Robert Berry – Robert Berry

ENTRETIEN : ROBERT BERRY

 

Origine : Etats-Unis d’Amérique
Style : rock progressif rugueux
Dernier album : The Dividing Line (2008)

Le gaillard est bavard, des artistes il en a connus : Steve Howe, Asia, ELP. Il a collaboré avec les plus grands. Il est tombé dans la marmite de la musique dès son plus jeune âge et il n’est pas prêt de rendre les armes. Son dernier album est une réussite, il était temps d’intercepter l’OVNI…

Progressia : Bonjour Robert et merci de recevoir Progressia. J’ai lu quelque part que tu étais particulièrement critique sur ton travail, que tu te sentais investi par la musique, parfois même, que tu ne te demandais pas si tu étais « condamné » à devenir musicien, tant ton milieu familial a baigné dans cet univers. Ainsi, ma question est assez simple : dans un autre monde, dans une autre vie, qu’aurais-tu aimé faire ?
Robert Berry
: Voilà une question intéressante. Il me semble, c’est vrai, avoir dit que j’étais destiné à la musique, comme un criminel est condamné pour un crime ! Mon père avait son groupe et ma mère en était la chanteuse. Ils ont enregistré un disque, donné quelques concerts aux Etats-Unis, et j’ai entendu de la musique à la première minute où j’ai été conçu ! C’est bien là la principale constante de ma vie. Quand je disais que j’étais condamné, c’était bien sûr au sens positif, il n’y avait guère d’autres choix pour moi, comme tu peux le contaster… La musique, c’est un peu tout ce que je connais, et cela représente tout ce que j’ai fait dans ma vie. Bien sûr, il y a d’autres activité auxquelles je m’adonne : sculpter du bois par exemple, poser des lambris ou décorer mon studio ; tu vois, c’est encore une fois lié à la musique ! Et pour répondre à ta question à propos d’« une autre vie », ça me donne l’occasion de rêver un peu. Peut-être aurais-je aimé être médecin, bien aujourd’hui je ne suis pas sûr qu’on écouterait mes conseils dans ce domaine (rires).

Te souviens-tu de ta première grande émotion musicale ? Quel âge avais-tu alors ?
C’est sans doute lorsque j’ai mené une session d’enregistrement avec mon père dans le salon de la maison familiale. Vous entendez ce petit garçon qui tape on ne sait comment sur la batterie et mon père qui s’écrie « mais virez-moi ce gosse ! » ; je devais avoir deux ans… Il n’y a pas vraiment de première grande émotion musicale qui me revienne, hormis celle-ci, ce n’est pas ma mémoire qui vient à la rescousse, mais des disques, des enregistrements que j’ai écoutés bien après et qui sme rappellent mon enfance. Je me souviens avoir vraiment été intéressé par le groupe de mon père, c’était toujours la batterie qui retenait mon attention…

Tu es citoyen américain, mais il semble, en écoutant ta musique, que tu as fondamentalement adopté le style européen. Tes influences sont à orienter vers Yes, Asia ou Jethro Tull, tous originaires de Grande-Bretagne. Tu as enregistré sous un label italien. Que t’inspire la musique « européenne », et selon toi, quelles sont ses différences avec ce que propose l’Amérique du Nord ?
Il me semble que les Américains sont à l’affût du moindre son et d’efforcent d’aller au-delà de la musique de tous les jours. Parfois, je regarde les nouvelles à la télévison : les premiers titres, ce sont les gens qui se font tuer, ce qui marque irrémédiablement. Puis les shows où des gens meurent, des assassinats, etc. Tout est brutal en Amérique. On aime la violence, c’est ce qui marque, c’est ce qui fait réagir… La musique américaine, à mon avis, incarne un côté conservateur, empreint de cette violence ; le son est agressif. Les chanteurs semblent moins attachés au fond, les guitaristes ont l’air d’être moins persuadés qu’il faut bien apprendre à jouer, ils ne s’ennuient pas avec des structures compliquées. La musique est surtout fondée sur quelques rythmes, en général peu difficiles à réaliser et à reproduire… En Europe, le public a l’air d’apprécier encore la mélodie, la qualité du son, les arrangements, ils ne sont pas obnubilés par la virtuosité.

Tu as la réputation d’être un grand joueur de basse et tu te débrouilles avec la plupart des instruments. Y en aurait-il toutefois un que tu souhaiterais apprendre ?
Mon père jouait du saxophone. Il m’avait inscrit très jeune à des cours de trompette. Aujourd’hui, je ne sais pas vraiment combien de groupes disposent d’un trompettiste, et très peu savent utiliser le saxo. Pourtant, c’est un instrument plein de sens, plein d’âme avec lequel j’ai toujours voulu jouer. Il y a des années, j’avais composé une chanson lorsque j’étais au lycée qui était adaptée à cet instrument. J’ai loué un sax alto-bariton-tenor et j’ai entrepris moi-même d’accompagner cette chanson. Ce fût la première et dernière fois que j’en jouais. En studio, je touche à tout, mais je n’ai plus le temps de me consacrer à quelque chose de nouveau.

Travailles-tu différemment entre ton groupe Alliance et ta carrière solo ?
Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question. J’ai écrit toutes les chansons de The Dividing Line seul, ainsi que la moitié des titres pour Alliance, le reste en revient à Gary Phil. Il y a effectivement quelques différences, dans les textes et les thèmes abordés. Dans le groupe, je parle de la vie, des relations, et nous sommes un groupe, sans doute donc plus « américain » proche de Led Zep, par exemple. Lorsque j’écris pour moi, je suis dans un registre plus personnel, l’approche est moins critique, plus positive, à l’image de « One Good Man ».

The Dividing Line est une réussite : un mélange de « rock FM » largement inspiré par Asia. Combien de temps as-tu mis pour le réaliser ?
Au début de l’année 2008, un gars de Frontiers Records qui se nomme Serafino, avec qui je suis ami aujourd’hui, me contacte sur mon site MySpace. Il me demande ce que j’ai de bien à dire sur la musique ! Je lui réponds en quelques lignes et il me demande si j’aimerais travailler avec eux. L’idée me séduit car voilà longtemps que je voulais un peu de neuf. Je m’attelle donc à l’écriture et me permets en outre d’exhumer trois titres un peu retoilettées pour l’occasion : un de GTR, un autre d’Ambrosia et un dernier tiré d’une vidéo.

Y a-t-il un concept, une histoire, derrière The Dividing Line ?
Absolument ! Le concept principal reste de vivre une vie positive, d’être capable de faire la différence en étant la meilleure personne qu’on peut être. Cette ligne séparatrice représente bien cette fameuse ligne qui intervient dans plusieurs situations, lorsqu’on rit ou lorqu’on pleure, d’être honnête ou décevant, de réussir ou d’échouer, d’aimer ou de se retrouver seul. Cette ligne est toujours devant nous, quoiqu’on fasse, et elle nous rappelle qui nous sommes et qu’être « une bonne personne » n’est pas toujours évident en même temps, mais celle à laquelle j’aspire dans tous les cas. Si tu jettes un œil sur le livret du CD, tu y liras un poème précédent chaque titre, il est censé résumé le sentiment que j’ai éprouvé avant de composer la chanson, et toutes les sensations qui m’ont amené à écrire ce qui a été enregistré…

Ce disque semble être un de tes plus européanisé, notamment en terme de son et de mélodie. C’est un sentiment plus qu’un avis ferme, tu pourrais m’aider là-dessus ?
Je pense que cette impression est due à l’influence de Serafino. C’est lui qui m’a un peu conseillé sur ce qu’il aimerait entendre de moi en tant qu’artiste. Il voulait la musique que j’ai toujours faite, des chansons à la dimension ce que que j’avais pu réaliser sur l’album « Pilgrimage to a Point », des titres comme « 3 to the Power of Three ». J’ai vraiment apprécié le mélange entre les claviers et les guitares, la puissance des basses et des batteries, et tout cela, c’est largement associé à des influences européennes : Asia, Yes et Genesis, notamment. Le son américain persiste néanmoins et qui doit beaucoup à Foreigner, Boston ou Kansas, des groupes qui savent marier les claviers et la guitare. Tout reste cependant assez difficile à analyser pour moi une fois le travail fini. Ce que j’ai conduit, c’est surtout ce que j’avais envie de faire. Tout cela m’est venu naturellement, et pour tout te dire, je n’ai pas eu conscience de l’unité de l’album avant de l’avoir écouté. Généralement, je ne réécoute rien, et je ne reviens pas sur les parties de basse ou de guitare. Evidemment, je juge de chaque partie, mais je considère que tout cela est fortuit. Oui, je suis d’accord, je ne suis pas clair ! (rires)

Peux-tu nous parler un peu plus de tes collaborations avec Steve Howe (Yes) et Keith Emerson (Asia) et éventuellement nous évoquer tes prochaines associations ?
C’est un peu compliqué. Disons que j’ai composé quelques titres pour le second album de 3 avec Keith et Carl (Palmer), mais Geffen Records n’a pas vraiment soutenu le premier disque comme nous le souhaitions, ce qui nous a décidé à arrêter. Même si la chanson « Talkin’ Bout’ » a atteint la neuvième place des charts aux Etats-Unis, il a été impossible d’enregistrer le second disque. Keith ne voulait plus perdre plus de temps et a préféré partir pendant la promo du premier disque. Tout cela s’est un peu passé de la même manière avec GTR et Steve Howe que j’ai rejoint au lieu de débuter un album en solo avec un contrat possible avec Geffen. J’ai écrit beaucoup de chansons avec Steve avec qui j’ai passé pas mal de temps. C’est un de mes guitaristes préférés et le fait d’être côte-à-côte en écrivant de la super musique était un rêve devenu réalité. Plus nous travaillions ensemble, plus le reste du groupe s’éloignait de moi. J’ai été le seul Américain avec lequel ils ont passé autant d’années. Bref, ils me l’ont fait comprendre et j’ai préféré les quitter pour repartir aux Etats-Unis. Je suis resté assez longtemps avec eux pour terminer l’enregistrement de Pilgrimage to a Point en espérant qu’Arista Records le financerait, ce qui fut le cas.

Tu peux nous parler de l’hommage à ELP et du Leonardo Project enregistré chez Magna Carta ?
L’hommage à ELP a été difficile à mettre en place. J’ai toujours pensé que Keith, Carl et moi-même voulions une version un peu plus puissante de ce qu’ELP pouvait faire. Plus de groove, plus de claviers, plus de guitares, conduire de nouvelles lignes de basse… Nous avons arrangé pas mal de titres en intégrant tous ces éléments. J’ai vraiment été impressionné par le travail de Simon Phillips et Jordan Rudess sur ce disque ; c’est grâcieux, puissant. Chacun a donné son meilleur pour rendre hommage à Keith, Carl et Greg, qui en sont forcément la grande source d’inspiration. Leonardo a été un projet fantastique, produit par mon ami Trent Gardner qui m’a demandé une petite participation. Il doit être très fier de cette véritable œuvre d’art sur laquelle beaucoup de gens ont bossé. On a travaillé ensemble à de nombreuses occasion, dont la dernière est Jazz Raptor de Jack Foster. Jack est également un homme talentueux. J’ai eu la chance qu’il vienne travailler dans mon studio, en Californie, à Campbell où tout s’est bien passé. 

Que fais-tu en ce moment ?
Je suis dans la promotion du nouvel album. J’essaie d’organiser une tournée en Europe cet été avec Alliance mais rien n’est sûr. C’est important de jouer notre musique sur scène, mais ça coûte cher. Je joue avec le Greg Kihn Band sur quelques concerts. Greg a connu un certain suxxès dans les années quatre-vingt et nous allons tourner tout l’été. Donc si tu passes en Californie en juillet, tu pourras m’y voir.

Et en France ?
Si je viens en Europe, j’espère passer par la France, je n’y suis jamais venu.

Nous en avons pour ainsi dire terminé, un petit mot pour nos lecteurs ?
J’ai été charmé par les chroniques du dernier album, et des journalistes comme vous m’aident a rencontrer du public. J’essaie de chercher sans arrêt de nouveaux compositeurs, je leur propose un contrat de 1000 $ pour qu’ils viennent avec leur titre. Je les aide, j’arrange et je produis. J’adore ce job. Avec The Dividing Line, c’est le fruit de mon propre travail, seule mon intuition m’a guidé et j’ai hâte de savoir ce que vos lecteurs en pensent, tout comme ce qu’ils pensent d’Alliance dont la musique y est sans doute plus progressive. Vos commentaires m’intéressent, bons ou mauvais. Merci également à toi pour cette jolie chronique dans vos colonnes.

Merci, Robert, tous nos voeux pour tes projets en 2009 !
Encore une fois, merci à vous. 2009 sera une grande année !

Propos recueillis par Jérôme Walczak

site web : www.robertberry.com

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