si j’éprouve un profond respect pour eux et leur contribution historique à la musique actuelle. Dans l’idée, « I Belong to You » possède effectivement cet aspect rappelant Sgt. Pepper. Les premières démos du titre étaient encore peu avancées quand une personne nous a dit que le morceau contenait une réminiscence. C’était tout à fait inconscient, et cela ne nous a pas empêché de poursuivre dans cette voie. Nous avons toujours été ouvert à tous les styles de musique. 

Votre dernier album en date, Black Holes & Revelations, se démarquait de ses prédécesseurs. Le nouveau semble, a contrario, faire office de lien entre tous vos disques…
J’ai toujours pensé que chacune de nos productions se démarquait des autres, tout comme les titres entre eux. Black Holes & Revelations constitue un liant avec Absolution probablement du fait de la présence du même producteur à la console. Concernant le lien évoqué dans votre question, je ne suis pas sûr qu’il puisse s’appliquer à The Resistance, dans la mesure où nous l’avons nous-mêmes produit et que notre approche quant à la production était de factodifférente de celles du passé. Nous possédons désormais notre propre studio, l’avantage étant d’éviter les interférences de tiers. Si problème il y a, il se règle entre nous trois. Spike Stent (Massive Attack) s’est occupé du mixage pour ce nouvel album. En dépit de son CV ancré dans la pop – il a bossé avec les Spice Girls ! (rires) –, nous nous sommes rendu compte que certains titres cuisinés à sa sauce pop profitaient d’un sérieux boost. Cela nous convient car nous sonnons comme un groupe contemporain. Les ingénieurs du son chargés du mixage de nos précédents albums venaient du rock. Ainsi, notre son perpétuait une certaine tradition. Cette fois-ci, le mixage a fait toute sa différence. 

Le nouvel album bénéficie également de claviers analogiques…
Il a été enregistré via une station Pro Tools aux banques de sons d’une quantité et d’une qualité impressionnantes. En parallèle, nous avons utilisé de vieux synthétiseurs. Nous sommes entrés en contact avec un type qui en collectionne. Il possède des claviers vintagefabriqués pendant les années soixante et soixante-dix. Il est venu nous en apporter quelques-uns en studio en nous disant : « Gardez-les tant que vous le souhaitez ». C’est du matériel similaire à celui qu’utilisait Jean-Michel Jarre à l’apogée de sa carrière. Eh oui, je connais Jean-Michel Jarre. (rires) Ma mère l’écoutait beaucoup quand j’étais gamin. J’aimais ce côté avant-gardiste et le fait qu’à l’époque il était un artiste qui sortait réellement du lot. 

Un orchestre vous accompagne notamment sur « United States of Eurasia », un superbe titre d’où s’échappe un extrait d’un des « Nocturnes » de Chopin. Matthew serait-il fan d’Eric Carmen ? (NdlR : chanteur reconnu pour avoir écrit « All By Myself » qui reprend un extrait du deuxième Concerto pour piano de Rachmaninoff)
A vrai dire, je n’en sais rien… (rires)

The Resistance est-il un album conceptuel ?
En partie, mais j’aurais tendance à dire qu’un thème commun est développé sur deux trois titres au travers de quelques textes. Certaines chansons sont assez personnelles, d’autres ont pour thème la politique, ce qui reste assez inhabituel chez nous. Absolution entretenait un aspect apocalyptique, Black Holes & Revelations traitait de théories de complots et The Resistance comporte plusieurs thèmes évoqués et non un seul. 

Il semblerait que vous vous orientiez vers une musique de plus en plus expérimentale et de fait, plus progressive.
Il subsiste un certain équilibre sur The Resistance. On y trouve des titres très condensés et accrocheurs, pas nécessairement pop, mais qui vont à l’essentiel, notamment « Uprising » en ouverture. Jamais nous n’avons débuté un album ainsi, car nos disques précédents s’ouvraient sur de véritables montées en puissance. Là, on rentre directement dans le vif du sujet avec un titre rythmé. On pressent également une ambiance progressive par moments, même si ce n’est en aucun cas progressif du début à la fin. Si tel était le cas, l’attention au début de l’écoute s’égrènerait quelque peu et le disque perdrait de son intérêt. Nous voulons que les gens dansent à l’écoute de nos chansons. 

N’avez-vous pas regroupé toutes vos influences pour The Resistance alors qu’elles restaient peu perceptibles auparavant ? Tu mentionnais « Uprising » : c’est un bon exemple de melting pot tant ce morceau possède un feeling très axé seventies et rappelle notamment des artistes de glam rock comme Gary Glitter ou Marc Bolan & T-Rex, avec toutefois un refrain aux relents de pop indépendante.
Absolument. En commençant à plancher sur ce titre, nous avons immédiatement pensé au son de batterie diffus, gras et très présent. La contradiction réside dans le fait que Matt le chante d’une telle manière qu’il ne sonne pas glam. Son chant et le mien sont totalement différents de Gary Glitter, vous l’aurez remarqué. (rires) L’esprit est là mais avec parcimonie. Nous sommes parvenus à créer quelque chose de nouveau en combinant des éléments plus actuels et contemporains à d’autres plus datés. 

Le titre de l’album appelle-t-il à la résistance ?
Nous vivons à une époque où les gens ont la liberté et le devoir de s’exprimer. On ne leur en donne toutefois pas le droit. En ce moment, le monde marche sur la tête et beaucoup de personnes sont loin d’être heureuses. Elles ne peuvent pas se plaindre et doivent accepter le fait que tout est foutu. Les angles sont biaisés. Chacun a le droit de l’ouvrir, de protester et de combattre pour ses idées. C’est la devise du « marche ou crève ». Je ne sais pas si vous avez entendu dernièrement ce qui s’est passé à Londres, lors d’une manifestation où un homme a été battu par les policiers pour ensuite trouver la mort des suites de ses blessures. Le plus incroyable, c’est qu’il n’était pas lié à l’événement. Bref, aujourd’hui, on ne peut plus dire ce que l’on pense sans craindre pour sa vie. Chaque personne a sa voix et a le droit de dire ce qu’elle pense ! Plus les temps passent et plus elle perd de sa légitimité vu que les gouvernements mondiaux font en sorte que la résistance soit tuée dans l’œuf avant même de prendre forme. C’est honteux d’agir ainsi. Le fait de réprimander des gens parce qu’ils manifestent dans la rue pour faire valoir leurs droits ne devrait même pas exister. 

On dit souvent qu’avant de descendre dans la rue, il faut avoir de vraies idées à défendre, ce qui n’est toujours pas le cas vu qu’une partie de la population manifeste pour des idéaux dont elle ne connait pas forcément les tenants et les aboutissants…
Tout à fait, mais je tends à penser que les gens qui défilent dans les rues ont des idées à faire valoir. Pour ma part, je n’en ai pas donc je ne défile pas. (rires) Certaines personnes font un amalgame entre le fait de manifester et de défendre ses idées, et l’esprit de rébellion. D’autres sont dans les rues, car elles se sentent en inadéquation avec ce qu’il se passe aujourd’hui. Désormais, que ce soit politique ou religieux, tout est prétexte à la manifestation. Parfois, cela conduit au cauchemar de l’humanité qu’est la guerre. Vivre en harmonie et en respectant les autres semble néanmoins bien difficile. 

Votre popularité et votre auditoire n’ont jamais cessé de grossir et incluent une grande variété de fans et d’auditeurs : du fan de progressif aux amateurs de pop en passant, à un degré moindre, par les aficionados d’electro. Que penses-tu du fait que votre musique touche autant de gens venus d’horizons musicaux si différents ? Mike Portnoy, leader de Dream Theater, n’a jamais caché son admiration pour vous, par exemple.
C’est génial, et le fait de se produire actuellement dans des stades prouve que notre musique touche beaucoup de monde. Peu de groupes peuvent se targuer de cet état de fait. En général, les artistes qui en sont capables ont un répertoire à la fois riche, fourni et varié. 

Ecoutes-tu du rock progressif ?
(Hésitant) J’en ai un peu écouté durant ma jeunesse… 

Rush est-il une de tes influences personnelles ? Il existe de fortes similarités entre ton jeu et celui de Geddy Lee…
J’aime Rush sans pour autant être un inconditionnel. Parfois, ça va trop loin pour moi. (rires) C’est intéressant que vous le mentionnez, car la manière donc la guitare et la basse se complètent dans Muse – du moins, harmoniquement – me rappelle davantage la musique classique et un orchestre, même si, in fine, nous ne sommes qu’un trio. Peut-être voulez-vous dire la basse est un peu plus mélodique qu’à l’accoutumée. 

Le fait d’avoir collaboré avec cet orchestre confère une couleur inédite à l’album, de par cet aspect théâtrale voire visuel. Travailler sur une musique de film constituerait-il à terme un aboutissement pour Muse ?
Nous en avons eu l’opportunité par le passé. Mais nous sommes très occupés et ne bénéficions que de peu de temps libre. Il est clair que nous consacrons ces moments à nos familles et à nos proches. A moins d’avoir un énorme trou dans nos emplois du temps, je ne nous vois pas plancher sur ce type de projet. Muse est prioritaire, mais pas de mégarde : composer une bande originale serait un projet excitant même si ces dix dernières années ne nous ont effectivement pas accordé beaucoup de repos. 

Le nom du groupe vous destinait-il à un succès tel que vous le vivez aujourd’hui, en tant que figure désormais incontournable du paysage rock actuel ?
Je ne pense pas. De mémoire, le nom a un lien avec l’un des professeurs d’Art dont Matt a suivi les cours à la fac. Cette période-là correspond avec l’émergence dans notre ville de groupes influencés par des thèmes aussi divers que l’art dramatique, le théâtre, etc. Il existait beaucoup de formations parcourues d’un courant d’énergie positive. Un jour, quelqu’un a dit : « C’est comme si une muse avait débarqué en ville ». Nous nous sommes alors dits : « Muse, ça en jette sur une affiche, non ? » (rires), et voilà l’histoire du nom ! 

Le mot de la fin ?
Un grand merci aux fans pour ce magnifique soutien témoigné depuis nos débuts, rendez-vous en novembre prochain, nous sommes impatients de vous revoir !