Queensrÿche – Queensrÿche

ENTRETIEN : QUEENSRŸCHE

 

Origine : Etats-Unis
Style : metal progressif
Formé en : 1981
Composition :
Geoff Tate – voix, instruments à vent
Michael Wilton – guitares
Ed Jackson – guitare basse
Scott Rockenfield – batterie

Ce n’est pas peu fier que Progressia s’est enfin entretenu pour la première fois en douze ans d’existence du magazine avec le charismatique Geoff Tate qui, après une folle journée riche en rebondissements pour nous autres journalistes, s’est confié avec gentillesse et complicité sur le dernier album en date du groupe, l’excellent American Soldier. Même si la rencontre s’est tenu dans la salle de bain d’une loge du Z7, le moins que l’on puisse dire, c’est que le courant est passé !

Progressia : American Soldier est à nouveau un concept-album. Est-ce le genre de production qui honore par ses possibilités la musique complexe et « cérébrale » de Queensrÿche ?
Geoff Tate
: Oui, certainement, car nous adorons mêler les thématiques développées par les textes à une musique exigeante qui les véhicule au mieux.

Peux-tu brièvement nous en présenter le concept, qui pourrait en outre être vraisemblablement mal interprété ici en Europe…
… et vous avez raison. Tout a commencé par une discussion entre mon père et moi. J’ai grandi dans une famille de militaires et pourtant, jamais mon papa n’a ressenti le désir de parler avec moi de tout ça. Il esquivait mes questions sans arrêt lorsque j’étais enfant…

Un sujet visiblement tabou…
On ne parlait pas de ça, un point c’est tout. Ce n’est que très récemment que mon paternel a accepté de dialoguer. Il m’a alors raconté toute l’histoire de sa vie : celle d’un militaire. Ce fut un choc pour moi. Rendez-vous compte, il a plus de soixante-dix ans ! Je possédais un enregistreur comme le vôtre et toutes nos discussions étaient ainsi immortalisées. Quand le groupe et moi-même cherchions un thème sur lequel écrire notre prochain disque, on s’est dit que la vie d’un « homme de guerre » pouvait constituer une trame très intéressante. La plupart des choses que l’on connaît sur les soldats et la guerre nous proviennent des films. On nous présente trop souvent ces hommes-là comme des êtres inhumains. C’était donc intéressant pour nous de dévoiler la « face humaine » de la guerre, et non plus uniquement la face violente. La peur de ces êtres sensibles qui se demandent continuellement ce qu’ils doivent faire, qui se sentent désœuvrés et qui ont besoin d’aide. J’ai ensuite interrogé des dizaines de soldats à qui j’ai demandé de me raconter leurs propres histoires de guerre. Ce fut très enrichissant pour moi à différents niveaux. C’était la première fois que j’interrogeais des gens, et quelle expérience ! Jamais je n’aurais cru qu’il était aussi difficile de poser des questions à quelqu’un qui, qui plus est, nous impressionne ! Depuis, j’ai le plus grand respect pour les journalistes ! (rires) Que c’est difficile d’obtenir des réponses de telle ou telle personne ! En particulier quand on aborde des thématiques aussi intimes que la peur, la mort et la famille. Ce fut ensuite une très longue procédure que de récolter tous ces témoignages de multiples soldats ayant vécu différents conflits. On a très vite découvert des similarités dans les différents récits, qui ont finalement servi de socle narratif à notre album. Désolé, vous m’aviez demandé de répondre brièvement et ce n’est certainement pas une réponse courte !

Au contraire, à présent, tout est plus clair.
Je cause décidément trop…

Des bribes de témoignages de certains soldats interrogés apparaissent dans les titres. Sont-elles de véritables prises ou des séquences réarrangées en studio ?
Ce sont de véritables passages directement incorporés dans les morceaux.

Ces courtes séquences parlent d’expériences à propos du doute, du sentiment de perte, de douleur, d’amitié…
Tous les morceaux contiennent des prises de son réelles que j’ai effectuées moi-même en menant mes « interrogatoires ». Il a fallu transformer ces collections d’idées, ces histoires, en textes structurés et clairs pour les paroles des chansons. J’ai visionné des heures d’enregistrements vidéo et écouté des centaines d’heures d’entretiens. C’était une manière merveilleusement originale de concevoir un nouvel album car le propos existait avant tout ce que le groupe pouvait créer. Les idées musicales devaient donc coller parfaitement à celles exposées par les témoins.

Musicalement, l’atmosphère de ce dernier disque est très proche de celle développée dans Operation Mindcrime (1988) ou Promised Land (1994). Ces « similarités atmosphériques » sont frappantes. Le son reste très moderne et ne cherche pas à se réapproprier un passé révolu…
Je suis entièrement d’accord avec votre analyse. Pour moi, la musique, c’est de l’art ; c’est donc affaire de subjectivité. Pour une personne qui aime, une autre n’aimera pas. Mais si quelqu’un accorde de l’attention à l’art, par exemple s’il va visiter un musée à Paris, il va pouvoir déambuler pendant des heures dans les galeries sans véritablement prêter attention à ce qu’il voit jusqu’à ce que, tout à coup, un choc artistique se produise. C’est ce tableau-là qui « scotche » notre amateur d’art. Et cela n’enlève rien à la valeur de celles qui ne l’ont pas touché. Pour la musique, c’est le même procédé. On écoute un disque, on passe de pistes en pistes jusqu’à ce qu’un titre nous accroche. Et c’est uniquement ce titre-là, parce qu’il fait écho à quelque chose d’enfoui en nous, qui va devenir le « bien-aimé ».

Qu’en est-il du retour tant commercial qu’artistique d’American Soldier ?
Les retours sont très bons, surtout dans de nouveaux pays. C’est intéressant pour nous même si, naturellement, les soldats américains ont été très touchés par ce disque. Notre disque était discuté et critiqué dans les bases américaines. C’est une belle récompense pour nous. On a su capturer les bons moments et retranscrire les bonnes émotions apparemment.

Ce nouvel album album semble faire effectivement l’unanimité. Peut-on dire dès lors l’affirmer comme le meilleur album de Queensrÿche depuis Promised Land en 1994 ?
(Visiblement attristé par cette remarque) Habituellement, un artiste vous répondra toujours que chacun de ses disques est son enfant, et qu’on ne peut jamais dire quel est son enfant préféré. C’est tellement subjectif… Ce disque semble vraisemblablement avoir davantage touché le public car la thématique développée est universelle et généralisable. Certains disques que nous avons enregistré, comme Trybe (2003) par exemple, ont eu plus de peine à l’atteindre.

Existe-t-il pourtant un disque dont vous êtes le plus fier ?
Tous ! (rires) Ils font tous partie de notre développement naturel. Si je les écoutais dans l’ordre, je verrais ma vie défiler, c’est aussi simple que ça. Mes intérêts du moment, notre état personnel, les relations que l’on avait avec autrui à l’époque. Tout ce qu’on a enregistré reste tellement proche de ce que l’on a été… Si on les réécoute, on peut pénétrer à nouveau dans nos âmes d’alors. Tous les éléments qui forment la vie (famille, amours, deuils, naissances) ont affecté nos disques. Quand on enregistre un album, on donne de soi. Ma famille ne me voyait d’ailleurs plus parfois pendant des mois.

Pour la première fois depuis la création du groupe, Michael Wilton a dû s’occuper seul de toutes les parties de guitares. Comment a-t-il vécu cette lourde responsabilité ? Y aura-t-il un second guitariste sur scène pour le seconder ?
(rires) Rassurez-vous, il y aura bien un second guitariste sur scène. Michael a vraiment pris beaucoup de plaisir à exécuter seul toutes les parties de guitare que contient American Soldier. D’habitude, il devait toujours faire des compromis. Il a sans cesse dû batailler avec les autres guitaristes pour imposer tel ou tel passage de guitare. Sur ce disque, il a été libre à cent pour cent. Il a passé des mois et des mois seul dans le studio, et j’ai été très impressionné à l’écoute de ce qu’il proposait. Avec Kelly (Gray) et Jason (Slater), les producteurs, il a passé des heures à enregistrer, effacer, mixer et remixer. Transformer tout ça en art reste la chose la plus importante pour nous.

Avec American Soldier, les journalistes diront probablement encore que Queensrÿche est le « Pink Floyd du metal ». Est-ce une remarque qui vous agace ?
Au contraire, nous sommes de grands fans de Pink Floyd et nous prenons cela pour un compliment.

Au début des années quatre-vingt-dix, Queensrÿche et Dream Theater étaient les « frères ennemis » du nouveau mouvement qu’on a très vite appelé metal progressif. Que pensez-vous de l’évolution de vos deux carrières ?
(rires) On a vécu des tournées fabuleuses ensemble. A la fin des shows, on jouait tous ensemble sur scène, et croyez-moi, c’est une chose merveilleuse que de partager la scène avec de tels musiciens ! On improvisait et on s’est bien amusé…

Vous avez pu expérimenter des nouvelles choses ?
Quel pied on a pris, c’était énorme ! On a vraiment passé du bon temps. D’ailleurs, on a partagé la même affiche il y a quelques jours en France…

Au Hellfest ?
Oui, exactement, à Clisson et on rejouera d’ailleurs dans un même festival dans un mois [NdlR : à Sofia, en Bulgarie]. Ils méritent leur succès et on leur souhaite le meilleur pour la suite de leur carrière.

Comment se déroule la tournée ? (rires) [NdlR : Pratteln n’est que la seconde date de leur tournée mondiale et le concert qui se déroule le soir-même a bien failli ne pas avoir lieu car leur bus de tournée était tombé en panne en Allemagne, peu de kilomètres avant la frontière suisse]
(rires) On a eu quelques problèmes avec le tour-bus aujourd’hui. Mais à part ça, tout baigne ! The show must go on !

Vos fans sont souvent également admirateurs de groupes comme Dream Theater, Symphony X ou Marillion. Que penses-tu de ces affiliations ?
J’en suis fort aise ! On adore les trois groupes que vous venez de mentionner. Les gars de Symphony X sont d’excellents amis à nous. On a joué ensemble récemment à New York. Fugazi de Marillion reste un de mes albums favoris de tous les temps ! Quant à Dream Theater, j’ai déjà dit tout le mal que je pense d’eux. Ils ont d’ailleurs repris des titres de Marillion sur leurs dernières tournées. Je pense que Pink Floyd est également un groupe fédérateur. On a d’ailleurs travaillé avec l’arrangeur et chef d’orchestre Michael Kamen [NdlR : malheureusement décédé le 18 novembre 2003, qui a notamment travaillé sur The Wall], et James Guthrie. Il existe ainsi beaucoup de connections entre ces groupes et nous. D’ailleurs, je suis comme un fan quand je suis en face d’eux, je ne peux plus parler.

Il y a vingt ans, bous étiez les seuls avec Fates Warning et Dream Theater à pratiquer le metal progressif, musique puissante, subtile, complexe et cérébrale. Depuis, de nouvelles formations ont émergé telles que Opeth et Riverside et qui en sont devenues les chefs de file de ce mouvement, vous reléguant un peu – et ce, avec tout le respect que l’on vous doit – en seconde division. Que pensez-vous de cette nouvelle invasion ?
La musique n’est qu’un flambeau que l’on se transmet de génération en génération. C’est si facile de secouer la tête sans réfléchir. Proposer une musique plus exigeante n’est pas chose aisée. On ne peut donc que se réjouir que ces formations puissent marier exigence musicale avec succès commercial. Je suis très heureux pour ces groupes. Ils aiment leur musique et la pratiquent avec passion.

Comment vous sentez-vous avant le concert de ce soir ? Des surprises sont-elles au programme ?
On est très en forme et le concert sera constitué de trois suites qui sont en fait des versions digest de trois de nos albums. Dans l’ordre, il y aura donc Rage for Order, American Soldier et Empire. Ce sera un show assez long. J’adore venir jouer dans cette salle car c’est bien connu que le son y est toujours très bon. Tout fonctionne en Suisse !

Propos recueillis par Christophe Gigon
avec l’aide de David Bouvet
Photos de Claude Wacker (www.docker.ch)

site web : Queensrÿche

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