Les Fragments de la Nuit – Les Fragments de la Nuit

Origine : France
Style : rock de chambre minimaliste
Dernier album :
Musique du crépuscule (2008)

Véritable petite bombe à fragmentation brillant de mille éclats d’étoiles dans la nuit crépusculaire, le premier album de ce quintette nous a enchantés au point d’inviter à la rédaction ses deux têtes pensantes pour un entretien et une session photo sur l’île des Cygnes, dans une ambiance estivale et nocturne parisienne, et en duplex avec la Suisse, oui madame !

Progressia : Comment s’est monté le projet et en combien de temps ? 
Ombeline Chardes :
Michel et moi nous sommes rencontrés il y a six ans au sein d’un groupe de rock psyché dans lequel il jouait de la batterie et moi du violon. Il possédait un piano chez lui car sa mère est également pianiste et enseigne l’instrument. On a donc débuté dans sa chambre en improvisant, écrivant et nous enregistrant avec un petit dictaphone. Peu de temps après, nous avons rencontré le réalisateur Rémi Duffourd qui s’est occupé d’une captation live d’un concert avec le groupe dans lequel on jouait. Nous avons sympathisé et avons enchaîné sur un documentaire et, en parallèle, sur un moyen métrage de cinquante-cinq minutes de Viktor Miletic. On leur a fait écouter nos idées enregistrées sur le dictaphone et cela leur a plu. Ils ont souhaité la création d’une vraie formation afin de pouvoir interpréter les titres sur scène. On a donc monté ce quatuor à cordes avec Michel au piano. 

A-t-il été facile d’embaucher des musiciens ?
Ombeline :
Au début, non, car ce devait être un travail bénévole, les projets n’étant pas rémunérés. On a réussi à trouver des personnes avec un bon niveau, des amis ou des connaissances. Cendrine, le second violon, est une amie de longue date de Michel. Ian-Elfinn était l’un des contacts qu’une copine du lycée m’avait fait parvenir. Il a immédiatement aimé la musique, le concept, qui était d’autant plus intéressant pour lui car il aime travailler sur d’autres projets hors du conservatoire, sortir un peu des sentiers battus. 
Michel Villar : Le groupe s’est finalement stabilisé il y a deux ans et demi lorsque Aurore est venue remplacer notre troisième violon, qui est parti, non pas parce qu’il ne souhaitait plus jouer avec nous, mais parce qu’il a décidé de se concentrer sur sa thèse au Danemark. 

Ce n’était donc pas le projet d’un album, vous incarnez un vrai groupe à part entière ?
Ombeline :
Absolument, tous les musiciens font partie intégrante du son des Fragments de la Nuit. 

Un nom qui cache une signification particulière ?
Michel :
Lorsqu’on enregistrait les maquettes d’un titre avec Ombeline, nous nous endormions à force d’écouter en boucle les idées composées. On se réveillait le matin avec de nouveaux composants qu’on intégrait ainsi au morceau. Le travail se faisait donc de nuit, d’où l’appellation les Fragments de la Nuit. 

Parlons ésotérique. La composition nocturne, légende urbaine ou vérité absolue ?
Ombeline :
C’est tellement vrai ! 
Michel : Quand je joue du piano la nuit, j’ai très souvent la suite du morceau au matin.
Ombeline : Et ne pas avoir de voisins est tellement agréable. 

Le rêve relève justement d’une mécanique fragmentaire très complexe… Bon, on va vous éviter de donner des idées de réponses pour les prochains entretiens !
(rires)

Et le jour ?
Ombeline :
On travaille davantage les partitions, l’écriture et les arrangements pour les trois autres violons. 

Vous parliez d’improvisation lors de vos sessions d’écriture. A-t-elle une part importante dans le processus créatif ?
Ombeline :
Oui énormément. Michel est plus à l’aise que je ne l’étais auparavant car il est issu du rock et le principe y est bien plus démocratisé. J’ai eu plus de mal à m’y faire car le fait de ne pas avoir de partition pour un musicien classique tient de l’audace. 

Il est de notoriété publique que les interprètes classiques ont un blocage systématique lorsqu’il s’agit d’improviser…
Ombeline :
Tout à fait, on t’apprend tellement à être collé à la partition, à suivre la virgule, le son et la nuance près qu’on se retrouve enchaîné. Lorsqu’on ôte ces barrières, on est simplement paniqué, surtout en étant violoniste avec toutes les règles à respecter à la lettre et la pression que cela entraîne. On ne cesse de te répéter que c’est l’instrument le plus difficile, le plus noble et qui possède le plus grand répertoire musical. Cette ambiance m’a saoulé et j’ai perdu toute culpabilité en intégrant le groupe de rock psyché de Michel et en pratiquant le jazz, ce qui m’a permis de me libérer. Il est néanmoins paradoxal que je souhaiterais, si notre musique est jouée dans cent ans, que les interprètes suivent les recommandations au millimètre. (rires)

Avez-vous rencontré des difficultés lors de la conception et de l’enregistrement deMusique du Crépuscule ?
Ombeline :
Notre musique a toujours été enregistrée en live avec tous les instruments en même temps, sous la houlette de Guillaume Mauduit au Studio Sainte-Marthe à Paris, d’après nos maquettes. Cet ingénieur du son nous suit depuis nos premiers films et l’entente est parfaite. La réalisation de l’album sort donc de l’ordinaire car tout reste très spontané et enregistré immédiatement pour des projets. Comme le groupe a été créé à la demande des réalisateurs, nous n’envisagions pas au départ de monter une formation et sortir un disque. C’est suite à la demande du public lors de concerts, que nous avons constitué un premier recueil cohérent appelé Musique de nuit, qui devrait être réédité bientôt chez Equilibrium Music et sur un label allemand qui doit le ressortir en vinyle.
Michel : Pour résumer, chaque disque est enregistré en un jour et tout est produit dans le cadre des projets cinématographiques. 

C’est un sacré bon plan !
Ombeline :
(rires) Oui, nous n’avons jamais payé un seul enregistrement !

Equilibrium Music étant une maison de disques portugaise, peut-on vous demander pourquoi vous n’avez pas signé au préalable en France ? Personne n’était-il intéressé, bien que le label français Prikosnovénie va vous distribuer ?
Ombeline :
Disons qu’aujourd’hui, Internet a éclaté les frontières, et signer sur un label en Nouvelle-Zélande ne nous aurait pas dérangés. 
Michel : En l’occurrence, Equilibrium Music nous a contactés par MySpace alors que nous commencions à produire notre deuxième recueil Musique du Crépuscule. Ils nous ont demandé si nous étions intéressés par une sortie mondiale sous format digipak
Ombeline : Ils se occupés de l’édition, du pressage au graphisme. 
Michel : Ils ont donc produit « phonographiquement » le disque.

Vivez-vous de votre musique ?
Michel :
Non, pas encore, nous travaillons à côté. 
Ombeline : Je suis encore étudiante et me prépare à mettre un pied dans la vie active, en étant professeur de musique en collège et lycée. 
Michel : Pour ma part, je fais des petits boulots contractuels qui ne m’empêchent pas de faire de la musique. Je joue également dans d’autres groupes. En période de création, c’est toujours appréciable de pouvoir compter sur un job et lorsque je dois partir en tournée, il m’est plus facile d’arrêter et de me concentrer sur mes prestations, avec l’investissement en temps que cela comporte. 
Ombeline : Michel joue en tant que batteur pour Revok. 
Michel : Un groupe de dark post hardcore, fortement influencé par Neurosis. 

Vous n’auriez donc aucun problème pour trouver des dates en Suisse !
Michel :
Nous avons fait des concerts dans des pays limitrophes et nous attendons de pouvoir y jouer. Nous avons quelques contacts intéressés.

[NDLR : S’ensuit une discussion passionnée entre Jean-Daniel et Michel sur le vivier de la scène helvète]

Vu la conception atypique de vos albums et avec le recul, comment voyez-vous cette chance qui vous est offerte, finalement, comparativement à la situation d’autres groupes français qui peinent à financer leur musique, à se faire signer et tourner ?
Michel :
Nous sommes chanceux, nous l’admettons. Peut-être est-ce dû au fait que nous n’employons que des violons et un piano, des instruments nobles, que nous ne sommes pas perçus comme un groupe de rock. Cela ouvre des portes, c’est indéniable. Notre logistique est réduite au strict minimum, ce qui simplifie grandement les choses. En outre, il n’y a pas de compositeur de musique de films qui possède son propre groupe !
Ombeline : Par exemple, jouer dans des châteaux, dans des églises ou des jardins diversifie et accroît notre potentiel scénique. Néanmoins, nous ne pensions jamais arriver à un tel résultat. Notre musique vient de nos tripes. Si elle plaît à une personne, nous en sommes ravis. Si elle en touche plusieurs, grâce à l’investissement de chacun, c’est inespéré. 

Qu’en est-il des retours du label ?
Michel :
L’album se vend bien, ils n’ont aucun problème à l’écouler. Nous avions mis mille exemplaires en vente à la sortie mondiale du disque le 20 juin 2008 pour tester. 
Ombeline : Fin juillet, les résultats étaient très encourageants. C’est pour cela que le label allemand nous a contactés pour la réédition des deux premiers albums et qu’Equilibrium Music va rééditer Musique de nuit.
Michel : Nous avons également du matériel pour un troisième album vu que nos titres sont tirés de notre collaboration à des musiques de films. D’ailleurs, nous disons à chaque fois aux réalisateurs que notre musique, en plus de soutenir l’image, doit également vivre d’elle-même et de posséder sa propre identité. On ne compose pas « à la façon de », on le fait avec notre style, comme un groupe de rock finalement. 

Du rock de chambre en somme ?
Ombeline :
Exactement, le terme me plaît beaucoup ! On nous sort souvent que c’est du néo classique alors que c’est bel et bien du rock de chambre.

Un peu à la manière de Godspeed You! Black Emperor, et dans une autre mesure Møn ?
Michel :
C’est effectivement un peu le même esprit mélancolique. Nous nous inspirons des premiers cités a minima car ils possèdent leur propre authenticité, même si nous en restons assez éloignés. 
Ombeline : Møn, c’est pas le groupe dans lequel joue une amie au violoncelle ?
Michel : Peut-être… (rires) C’est vrai qu’ils sont peut-être plus proches de Godspeed You! Black Emperor que nous ne le sommes. Disons qu’on tire plus vers A Silver Mount Zion. 

On constate également une influence du côté de Steve Reich et Philip Glass, qui incarnent les têtes de proue de la musique minimaliste. 
Ombeline :
Avec cet esprit dépouillé et répétitif, absolument. Nous ne pouvons pas dire que nous nous sentons affiliés à ce mouvement pour la simple et bonne raison que nous n’avons pas encore exploré et défini entièrement notre identité musicale. Nous ne pouvons donc prétendre y appartenir, c’est encore trop frais. Cependant, comme Michel vient du rock, il aime employer des formules inhérentes au genre. Il assimile ainsi les riffs sur son piano, qui est également un instrument de percussion, ainsi que dans la composition des violons. Ces combinaisons de motifs exercent une force aussi proche du rock que du minimalisme. 
Michel : C’est parfois cette juxtaposition des rythmes qui, encastrés les uns dans les autres, vont créer des boucles hypnotiques propres au minimalisme, à ceci près que nous ne jouons pas pendant douze minutes la même cellule répétée à l’infini, puisque les morceaux sont tirés de séquences de films dont nous avons préservé la durée sur l’album. 
Ombeline : Dans la musique classique, il y a néanmoins une certaine interdiction de refaire deux fois la même chose. La variation est essentielle et je tiens à ce que rien ne soit identique, ne serait-ce que changer une note pour éviter l’empâtement et l’ennui. 

L’album ne suit donc pas une ligne narrative fixe ou un concept mais comporte des pièces distinctes séparées les unes des autres…
Michel :
Nous avons tout de même ordonné l’ensemble autour de thèmes spécifiques. 
Ombeline : Certains morceaux à voix ont par exemple été composés dans la même veine, puisqu’ils appartiennent au projet intitulé La fée des eaux dormantes, une illustration sonore autour de la fée Mélusine au château de Fougères en Bièvre, dans le cadre de parcours musicaux auxquels nous collaborons avec le Centre des Monuments Nationaux. 
Michel : Il y a en gros cinquante pour cent de musique pour l’image et l’autre moitié dédiée à l’imaginaire. 

Posséder autant de supports pour diffuser votre musique reste assez extraordinaire, entre les créations musicales pour les châteaux de la Loire, comme Fougères et Talcy, les bandes originales, les concerts en église… Finalement, le rock de chambre mêlé à la musique classique semble un tremplin idéal.
Michel :
Tout à fait, d’autant plus que notre public ne connaît aucune limite d’âge ou de goût. Nous pouvons aussi bien jouer pour des personnes âgées que pour des jeunes fans de pop, de rock ou de gothique. Chaque personne y trouve son compte et s’accapare ce qu’il souhaite.

Ne vous semble-t-il étonnant de vous retrouver dans les pages d’un magazine de musique progressive ?
Michel :
Non au vu des influences, l’affiliation est légitime car je suis fan de Magma et de King Crimson et d’un tas de groupes estampillés progressif et je continue de prêter l’oreille aux formations actuelles comme Mats & Morgan par exemple. Par ailleurs, nous arrivons à figurer également dans d’autres magazines très rock et gothique, peut-être à cause de l’imagerie.(rires)

Quels ont été les retours ?
Michel :
Pour l’instant, nous n’avons pas encore eu de descente aux Enfers (rires) et acceptons justement la critique, comme celle clairvoyante de Jean-Daniel par exemple, qui met le doigt sur la durée des morceaux et l’aspect « compilation » de l’album. Ce premier essai fait office de promotion, nous allons sûrement intégrer de nouveaux éléments pour le suivant.

Songez-vous à inclure des instruments électriques et électroniques à l’avenir ?
Michel :
Une personne s’occupe de remixer des morceaux façon electro (ce ne serait pas dans le but d’éditer un disque) mais nous n’avons pas encore écouté. Nous nous concentrons sur laSymphonie de la nuit
Ombeline : Nous l’écrivons et si une personne est intéressée pour en faire un album, qu’il se fasse connaître !
Michel : Nous essaierons de changer le son pour un prochain album, l’actuel sonnant encore trop brut, pour apporter ainsi plus d’enveloppe et une touche plus personnelle.

Avez-vous un dernier mot à ajouter pour les lecteurs ?
Michel :
Nous souhaitons revendiquer que notre musique est libre et pour tout âge. Elle s’adresse à tout le monde. Vous pouvez écouter des extraits gratuits sur le site de notre label. Bientôt, nous ajouterons sur le nôtre ce que nous nommons « Les documents interdits » qui seront des fichiers musicaux inédits.
Ombeline : On aimerait également bosser avec Daft Punk pour travailler sur une musique épurée et rythmique.
Michel : Nous avons effectivement rencontré leur producteur et l’idée nous est venue d’une collaboration, même si pour l’instant, rien n’est concret et que cela reste encore de l’ordre de la blague plus qu’autre chose !