ENTRETIEN : PIERRE-YVES THEURILLAT

 

Origine : Suisse
Style : chanson francophone (parfois progressive) de qualité
Formé en : 2007
Composition :
Pierre-Yves Theurillat – voix
Laurent Pétermann – batterie
Kiko Schnyder – guitares
Samuel Chapuis – basse
Stève Fleury – claviers

Personnage bouillonnant, complexe, exigeant mais ô combien touchant et d’une modestie qui confine à la sensibilité exacerbée, le Peter Hammill de la francophonie, chanteur de la formation helvète culte Galaad et meneur de troupe de sa toute jeune Escouade, est enfin de retour. Par le biais de cet entretien en amont de la sortie de son nouvel album solo sous les initiales Pyt, le barde prévôtois prouve qu’il en a sous la manche et se réjouit de retrouver un public quelque peu délaissé ces dix dernières années.

Progressia : On te connaît principalement pour avoir été le chanteur du groupe Galaad, plus ou moins disparu de la circulation après un dernier et magnifique disque intitulé Vae Victis publié en 1996. Tu réapparais aujourd’hui en 2009 à la tête d’un nouveau groupe baptisé L’Escouade. Que s’est-il passé pendant ces treize longues années ?
Pierre-Yves Theurillat :
Onze ans à vrai dire, car l’Escouade existe depuis maintenant deux ans. Après la séparation de Galaad, je me suis concentré une année durant sur le projet Pyt et les Questions : trois mois de travail, douze chansons, deux concerts et rien de diffusé. Le manque de motivation s’est fait ressentir. Il n’y a donc pas eu de suite. Nous avons remonté Galaad en 1998 et rebelote : une année de labeur, deux concerts, quelques nouveaux morceaux et toujours rien de publié. Dans la même période, j’ai travaillé pour plusieurs spectacles de danse avec ma compagne de l’époque. En 1999, je suis parti trois mois à Londres ; une expérience courte et difficile mais finalement enrichissante. Entre 2001 et 2003, j’ai travaillé pour la radio suisse Couleur 3, sans toucher à un instrument quelconque, et cela a duré au travers d’une assez longue traversée du désert, qui a précédé la venue au monde de l’Escouade, symbole de mon retour à la musique et à la scène.

Peux-tu revenir brièvement sur les circonstances de l’implosion soudaine de Galaad juste après son incroyable chant du cygne ?
Je crois que le groupe se scindait finalement en deux camps. D’un côté, ceux qui envisageaient le professionnalisme en musique, et de l’autre, ceux qui penchaient pour un amateurisme « éclairé ». J’appartenais au premier bord. De plus, la personne avec qui je partageais ma vie attendait un heureux événement et cela a précipité les choses. J’ai décidé de rompre avec le groupe. J’aurais certainement mieux fait de demander trois mois de pause, car finalement des problèmes de santé ont mis un terme à cet avenir… Ce fut ainsi et le groupe s’est bel et bien séparé.

Quand et comment as-tu eu à nouveau envie de te remettre à la musique sérieusement ?
J’y songeais depuis un certain temps, sans toutefois retomber dans les travers du passé. Le chant peut devenir terriblement pénible si l’on ne dispose pas d’une bonne hygiène de vie, et ce n’est pas mon cas… C’était la fête, la célébration, la communion perpétuelle, et j’avais tendance à me déglinguer. C’était d’ailleurs assez visible sur scène, je ne m’en rendais pas compte (NdlR : Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil sur les vidéos postées par le groupe sur son site MySpace fraîchement créé). C’est en discutant avec Kiko (Christian Schnyder, guitare) que l’idée de monter un groupe de reprises est apparue. On a cependant assez vite abandonné cette orientation pour se concentrer sur des compositions originales.

La page Galaad ne semble pourtant pas définitivement tournée et le phénix renaîtrait de ses cendres…
Nous nous voyons, avec Sébastien Froidevaux (NdlR : guitariste originel de Galaad), pour composer depuis un certain temps. Un troisième disque est actuellement en projet. Les circonstances actuelles sont toutes autres : pas d’ambitions dévorantes, il est juste question de prendre du plaisir en concevant un bel album, un successeur étonnant à Vae Victis – ou du moins pas décevant. Tout ce qui est à savoir pour le moment se trouve sur le MySpace de Galaad, tout frais, tout beau.

Ceux qui ont aimé Galaad aimeront-ils L’Escouade ?
Je n’en ai aucune idée. Certains n’ont pas du tout suivi et pensaient que nous faisions du Cabrel sans aimer Cabrel… mais l’Escouade sera plus progressif qu’il n’y paraît. En revanche, les enjeux d’influences sont autres que dans un groupe dit progressif. Ceux qui ont aimé mon travail indépendamment des étiquettes devraient finalement s’y retrouver. Je n’ai plus la même rage qu’auparavant ; on ne pense pas à trente-huit ans comme à vingt-six ans. Je crois que c’est l’emballage qui est différent, il y a simplement plus de simplicité. Je me fous que les gens ne me suivent que partiellement… Ce n’est pas important. Je crois en L’Escouade comme je croyais en Galaad, à ceci près que je suis plus âgé et que cette expérience vivante, ce credo, n’est pas du tout le même. Je travaille néanmoins de manière égale sur ces deux projets.

Comment as-tu recruté les musiciens qui t’accompagnent à présent dans L’Escouade ?
J’ai toujours gardé un contact amical – de très longue date, au moins vingt-huit ans – avec Laurent Pétermann, notre batteur. Stève Fleury jouait des claviers dans le Galaad de 1998 et je lui ai proposé de nous rejoindre, Kiko, Laurent et moi. Il ne manquait qu’un bassiste que nous avons trouvé en la personne de Sam Chapuis, qui a joué notamment avec des artistes reconnus en Suisse tels que Lole ou Izul. Il est également ingénieur du son, et projectionniste de cinéma. Laurent est pour sa part enseignant en musique, tout comme Kiko, Stève joue également dans plusieurs autres formations.

L’Escouade se rapproche plus d’une certaine chanson francophone de qualité (Alain Bashung, Noir Désir, Jacques Higelin, Arno) que du rock progressif. Comment justifies-tu ta présence sur notre site ? (rires)
Vous écouterez « Le regard dans le carreau » ou « Bibi », et vous y retrouverez des éléments progressifs. Nous avons besoin d’un soutien promotionnel, c’est évident, alors peu importe le genre je dirais, seule compte ici la filiation au genre progressif, qui est une réalité partielle pour L’Escouade. Tous n’en écoutent pas, tout comme moi, dans la mesure où il n’y a jamais eu beaucoup de groupes de ce genre dans le panorama musical. Je ne suis pas un spécialiste de musique progressive, seulement quelqu’un qui a aimé très fort Marillion, Genesis, Yes, King Crimson, Van Der Graaf Generator, Ange ou… Galaad. Et il n’existe que peu d’artistes de progressif qui ne sont pas des groupes comme Mike Oldfield ou je ne sais qui. L’album de Bashung, L’imprudence, reste très progressif à mon sens, plus que pas mal d’ersatz de Marillion et autres planeurs au rabais. En français, dans le prog, il n’y a en fait quasi rien. C’est déjà difficile en dehors du progressif, alors… Cette notion reste selon moi un état d’esprit plus qu’une mouvance, et on retrouve du progressif dans tous les genres établis. Je disais déjà cela à l’époque de Galaad qui cherchait des issues dans une certaine « impasse » progressive, musique de nature ouverte qui tendait à se pomper elle-même dans des recettes et des clichés qui dénaturaient son essence.

Combien de morceaux comptez-vous à votre actif et quand le public pourra-t-il enfin écouter vos morceaux ailleurs qu’en concert ?
Il existe plus d’une vingtaine de titres de L’Escouade. Pour Confidences de mouches, nous n’en avons retenu que treize. Pour l’instant, aucune distribution française n’est prévue pour la sortie de l’album. Les gens se débrouilleront avec Internet pour nous découvrir. Dans tous les cas, un énorme travail nous attend et la promo en fait partie.

Quelles sont tes références tant littéraires que musicales ? Les autres membres du groupe les partagent-ils ?
Mes références en musique sont assez variées. Gamin, j’adorais le hip hop naissant et la black music américaine. Mon premier disque a été One Step Beyond de Madness puis ma passion adolescente s’est portée sur Marillion, Genesis et Yes. J’ai découvert Ange avec Au-delà du délire sur une cassette, qui a été pour moi motrice et très révélatrice. Côté littérature, tous les poètes contemporains relèvent de la passion, avec en tête Henri Michaux, René Char, Paul Eluard, Louis Aragon, ainsi que les plus anciens comme Paul Verlaine, Charles Baudelaire, voire dans une certaine mesure Arthur Rimbaud. J’ai beaucoup lu Emil Cioran chez les philosophes. Kiko écoute des artistes comme Supertramp, John Scofield, Genesis et Ange, et surtout beaucoup de traditionnel brésilien dont il raffole étonnamment. Stève provient également de l’école progressive et vénérait des groupes comme Yes, ELP mais il s’est davantage ouvert à tout aujourd’hui. Sam apprécie Radiohead ou Jeff Buckley entre autres. Laurent aime aussi le prog, comme tous les natifs de Galaad, et s’intéresse à toutes les musiques. Cependant, je ne connais pas leurs goûts littéraires. Peut-être Comment arrêter de fumer ?, par exemple ? Avec Galaad, on « tripait » vraiment sur de la musique. Il faut dire que nous vivions quasiment ensemble, alors qu’avec l’Escouade, chacun cultive son propre jardin. Nous partageons néanmoins quelques écoutes de temps en temps mais nous ne sommes plus adolescents – malheureusement ? heureusement? – et les choses semblent à présent bien différentes.

L’Escouade possède-t-elle une expérience de la scène ? Les musiciens sont-ils empreints de la même folie que celle du Galaad jadis ?
Nous n’avons donné qu’une dizaine de concerts pour l’instant. Avec Galaad, la débauche d’énergie était très grande et inclassable, inimitable pour un groupe du genre, oserais-je dire. Le propos apparaît tout autre avec L’Escouade, où tout est plus posé, plus gentleman, moins bestial ou largué. Le plaisir de se produire en public est bel et bien là, c’est certain.

Comment envisagez-vous l’avenir de L’Escouade ? Est-ce un projet secondaire « amateur » à côté de vos jobs respectifs, ou imaginez-vous qu’une carrière dense et, si tel devait être le cas, êtes-vous prêts à tenter votre chance professionnellement ? La chanson francophone n’est pas, bel euphémisme, encombrée de groupes de qualité…
La chance consisterait simplement à pouvoir bénéficier de moyens de pouvoir nous exprimer à long terme, réaliser plusieurs disques, évoluer et nous accomplir toujours plus artistiquement. Ce sont des ambitions louables. Je ne vois pas la chose autrement, et percer devient presque un leitmotiv dépassé, d’un autre temps je trouve. Se réaliser convient mieux. Faire carrière serait intéressant à vrai dire. Mais je pense surtout à perdurer à travers le temps. Je suis certain qu’un groupe qui dure marchera à plus grande échelle au bout de quatre ou cinq albums, pour autant qu’il ait un noyau de public à la base, ce que nous n’avons pas encore la chance de posséder. L’essentiel reste donc d’obtenir de petites reconnaissances de temps à autre, et de garder foi en ce que nous proposons. Il est toutefois trop tôt encore pour en parler, car s’il est question de carrière, celle-ci ne fait véritablement que débuter.

Des concerts sont-ils prévus pour cette fin d’année 2009 et pour 2010 ?
Nous sommes concentrés sur la réalisation de l’album avec lequel nous pourrons envisager de nouveaux concerts.

Pensez-vous vous produire en tête d’affiche dans de petites salles ou cherchez-vous une place de première partie de choix, à l’instar de votre concitoyenne helvète Lole qui a pu participer à la dernière tournée d’Alain Bashung ?
Tout dépendra des opportunités, pourquoi pas des premières parties, sait-on jamais, mais de qui ? Et pourquoi pas Ange ? C’est vrai qu’ils ont eu leur Johnny eux aussi… No sé.

Comment gères-tu ces deux projets que sont Galaad et L’Escouade en plus de ta vie privée et professionnelle extramusicale ?
Bonne question… Je m’organise en fonction. Mon temps libre, plus restreint qu’auparavant, y passe quasi entièrement. Ma vie privée ne l’est qu’en partie et l’acte créatif en est un des miroirs. Je jongle, j’écris un peu pendant les heures de travail quand j’en ai l’occasion, j’échange avec les autres… Ces emplois du temps se stimulent les uns les autres à vrai dire. J’ai remarqué cela lorsque j’étais sans travail et que j’avais trop de temps pour gamberger. On est satisfait de la fin des labeurs et du temps libre qui en émerge pour pouvoir se consacrer à autre chose, de vraies vacances, de vrais travaux créatifs, de vrais dialogues amoureux, la vraie vie donc. Elle existe et j’en témoigne, ayant connu celle qui n’en est que l’épouvantail.

Puisque tu sembles être un créateur boulimique et polymorphe, as-tu d’autres projets en vue ?
J’ai pas mal de projets de textes qui reposent dans mes cartons ou sur mon disque dur, et j’aimerais assez travailler avec un compositeur pour monter un spectacle, un répertoire, un tour de chant complet sous le nom de Pyt. Il y a des chances que cela se concrétise car je suis en contact actuellement avec un musicien de valeur. Nous nous retrouverons prochainement pour en discuter. En principe, je tiendrai les gens au courant de ce projet et des autres par le biais de mon site MySpace (http://www.myspace.com/theutmusique). Il y a un très grand intérêt de ma part à ce que Pyt se lance dans une carrière différente de celle des groupes.

Resens-tu une certaine nostalgie de la période des débuts d’un Galaad prometteur ou apprécies-tu le temps présent, puisque tu as l’âge de la sagesse aujourd’hui ? (rires)
J’étais déjà nostalgique à seize ans. C’est dans nos gènes, j’imagine. On a vécu des moments vraiment prolifiques, magiques avec Galaad, et qui dépassaient largement la musique puisque nous nous connaissons tous depuis l’enfance. Mais je suis quelqu’un qui vit dans l’ici et maintenant, avec une vision des choses somme toute assez bouddhiste. Je conjugue en fait les deux actuellement puisque Galaad n’est plus un élément du passé, et que mon regard sur le groupe, le reflet que je perçois dans le carreau, correspond bien à mon devenir. Je suis ce que je suis au présent, et être nostalgique parfois m’enjoint à exprimer ce sentiment dans la musique. Je pense que le nouveau Galaad en sera imprégné. Dans L’Escouade, je parle davantage de la difficulté d’être, de cette longue période désertique que j’ai vécue, de désillusion et du sens relationnel en général, entre deux sonorités textuelles. Il y aura des différences très perceptibles, mais je reste fidèle à moi-même, toujours en évolution et prêt à faire le point artistiquement.

Si tu pouvais modifier le passé par rapport à ta carrière, que changerais-tu ?
Je prendrais des cours de chant dès l’âge de six ans. Je serais plus sage dans mon quotidien. Je n’aurais peut-être pas décidé de l’explosion de mon petit groupe de base et j’aurais fait plus de choses en moins de temps. Je transformerais les jours d’emmerdements en jours de grâce. Rien n’est à changer cependant, et ce que je n’ai pas fait hier, je le fais aujourd’hui ou l’accomplirai demain de toute façon.

Toujours au regard de ta carrière, que souhaiterais-tu si tu pouvais infléchir l’avenir ?
Les moyens d’un accomplissement professionnel et artistique. Une « réussite » assez importante sur le plan des possibles et du choix décisionnel. Je pense avoir cependant une part d’infléchissement sur l’avenir, bien que le facteur chance existe, et sur les limitations propres à chaque individu.

Un dernier mot pour les lecteurs de Progressia ?
Le sens profond du remerciement, dire merci pour cette attention si précieuse qui consiste à être avec et ensemble au travers d’un média de qualité. Puissions-nous continuer d’être passionnés et de créer des liens. Puissions-nous « jeter nos lianes infinies » conjointement, ce que disait, sauf erreur ou imprécision de ma part, le regretté Alain Bashung. Merci.

Propos recueillis par Christophe Gigon
Crédits photos : Nathalie Matti, Carine Steiner et Guillaume Garcia

site web : Pierre-Yves Theurillat

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