Claire Vezina – Claire Vezina

ENTRETIEN : CLAIRE VEZINA

 

Origine : Québec
Style : pop rock progressive
Formé en : 1993
composition :
Claire Vezina – chant, piano et guitare
Serge Poulin – batterie, guitare,
Marc André Dubé – basse
Dernier album : Cyber Neptune (2008)

La Québécoise Claire Vezina, déjà auteur de plusieurs disques en son pays, vient frapper à la porte de l’Hexagone avec son nouvel album Cyber Neptune, véritable mélange culturel et musical servant de support à la voix de la belle, qui risque d’élire domicile un petit temps dans vos têtes. Une artiste à part entière, au potentiel d’enchanter autant les fans de progressif que de pop, avec cette spontanéité et cette sympathie propres à nos cousins du Nouveau Monde.

Progressia : Pour bien débuter cet entretien, l’habituelle présentation s’impose. A toi de jouer !
Claire Vezina
: Je suis originaire de Québec. Pianiste depuis mon plus jeune âge, j’ai grandi dans une famille qui appréciait la musique, principalement comme passe-temps. Je suis une personne conduit par la passion, je n’ai jamais donc fait de plan de carrière. N’étant pas passée par le Conservatoire, j’ai opté pour des cours privés puis, à la fin de mon secondaire, j’ai dû choisir entre la médecine et la musique. J’ai laissé parler mon cœur. J’ai donc opté pour la musique sans jamais penser à la suite des évènements qui découleraient de cette décision, que je n’ai jamais regrettée. Bien au contraire, cela me permet de me remettre constamment en question car rien n’est jamais acquis, surtout dans ce milieu. Certes, j’ai étudié à l’École de musique de l’université Laval (Québec) entre autres, mais c’est au fil de ces jams et tournées de clubs à faire des classiques du rock et du blues que j’ai vraiment appris mon métier. Sur les « stages » en « live » plusieurs soirs par semaine. L’école fût plutôt un lieu de rencontres et de contacts pour moi.

Quels sont les groupes et artistes qui t’ont influencée ?
Les grandes voix féminines du rock, de la soul telles qu’Aretha Franklin ou Janis Joplin. D’autres artistes comme Peter Gabriel et Sting qui ont tous deux sorti des disques mythiques, Us pour le premier et Ten Summoner’s Tales pour le second. J’aime bien ce côté artiste britannique. Plus récemment, j’ai fondu sur Radiohead et Björk. Daniel Lanois est également quelqu’un que j’apprécie énormément.

Parlons à présent de Cyber Neptune. Est-il question d’un album-concept ? Quelles ont été tes sources d’inspiration ? S’agit-il de lectures, de faits de vie, d’expérience personnelle ?
Pour être honnête, je n’avais pas pour projet de réaliser un album-concept. Sa genèse remonte à l’époque où je tournais pour promouvoir Alambic. Serge Poulin nous a rejoints au poste de batteur. J’ai l’habitude d’inclure des nouveaux titres dans ma setlist, de manière à prendre la température auprès du public. Au delà du processus habituel de composition et d’arrangement, quand tu joues un nouveau titre en concert, non seulement il prend réellement vie mais il évolue également : la voix se pose autrement, des choses changent, les rythmes et tempi par exemple. Cette manière de faire ne date cependant pas d’hier, je procédais déjà de la sorte avant de sortir mon premier album, jouant dans des bars des standards du rock, du blues et de la soul. J’ai commencé à glisser un, puis deux titres de ma composition et j’étais amusée de voir les réactions du public lorsqu’il entendait un titre chanté en français au milieu de tout ce répertoire en anglais. Pour en revenir à Cyber Neptune, Serge a commencé par me faire écouter des bribes de titres. De mon côté, j’avais des textes sans musique et des chansons sans textes. Le matériel est donc né pendant cette tournée, bien avant de rentrer en studio. Concernant le concept en lui–même, il est né d’une manière inhabituelle : j’étais aux deux tiers de la composition de l’album et un soir, j’ai commencé à écrire le nom de tous les titres, un peu comme un récapitulatif. Je me suis demandé comment j’allais l’intituler. J’ai vu que deux grandes lignes conductrices ressortaient : le coté urbain et cybernétique d’une part et le côté aquatique et ténébreux du fond des mers de l’autre. Ayant déjà un titre nommé « Dans Ton Monde Cyber » je me suis mise à écrire « Neptune ». Je détenais là le titre du disque. Ce sont deux mondes antinomiques qui parviennent à se rejoindre ! Le lendemain, j’ai peaufiné la musique qu’un ami musicien, Richard Soucy, m’avait donnée, j’y ai ajouté deux paragraphes de textes et le tour était joué. En réécoutant l’ensemble avec mon équipe, des images m’apparaissaient, sentiment confirmé par mes musiciens. Je peux donc dire aujourd’hui, que j’ai réussi un petit tour de force : faire en sorte que chacun y voit ses propres images.

En parlant d’images, la transition est toute trouvée : l’ensemble du disque pourrait faire penser à une musique de film. Est-ce ainsi que tu l’as conçu ?
Certainement pas (rires), et tu n’es pas le seul à me faire cette remarque qui me fait néanmoins extrêmement plaisir. Si les gens ressentent l’invitation au voyage, c’est que j’ai réussi à toucher au but car c’est en cela que sert la musique.

Comment Cyber Neptune s’inscrit-il par rapport au reste de ta discographie ? Quelle évolution pourrais-tu décrire ?
Je me suis de plus en plus impliquée au fil des albums. J’ai beaucoup appris sur un plan plus général tant au niveau de la réalisation que de la production, qui reste une étape importante pour moi après avoir passé du temps sur les arrangements. C’est une forme d’extension du processus de création et de composition : avancer une guitare dans le mixage ou la mettre en retrait, c’est une réflexion créatrice.

Comment as-tu rejoint la maison de disques Unicorn Digital ?
Michel, le patron, a accroché sur Cyber Neptune et sur les couleurs qui lui sont propres. Il s’est montré très intéressé. Après quelques échanges, l’album est sorti à l’automne 2008. C’est incontestablement une forme d’aboutissement. Avoir l’appui de véritables amoureux de la musique et de pouvoir exister aux côtés de groupes constitués de réels passionnés constituent un grand plaisir. Avec Internet, on peut également atteindre bien plus de monde encore.

Il est néanmoins surprenant de te voir dans le catalogue de Unicorn Digital, label reconnu des amateurs de rock progressif. N’as-tu pas peur qu’un amalgame soit fait alors que ta musique, bien que teintée d’éléments progressifs, est bien plus mainstream et accrocheuse ? On y perçoit des réminiscences de Pink Floyd, Ayreon ainsi que celles d’artistes plus connus et actuels comme Björk ou Sheryl Crow. Comment arrives-tu à faire cohabiter et mélanger ces genres ?
Ta question est très pertinente. Michel avait évoqué le sujet : au delà des éléments progressifs s’étendent d’autres aspects intéressants, comme le chant en français par exemple ou la présence de courants musicaux différents. Je me permets de faire une référence au slogan de votre site qui parle de musiques qui changent la musique. Les styles sont des langages que l’on peut parler une fois apprivoisés. Dit ainsi, ça paraît amusant mais c’est une manière de dire que j’écoute et aime explorer différentes musiques, peu importe leur provenance. Je ne suis pas sectaire. Il y a toujours quelque chose d’intéressant à prendre ici et là, du blues au jazz en passant par le classique, la techno ou le death metal. C’est un discours que j’aime bien tenir face aux puristes. A propos des noms que tu as cités, j’admire Sheryl Crow car c’est une dame extrêmement talentueuse. Quant à Ayreon et Arjen Lucassen, je ne connaissais pas jusqu’à la lecture de vos chroniques. Je suis allée écouter les titres extraits d’Into the Electric Castle. Je trouve qu’il y a quelque chose d’attirant et de très séduisant.

A l’avenir, pourrais-tu écrire une musique encore plus progressive et élaborée, tout en gardant cette sorte de marque de fabrique qui semble être la tienne ?
Je ne me fixe pas de limites et il est envisageable que les titres à venir possèdent une durée plus longue et soient plus élaborés. Appartenir à un lable tel que Unicorn Digital confère une certaine marge de manœuvre. J’ai en tête de composer un album entièrement instrumental, car j’en écoute beaucoup à l’instar du classique avec Debussy et Bach, en passant par Kind of Blue de Miles Davis, de pianistes comme Oliver Jones, Bill Evans ou Lyle Mays qui joue avec Pat Metheny. J’en reste vraiment toujours impressionnée. J’ai la chance de travailler avec Serge qui aime bidouiller les sons et les boucles dans tous les sens. Le résultat d’une telle démarche est perceptible dans « Dans ton monde cyber » dans lequel ressort ce côté drum & bass.

Vous semblez former un binôme complémentaire. Comment est née cette association ?
Il faut remonter à l’époque où l’on tournait pour promouvoir Alambic. Serge est venu me voir en me proposant d’écouter des rythmes et groove qu’il avait travaillés pour de nouveaux titres. Quelques semaines après, on avait écrit « Méluzine ». Six morceaux sont ainsi nés de cette collaboration. C’est arrivé de manière très fluide et douce. Elle résulte notamment de l’interaction que nous avons en concert. Cette alchimie nous a poussés à creuser davantage cette association.

On vient de parler de« Méluzine », titre très progressif. « Les Soldats » est mon morceau préféré car en plus de sa simplicité et de sa mélodie magnifique, il m’a marqué du fait de l’actualité au Proche-Orient. Qu’as-tu ressenti à la vue de ce qu’il s’y est passé ?
Il n’a pas été composé en regard du conflit. J’ai toujours pensé que la guerre était un non sens, bien qu’elle fasse partie de l’histoire de l’humanité. Début septembre, alors que je regardais les informations, j’ai vu trois de nos militaires revenir d’Afghanistan – où sont envoyés nos jeunes soldats – dans leur cercueil. Je ne sais pas combien sont revenus les pieds devant mais cette fois-ci, mais ça m’avait réellement choquée. J’ai écrit quelques pages sous le coup de l’émotion avant de les laisser reposer quelques jours. Entre temps, j’ai suivi les évenements à Gaza et j’ai me suis mise à travailler sur le texte de manière simple avant de m’asseoir devant mon piano. J’ai fait écouter la composition à Serge pour voir s’il y avait lieu d’ajouter quelque chose. Il m’a répondu : « tu gardes ça comme ça, t’as compris ? Pas de boucles, ni batterie, rien du tout ». Mon guitariste de tournée, Paul Gagné qui est également luthier, n’a rien trouvé de mieux à faire que de se construire un Silde pour ce titre seulement (rires) ! Je pense que cette chanson est amenée à prendre une autre dimension en concert. Il y a donc fort à parier que je la joue sur la tournée à venir.

Beaucoup de groupes progressifs francophones du Canada sont parvenus à se faire un nom. Nous avons notamment chroniqué dans nos colonnes des groupes comme Hamadryad, Karcius ou encore Spaced Out. Qu’est-ce qui, selon toi, nourrit de telles vocations et favorise la naissance de groupes de progressif ? Le succès de Rush, qui reste le plus grand groupe de rock au Canada, y est-il pour quelque chose ?
Il y certainement un lien entre Rush et la multitude de formations que l’on peut entendre en ce moment. Avoir la possibilité d’aller plus loin au niveau musical en représente selon moi la raison première. La musique progressive inclut de nombreux sous-genres, on peut parler de rock progressif, de néo-progressif, de metal progressif. Quand on est musicien, l’essentiel est d’abattre les cloisons, sortir des sentiers battus en laissant parler notre inspiration, notre cœur, nos tripes. C’est un terreau fertile pour ce milieu – quasiment masculin, certes – idéal pour expérimenter. Au Canada, le public aime et attend cela. L’engouement des Québécois pour le rock progressif est né il y a des années, lors des tournées de Genesis et c’était d’ailleurs assez surprenant. De là à y voir une incidence, il n’y a qu’un pas à franchir.ll suffit de voir le nombre croissant de groupes de progressif sur nos terres pour se rendre compte qu’il existe une demande qui, hélas, ne possède pas suffisamment de moyens mis en œuvre pour leur permettre de se promouvoir.

As-tu noué des liens avec ces musiciens justement ?
J’ai découvert l’oeuvre de Denis Jalbert par Reggie Thompson, qui s’est aussi occupé du mastering de Cyber Neptune et qui a également bossé avec Hamadryad. Je connaissais donc ce groupe avant de signer chez Unicorn Digital. C’est un circuit underground, il ne faut pas se le cacher. On ne fera pas les manchettes ou les unes de magazines avec une telle musique. En revanche, les gens intéressés et curieux sont de vrais passionnés et il est donc facile d’établir des ramifications avec d’autres artistes. J’ai discuté dernièrement avec les musiciens de Mystery qui sont basés à Montréal, au sujet d’une éventuelle collaboration. C’est un travail de longue haleine, chacun étant affairé avec son propre groupe. Grâce à Internet, on arrive à maintenir le contact les uns les autres.

Pourtant, le rock progressif n’est pas une musique qui se vend par palettes. Parviens-tu à en vivre ? MySpace, CD Baby et d’autres plateformes comme Reverbnation ou autres sont-elles autant d’aides pour te faire connaître et, à terme, atteins-tu tes objectifs ?
Ta remarque s’applique à tous les styles de musique confondus. Il n’est pas évident de faire face à la situation du marché du disque. Pour moi tout est une question de conviction personnelle : tu fais ce métier parce que tu y crois. Je multiplie les moyens de me faire connaître, que ce soit par le biais de concerts ou par ma présence sur des plateformes de téléchargement légal. J’ai commencé à me faire connaître via CD Baby et je les en remercie car en tant qu’indépendante, cette plateforme est un coup de pouce formidable. Je continue à donner des cours de piano et à enseigner à quelques élèves. Je me déplace et partage mon expérience avec eux. Je joue également en tant que musicienne d’accompagnement pour d’autres groupes et artistes. Quoi que je fasse, c’est toujours en musique. J’aimerais à terme pouvoir rentrer dans mes frais. C’est très dur, surtout aujourd’hui, mais j’y crois. C’est un choix de vie que je ne regrette pas. C’est une question de conviction personnelle.

Quels sont les retours concernant Cyber Neptune ?
Ce qui revient régulièrement, c’est l’attirance pour ce côté aquatique et urbain. La presse commence à faire des rapprochements avec des artistes prestigieux comme Peter Gabriel, Kate Bush, qui viennent notamment du progressif et qui ont su marier leur musique à des éléments plus accessibles, parfois ethniques.

Quels sont tes projets à venir ? Vas-tu partir sur la route ?
On a donné quelques concerts pour roder le spectacle, mais la tournée principale aura lieu en automne prochain. Je pars bientôt faire une mini-tournée promotionnelle avec mon guitariste.

La question rituelle chez Progressia : qu’écoutes-tu en ce moment ?
J’ai réécouté il y a peu Vespertine de Björk. Ok Computer de Radiohead n’est jamais loin de moi. Pour la semaine à venir, je ne sais pas, je n’ai encore rien choisi, ni prévu (rires) !

Le mot de la fin ? Un message pour nos lecteurs ?
Je te remercie sincèrement pour cet entretien. J’en profite également pour saluer tous vos lecteurs et tirer un coup de chapeau à toute l’équipe car votre site incite à la découverte. Non seulement ça me touche, mais c’est également très rare de voir un tel site de nos jours.

Propos recueillis par Dan Tordjman

site web : Claire Vezina

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