Marcoeur – Marcoeur

ENTRETIEN : MARCOEUR

 

Origine : France
Style : imbroglio pop rock
Formé en : 1974
Dernier album : Travaux Pratiques (2008)

Avec un personnage comme Albert Marcœur, il est impossible de s’ennuyer. Dans ses propos comme dans ce qu’il joue, il y a toujours un fond d’impertinence vivifiant et habillé de poésie qui tient en éveil. Cet iconoclaste peu commun a trouvé son rythme très tôt, dès les seventies. Depuis, inlassablement, avec l’assurance des artistes complets (il est, entre autres, multi-instrumentiste, chanteur, compositeur, auteur, acteur…), il égraine ses œuvres avec l’habileté d’un artisan consciencieux, généreux, moderne, avec les pieds bien sur terre… et l’esprit un peu au-dessus.

Progressia : Bonjour Monsieur Marcœur. Près de trente-cinq ans de carrière et on vous redécouvre à chaque fois toujours aussi contemporain. La nostalgie, ce n’est pas votre truc semble-t-il…
Albert Marcœur
: Ce qui s’est passé hier est passé. Y revenir souvent n’engendre que tristesse et mélancolie mais surtout vous éloigne de toute amabilité avec votre entourage contemporain. Il ne faut pas non plus en avoir honte ! Juste aller y jeter un coup d’œil de temps en temps et ne jamais s’alanguir. Il est quand-même plus excitant de travailler avec tous les moyens dont nous disposons aujourd’hui plutôt que d’essayer lamentablement de confectionner une miche de pain chez soi, comme autrefois.

L’humour vous distingue. C’est pour rester toujours lucide et moins souffrir ?
Vous avez raison. Très souvent, ça m’évite de m’indigner et ça épargne en même temps mon hypertension !

Pourquoi les meilleurs musiciens évoluent-ils ? Par opportunisme, modernisme ou intégrité artistique ?
La musique est une entité en mouvement perpétuel. Elle évolue par nécessité, par devoir, parce qu’elle est contrainte de prendre en compte les nouvelles sonorités, les nouveaux rythmes, les nouvelles transformations. C’est pour cela qu’elle est toujours là. Si l’on se veut musicien, on se doit de suivre son parcours et d’enregistrer ses humeurs.

Où puisez-vous la variété de votre inspiration ?
Dans les transports, les jardins et sur les bancs publics, dans ma sonothèque privée et à l’écoute des journaux d’information. Je me délecte particulièrement des hypocrisies, mensonges et placebos divers sur la façon de résorber le chômage, de donner une nouvelle impulsion à notre économie vacillante, de mettre fin une bonne fois pour toutes à la circulation des bateaux-poubelles.

Pour un chroniqueur, décrire votre musique est assez délicat. Pop, rock, variété… un peu de tout cela, rien de tout ça ? Comment la définiriez-vous ?
Un conglomérat de musiques anciennes et nouvelles qui ont émoustillé ma sensibilité. Un imbroglio de rock, de classique, d’ethno-pop, de cosmo-world… et je ne sais quoi encore.

Un album signé Marcœur c’est toujours un peu long à venir…
Il faut l’écrire, le répéter, puis modifier certains passages, le rerépéter, l’enregistrer, le mixer, le masteriser, imaginer et concevoir la pochette, le livret, le fabriquer. On ne peut pas faire plus vite.

Dans Travaux Pratiques, quelle discipline s’agit-il d’expérimenter ?
Je ne sais pas si c’est une discipline mais j’ai eu envie de considérer le quatuor à cordes comme un élément moteur impulsif coordinateur et non comme un élément esthétique ou décoratif, comme c’est souvent le cas, ceci pour qu’il ait de vraies responsabilités dans l’usine, surtout pas de fonction intérimaire de tapissier-conditionneur. Munis de cellules microphoniques soigneusement choisies, les deux violons, le violon alto et le violoncelle bénéficient des mêmes possibilités et avantages soniques que les guitares électriques. Et puis il y a eu ce moment d’extase lorsque les enregistrements analogiques ont rencontré les enregistrements numériques ; mais pourquoi donc se font-ils la guerre, ces deux-là ?

D’où vient l’idée d’impliquer le quatuor Béla dans cet album   et dans vos concerts ?
Anne Bitran m’a commandé en 2005 un quatuor à cordes pour son spectacle « Machina Memorialis ». J’ai rencontré le quatuor Béla à cette occasion et nous commençâmes à travailler ensemble début 2006. Il y eut ensuite la musique du film de Jean-Pierre Darroussin « Le Pressentiment » ou le début d’un voisinage avec des sons rock (guitares saturées, basse électrique, batterie, percussions). La satisfaction engendrée par ces deux travaux impliquait une suite : pourquoi pas un prochain spectacle, un prochain album, donc ?

Un album correspond-t-il nécessairement à un travail sur le fond et la forme ?
Le fond et la forme vont toujours de pair. Ils sont indissociables et ne peuvent être traités l’un sans l’autre. Ils fourniront les bons renseignements permettant de savoir si une chose est crédible ou pas. Imaginez quelque chose de bien formé et de bien fait qui vous évoque des conneries ou quelqu’un qui vous récite un texte soi-disant magnifique mais qui l’énonce de façon tellement ridicule qu’on va avoir du mal à admettre la magnificence du contenu.

Le graphisme de vos albums est à l’image de votre musique : original, soigné, différent.
C’est très plaisant de se l’entendre dire et je transmettrai le compliment à Patrick Couratin (Crapule !) avec qui je travaille depuis 1983. Les trois premiers albums ont été illustrés et conçus par François Bréant. Depuis le quatrième (celui où figure Joseph illustré par Pascal Doury), c’est Patrick Couratin qui conçoit et réalise tous les projets graphiques accompagnant les disques et les concerts. Il supervise également l’imprimerie des pochettes et des livrets. Son sens critique et son amour des belles choses font que l’on s’entend à merveille et qu’on est encore et toujours ensemble. A chaque fois, une nouvelle idée surgit. Magnifique !

Vous êtes un inlassable explorateur des sonorités. Où les trouvez-vous ? Sur Mars, dans la vie, en studio, dans vos rêves ?
Partout. Dans la vie, la rue, les immeubles, les maisons, les fermes, les usines, les écoles maternelles, les gares, pendant les répétitions, les enregistrements, sur les disques, les bandes magnétiques, les cassettes, pendant un grand prix automobile, une manifestation étudiante, dans les discours et les hésitations de nos élus.

Par rapport à la façon de faire de la musique au milieu des années soixante-dix, qu’est-ce qui a changé aujourd’hui, si tant est que quelque chose ait changé ?
Certaines choses ont changé, d’autres ont évolué. Je pense que les groupes des seventies avaient un idéal, ceux d’aujourd’hui ont des envies. Une journée de studio coûtait dans les seven-eighties entre mille et deux-mille euros. De nos jours, on peut réaliser nos albums à la maison avec un matériel défiant toute concurrence. Les groupes des années soixante-dix jouaient dans les caves, les clubs, les cafés, dans la rue, les maisons de jeunes. Aujourd’hui ils jouent dans leur studio et sont filmés afin que tout le monde puisse aller les voir et les écouter sur leur site. Il y a trente ans, beaucoup de groupes ne jouaient pas en place. Les séquenceurs et clics ou échantillons témoins ont mis un peu d’ordre dans tout ça. Auparavant, le son était imprimé sur la bande magnétique et plus elle défilait vite, plus la tonalité s’aiguifiait. Aujourd’hui le son est dessiné sur votre écran et vous pouvez l’accélérer ou le ralentir comme vous voulez sans modifier sa hauteur. Dans les seventies, les groupes étaient payés correctement ; lorsqu’ils ne l’étaient pas, ils se déplaçaient et réglaient la question à l’amiable. Aujourd’hui, ils sont prêts à n’importe quelle compromission pour passer gratuitement en première partie de Vincent Delerm. Autrefois lorsqu’on s’apercevait deux jours après avoir terminé le mixage d’un titre qu’il manquait un peu de cymbale charleston, il fallait le refaire entièrement, tous les potentiomètres de la console et les programmes des effets ayant été remis à zéro pour le travail suivant ; vous pensez bien que jamais on ne retrouvait les réglages et les niveaux du mixage original. Aujourd’hui, il y a l’automation.

La musique, est-elle du divertissement ou de la culture pour vous ?
Surtout pas de la culture. Du divertissement, pourquoi pas ? C’est surtout le seul langage international, la seule parole neutre et compréhensible par tout le monde.

Quand on voit le nombre d’activités que vous couvrez, on est impressionné. Vous considérez-vous comme un artiste doué ?
Tous les instruments que je pratique (sauf la clarinette étudiée au conservatoire) ont été appris par goût et par envie. Je les joue à ma façon en me fiant à mon instinct et mes pulsions rythmiques ou harmoniques. Je ne possède aucune technique, qu’elle soit classique, percussionnique ou pianistique, si ce n’est la mienne. Si on me donne une partition de saxophone alto à interpréter, je vais mettre des mois à la déchiffrer et à la jouer correctement. Je travaille en revanche autant qu’il faut afin de combler certains handicaps. Je me considèrerais comme doué si j’arrivais à jouer au piano ou à la batterie ce que je pense à l’instant même.

Comment se porte selon vous la création musicale aujourd’hui ?
Je ne me rends pas bien compte. Il y a la transparente, la camouflée, la subventionnée, celle dont on a l’impression que c’en est, et celle qui ne paye pas de mine, celle qui se cache exprès, celle qui escroque envers et contre tout, celle qui germe ; on a bien du mal à s’y retrouver et à homologuer ! D’ailleurs, je ne sais pas si on peut encore utiliser cette dénomination de création musicale. Peut-être juste parler de glissements et d’aménagements qui sont, seront et resteront inévitables et salutaires souvent, évitables parfois.

Quelles sont vos grandes découvertes musicales de ces dernières années ?
Venetian Snares, Sleepytime Gorilla Museum, Conlon Nancarrow, Jean-Louis… et sûrement d’autres…Sobanza Miminanza ou quelque chose comme ça. Sobanza, je suis sûr. Ensuite, les syllabes seraient inversées que ça ne m’étonnerait pas.

Un dernier petit mot pour les utilisateurs d’Internet ?
En matière musicale, s’en servir toujours pour se rendre compte, avoir une idée ; ne jamais oublier que le MP3, même le MP4 qui arrive, rendront au mieux la qualité de la lecture CD. D’ici à ce qu’ils y parviennent, on aura avancé de l’autre côté. Pour l’instant, on est loin du compte !

Propos recueillis par Christophe Manhès

site web : http://www.marcoeur.com/

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