Yemanjazz – Yemanjazz

ENTRETIEN : YEMANJAZZ

 

Origine : Portugal
Style : jazz
Formé en : 2007
Composition :
Pedro Castanheira – guitare, piano, chant
Pietro Casella – basse
Afonso Castanheira – contrebasse
Francisco Andrade – saxophone tenor
Peter Bastian – saxophone alto
Ricardo Pinto – trompette
Alexandre Andrade – trompette
Eduardo Lala – trombone
Nuno Pessoa – batterie
Ian Carlo Mendoza – percussions
Dernier album : Yemanjazz (2008)

Une surprise divine qu’on aimerait rencontrer plus souvent. La formation portugaise mélange dans son grand chaudron musical à la fois les rythmes du Brésil, la spiritualité du jazz cosmique et l’inconscience de la jeunesse. Pedro Castanheira, l’âme pensante du groupe, s’est prêté au jeu du questions-réponses ; l’occasion rêvée pour découvrir davantage Yemanjazz qui regarde vers les plus hautes altitudes musicales.

Progressia : Comment est né Yemanjazz ? Depuis quand jouez-vous ensemble ?
Pedro Castanheira
: Yemanjazz est né à Paris de façon assez inattendue. En 2006, j’ai passé un an à jouer avec quatre musiciens français. Nous avions créé un groupe appelé Project Dunga qui s’est produit un peu partout, en particulier lors d’ une petite tournée au Portugal et en Espagne. Cela a été le laboratoire qui m’a amené à Yemanjazz, lorsqu’en janvier 2007, je décidai de vivre au Portugal (Sarkozy commençait son ascension et je sentis le besoin de quitter Paris). J’ai eu beaucoup de chance et ai pu réunir rapidement un groupe de super musiciens qui se sentaient capables de me suivre dans mes idées musicales, tout en ayant leur mot à dire.

Peux-tu présenter les membres du groupe ? Comment se déroule le travail de composition de ces morceaux plutôt hétérogènes ?
Le groupe a gagné quelques membres au fil du temps. Nous ressentions le besoin d’agrandir la section de cuivres. La seconde trompette puis le trombone nous ont rejoints, alors que le groupe commençait déjà à se produire en concert. Aujourd’hui, il est composé de musiciens d’origines et surtout d’influences différentes. Et si son background provient du jazz traditionnel, classique ou contemporain, chacun cherche à tirer le meilleur de son expérience musicale. La différence d’âge l’illustre bien : cela va de vingt-et-un à soixante-trois ans ! Nous avons un bassiste, un contrebassiste, deux saxophonistes (tenor et alto), deux trompettistes, un tromboniste, un batteur, un percussionniste, et moi-même à la guitare, au piano et au chant. J’ai écrit et arrangé tous les morceaux. En répétition, on essaye de suivre cette ligne directrice, puis on arrange le morceau de manière à pouvoir briser les barrières et prendre le plus de liberté possible en concert. Notre seule obsession réside alors dans la prise de risque et l’envie de raconter de nouvelles histoires à l’intérieur de l’histoire.

A quel degré le Brésil est-il présent au Portugal et comment influence-t-il (ou non) sa culture ? Comment vit-on avec pour ancienne colonie un pays aussi immense et important aujourd’hui ?
L’histoire entre le Brésil et le Portugal est complexe… ce serait pour moi impossible de faire un résumé des relations entre les deux pays (et je ne suis même pas qualifié pour ça). Je pense que la meilleure chose que nous ait apporté l’histoire, c’est la richesse née du mélange des populations et des cultures. D’un point de vue culturel, le Créole est le summum de la connaissance [NdlR : au Portugal, le Créole possède le sens de « celui qui est né ici de parents venus d’ailleurs » et non pas seulement celui d’une personne blanche née sous les Tropiques]. Être conscient de sa propre identité culturelle reste quelque chose de bien rare dans un monde plein de mythes, où la poésie est d’une certaine manière, la seule base d’une vraie compréhension de notre existence. C’est pourquoi, en confrontant des traditions soi-disant opposées, tu peux appréhender l’importance du système d’organisation des cultures à travers le monde, et essayer chaque jour de nouvelles combinaisons de gens, de musiques et de couleurs… En conclusion, selon moi, ce n’est pas seulement le Brésil et le Portugal mais la notion de Créole qui importe.

Quelle place tient le culte afro-brésilien dans ton travail ? Est-ce une juste une influence parmi d’autres ?
La tradition africaine est la tradition du genre humain, notre maison originelle à nous tous. Sans s’enfoncer dans des explications anthropologiques, l’Afrique est la matrice du Créole. Il est fondamental pour moi d’aller explorer ce trésor musical ; sûrement de manière inconsciente. Je cherche simplement à libérer toute « l’africanité » qu’il y a en moi. Pour quelqu’un qui a grandi au Portugal, connaître l’histoire que partage son pays avec l’Afrique est finalement la moindre des choses.

Plus globalement la spiritualité a-t-elle une place dans votre musique ? On sent que vous allez volontiers vers une sorte de transe, notamment lors des improvisations de trompette ou de saxophone…
La musique, ce sont avant tout des vibrations, tout comme chaque être humain, chaque chose. Je crois que jouer pourrait être une sorte de cérémonie, toute connotation religieuse mise à part. Ce qui est beau, c’est que le groupe est composé de gens avec des affinités et des croyances différentes, qui prennent tous la musique à coeur et trouvent dans Yemanjazz la possibilité d’accroître leur expérience personnelle. Il n’y a aucun dogme, juste l’envie de s’en servir comme d’un moyen de communiquer qui peut parfois donner lieu à des résultats imprévisibles. Je pense que c’est le but de toute musique, et Yemanjazz construit ses propres structures pour pouvoir bâtir de nouveaux ponts.

Quelle place tient l’improvisation lors de vos concerts ?
C’est là que la magie opère ! Lorsque l’orchestration laisse le soliste diriger la danse, il prend la responsabilité d’orienter la vibration, et la musique peut prendre de nouvelles directions…

Vous mélangez beaucoup d’influences au risque de ne vraiment attirer aucune population musicale définie. Comment ceci se manifeste-t-il concrètement dans votre relation avec le public ?
Jouer avec Yemanjazz m’a fait réaliser que le problème concerne surtout les personnes (promoteurs, maison de disques, etc.) qui sont supposées faire le contact entre les musiciens et le public. Mélanger différentes influences a toujours plu tant aux musiciens qu’aux auditeurs. Je suis fatigué de ces gens hautains qui pensent que tu es trop stupide pour comprendre une musique multi-culturelle. La vibration créée dans un concert de Yemanjazz (comme dans tous les concerts, j’imagine) nécessite la contribution de chacun. Les gens sont attirés par l’originalité de notre musique, et jouer avec l’esprit le plus ouvert possible réduit le fossé entre les musiciens et le public. Cela effraie ces abrutis qui ont le pouvoir. De nos jours, c’est un produit prêt à être vendu et consommé, et le vendeur veut en avoir le contrôle total. Comme un hamburger ou une voiture, il devrait être pour eux un spectacle formaté. Je crois que les choses sont en train de changer, et que nous allons tous finir par être fatigués de tout ça. L’art est probablement le symbole de liberté le plus fort qui existe ! Mais on verra comment les choses évoluent… En attendant, Yemanjazz continuera à défendre ce en quoi il croit.

Quels sont vos projets futurs, musicaux ou autres ?
On va sortir l’album au Portugal le 4 avril prochain, pour essayer d’agrandir le cercle d’amateurs de Yemanjazz. Le groupe souffre du fait qu’il est difficile à catégoriser, mais on se laissera pas faire ! Enfin ça dépend aussi beaucoup des gens qui croisent la route de Yemanjazz, s’ils sont ouverts ou pas. Bien sûr, le but est d’essayer de toucher le maximum de gens, pour qu’on puisse jouer et voyager avec nos compositions (et voir aussi comment elles évoluent). Nous verrons ce qui arrivera… et pourquoi pas une tournée en France ?

As-tu quelques mots à rajouter pour les lecteurs de Progressia ?
Longue vie à Progressia !!! Sérieusement, je voudrais remercier toute l’équipe de Progressia pour le soutien qu’elle nous a apporté. Merci d’avoir porté de l’intérêt à Yemanjazz et d’avoir cru en notre musique. J’espère qu’un jour on pourra se rencontrer à un concert quelque part en France. Salutations à tout ceux qui écoutent la musique avec leur coeur ! Le monde est à nous !

Propos recueillis par Mathieu Carré & Brendan Rogel
Photos de Rui Ventura & Ivan Goitte

site web : Yemanjazz

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