Johnson / Bendian – Johnson / Bendian

ENTRETIEN : RICHARD LEO JOHNSON / GREGG BENDIAN

  Origine : Etats-Unis
Style : folk campagnard improvisé
Formation : 2007
Composition :
Richard Leo Johnson – guitares antiques et récentes
Gregg Bendian – percussions de récupération
Dernier album : Who Knew Charlie Shoe ? (2007)

Le début de l’année 2008 a été discrètement illuminé par la sortie du disque atypique et attachant de Richard Leo Johnson et Gregg Bendian. Incarnant les personnages imaginaires Charlie Shoe et Junh Fish, ils ont délivré une belle leçon d’inspiration acoustique en duo. Progressia revient avec le chaleureux Gregg et un Richard, visiblement sur la lune, sur leur parcours riche de découvertes. Deux musiciens très différents qui se retrouvent dans une même aventure musicale basée sur le partage.

1. Richard Leo Johnson

Progressia : Quel est ton parcours musical et professionnel ?
Richard Leo Johnson :
Je joue de la guitare depuis l’âge de neuf ans. Je ne possède pas de formation traditionnelle et n’ai jamais appartenu à un groupe de niveau professionnel. Mes relations avec certains fabricants d’instruments ont vraiment été bénéfiques, surtout par le biais d’endorsements qui y sont associés. La signature avec Capitol / Blue Note en 1999 représente un tournant dans ma carrière. J’apprécie également le travail avec Cuneiform Records car l’ouverture d’esprit de Steve Feigenbaum est une récompense à elle-seule.

Depuis quand t’intéresses-tu aux instruments anciens ?
Depuis que j’ai une vingtaine d’années.

Dans quelle mesure ton jeu de guitare influence-t-il ta composition ?
Presqu’ exclusivement puisque je ne sais ni lire, ni écrire la musique. La guitare a donc été mon principal outil d’expression musicale.

A l’écoute de Who Knew Charlie Shoe ?, on est surpris par l’ambiance très rurale. Est-ce intentionnel et comment avez-vous procédé ?
C’était voulu ! Nous avons fait des enregistrements en zone rurale et les avons inclus dans le mixage final.

Pourquoi as-tu choisi d’incorporer un personnage fictionnel dans cet album ?
Afin de créer une influence et une inspiration narrative qui transcende l’ego. Cela me permet de retirer le « jeu » du processus créatif. C’est assez difficile à expliquer mais cela en devient une expérience transcendante. Imaginer le personnage Charlie Shoe par exemple comme une seconde peau me permet d’incarner quelqu’un d’autre. Il reste bien sûr sous la houlette de mes propres talents et de mes limites personnelles en tant que compositeur et musicien. Le personnage initial était Vernon McAlister et les personnalités suivantes comme Charlie Shoe et les deux qui l’ont suivi, Duval Rey et Roscoe Houndstooth, sont venues solidifier la nature de ce processus. Tout ceci traite principalement de rencontres circonstancielles qui modifient profondément une vie.

De quels guitaristes te sens-tu le plus proche et qui t’inspire le plus ?
Leo Kottke, John McLaughlin, John Fahey, Jimi Hendrix et Pete Townsend.

Quelle est la part d’improvisation dans ta musique ?
La façon dont j’écris les chansons est purement basée sur l’impulsion. Je réagis à l’atmosphère du moment puis mémorise les titres après avoir affiné le timing et le phrasé. Je commence habituellement à préparer mon son de guitare pour ce que soit attractif et travaille à partir de là.

Quels sont tes prochains projets ?
L’un d’eux sera Duval Rey, un musicien créole et aveugle de la Nouvelle-Orléans. Un homme-orchestre dont les instruments sont principalement un banjo à quatre cordes, mais également un harmonica, des cymbales et une trompette avec une sourdine. Je jouerai de tous ces instruments au cours d’un seul et même enregistrement. Le dernier de la série de ces personnages imaginaires, Roscoe Houndstooth, un Amérindien, auquel un voyageur a fait cadeau d’une guitare électrique avec un ampli, bien que le héros pense que c’est une radio. La musique qu’il crée est basée sur le fait qu’il n’a jamais eu de guitare auparavant et que son approche musicale reste pure et innocente.

2. Gregg Bendian

Progressia : Quel est ton parcours musical et professionnel ?
Gregg Bendian :
J’ai grandi dans une maison où il y avait de la musique en permanence. Mes parents étaient de véritables amoureux de la musique et m’ont fait découvrir très tôt une multitude d’artistes. Ils écoutaient Sinatra, Tchaikovsky, Simon & Garfunkel, Thelonious Monk, Ravi Shankar, Miles Davis ou les Beatles… Je suis persuadé que cela a eu un grand impact sur ma façon de l’ appréhender aujourd’hui. J’ai commencé à étudier la batterie à neuf ans, puis le piano et la théorie musicale dès le collège. J’ai joué dans beaucoup de groupes de rock et de jazz avec des amis. Pendant les années soixante-dix, j’ai reçu de plein fouet le rock progressif et la fusion. J’écoutais entre autres Genesis, Jade Warrior, King Crimson, Zappa, Gong, Weather Report et bien sûr le Mahavishnu Orchestra. Mes études m’ ont amené ensuite à étudier les percussions et la composition. J’ai dévoré la musique de Webern, Ives, Schoenberg, Stravinsky, Ives, Wolpe, Elliot Carter. J’étais alors persuadé que je devais devenir un compositeur « sérieux ». Mais j’étais un garçon étrange et j’étais aussi passionné par le jazz d’avant-garde et j’étudiais avec Andrew Cyrille de la formation de Cecil Taylor. Lorsque j’ai quitté la faculté en 1983, je me suis plongé au cœur de la scène expérimentale new-yorkaise, j’ai joué avec Derek Bailey, Tim Berne, John Zorn, Mark Ribot, Tom Cora et tant d’autres. Dès 1984, j’ai créé le « Gregg Bendian Project » et commencé à jouer ma propre musique. J’ai beaucoup collaboré avec Derek Bailey aux côtés de Lol Coxhill, Roscoe Mitchell ou Peter Brötzmann, Leo Smith et George Lewis. Peu de temps après, Cecil Taylor a entendu mon travail et l’a apprécié et j’ai participé avec lui à l’album « In Florescence » en 1990. Depuis les années quatre-vingt-dix, je continue d’enregistrer mes propres disques comme Interstellar Space Revisted avec Nels Cline (NdlR : achetez ce disque !) ou The Sign of 4 avec Pat Metheny. Mais parallèlement, j’ai de multiples autres projets, je mène les ensemble Interzone, et The Mahavishnu Project, je suis batteur au sein du tribute band The Musical Box. Enfin je travaille aussi pour Paiste et Drum Workshop.

Connaissais-tu Richard avant de travailler avec lui ?
Oui, un peu, j’avais écouté son travail et on m’a conseillé de jouer avec lui. Nous avons fait quelques concerts ensemble dont la première partie de King Crimson pendant une semaine en 2000 !

Qu’est-ce qui t’a motivé dans ce projet ?
J’ai beaucoup aimé le précédent disque de Richard The Story of Vernon McAlister et l’idée de m’identifier à quelqu’un en jouant me plaisait vraiment. Alors lorsque Richard m’a proposé une collaboration musicale, j’ai suggéré qu’un nouveau personnage apparaisse et Junk Fish est né.

L’écoute de l’album n’est pas sans évoquer les bandes originales de films. Ce type de musique t’a-t-il influencé ?
Oui, le compositeur de bandes originales, Jerry Goldsmith a eu une grosse influence sur moi. J’ai vu « La planète des singes » à cinq ans, et cette expérience a changé ma vie. Je pense que, plus que tout autre chose, les percussions dans « Charlie Shoe » sont inspirées par les partitions de Goldsmith qui incluaient des instruments de « récupération » tels que des pots, des vieux objets en métal etc… Je suis aussi un grand adepte du travail sonore présent sur les films de David Lynch où les atmosphères sonores ont une grande importance dans des scènes figurant dans « Erasehead » ou « Fire Walk with me ». Ma pièce en solo sur l’album « Junk Fish Out of Water » est un paysage sonore qui vient de cette sorte d’intensité à la fois subtile et dérangeante.

Quels instruments as-tu utilisés pour créer de telles ambiances ?
Pas mal de déchets qu’on a ramassé avec Richard à Savannah ! Des vieilles boites de conserves, des bouteilles d’eau vides, des bols de salade en céramique, des instruments de cuisine, des pots, une vieille planche à laver, des déchets divers en bois et en métal. Le seul instrument conventionnel dont j’ai joué sur quelques morceaux était le glockenspiel…

Te sens-tu proche de percussionnistes comme Nana Vasconcelos ?
J’apprécie le travail de Nana, mais ma plus grande influence reste celle de Jamie Muir.

Comment expliquer l’extrême diversité des projets auxquels tu collabores ?
J’ai toujours apprécié une multitude de musiques différentes. J’ai constamment voulu toutes les jouer, mais selon ma propre approche. Mais j’ai aussi essayé d’établir des liens entre elles car je suis convaincu que d’une manière générale, toute musique est affaire de son et d’énergie.

Quelle est la part d’improvisation ?
Je pense que l’improvisation et la composition ont une importance égale. La composition influence la façon d’appréhender la création spontanée et l’improvisation aide à passer au-delà des idées et des structures préconçues et des mélodies figées. Mais même lors d’enregistrement complètement « free » comme Banter avec Derek Bailey, j’ai toujours apporté une attention particulière aux structures du rythme ainsi qu’au développement des thèmes musicaux et des timbres.

As-tu d’autres projets de musique improvisée ?
Toujours ! J’espère sortir un concert des années quatre-vingt-dix enregistré avec Roscoe Mitchell et Derek Bailey. J’aime improviser que ce soit sur des thèmes pré-écrits ou non.

Pour finir, quels sont les batteurs qui t’ont le plus influencé ?
Jack DeJohnette en premier lieu car il joue de manière merveilleuse à travers tant de styles différents et continue à évoluer et à essayer de nouvelles directions artistiques. C’est un véritable artiste de jazz. Je pense aussi à Max Roach qui était un innovateur perpétuel dans le jazz et la musique en général. Il y a aussi Paul Motian, Tony Williams, Elvin Jones, Roy Haynes, Eric Gravatt, Rashied Ali, Zakir Hussain, Billy Cobham, Tony Smith, Narada Michael Walden, je pourrais continuer des heures… N’oublions évidemment pas aussi le Phil Collins des débuts !

Propos recueillis par Mathieu Carré

site web : http://www.richardleojohnson.com

site web : http://www.greggbendian.com

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