Patrick Rondat – Patrick Rondat

Origine : France
Style : musique classique électrique
Dernier album : Patrick Rondat – Hervé N’Kaoua (2008)

Une fois n’est pas coutume, Progressia déroge à la règle de la chronique d’un album au profit d’un entretien qui résume à lui seul une aventure entre deux musiciens, issus d’univers différents sans être diamétralement opposés. Il nous a donc semblé plus judicieux de laisser à Patrick le soin de s’exprimer sur cette rencontre et le fruit de cette collaboration.

Progressia : Peux-tu nous présenter ton parcours et celui d’Hervé qui n’a malheureusement pas pu venir ?
Patrick Rondat :
Je suis autodidacte à quatre-vingt dix pour cents. J’ai commencé la guitare tardivement à dix-sept ans. Puis j’ai pris quelques cours de vingt à vingt-quatre ans. J’ai fait mon petit bonhomme de chemin tout seul jusqu’à sortir mes premiers albums solos vers vingt-neuf ans. Hervé a un parcours opposé au mien. Il a commencé le conservatoire à six ans, le piano à sept, et il est premier prix et médaille d’or du Conservatoire de Bordeaux. Il a fait des études classiques au Canada et un peu partout. Il est désormais professeur titulaire à Bordeaux et donne des cours au Conservatoire de Paris, tout en étant jury. Il est autant musicien pour de la musique contemporaine que concertiste pour des pièces pour piano et orchestre. Il a donc une formation très académique. Nous avons des points communs : nous sommes perfectionnistes, passionnés, bosseurs et avons envie des mêmes choses. Cependant, nous avons chacun un univers distinct.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?
C’est parti d’une personne, Patrice, directeur de l’école Rock & Chansons à Talence. Il m’a téléphoné et m’a dit qu’il connaissait un pianiste classique ouvert d’esprit, intéressant et qu’il souhaitait nous faire venir ensemble pour une masterclass. Hervé et moi avons tous les deux accepté. On s’est donc retrouvé un après-midi, nous ne nous connaissions pas et devions présenter un titre pour le lendemain. Nous avons préparé deux-trois morceaux ensemble, puis durant la masterclass, nous répondions aux questions des gens et avons appris à nous connaître à ce moment là. Nous avions les mêmes réponses, les mêmes attentes, les mêmes doutes. Je l’ai rappelé huit jours plus tard pour lui dire que j’avais apprécié l’expérience et que je souhaitais faire un album pour poursuivre l’expérience. Il a naturellement accepté.

Comment avez-vous procédé pour concevoir l’album ? Le choix des morceaux s’est-il fait ensemble ? Chacun en a-t-il choisi la moitié ou alors l’un de vous a-t-il plus orienté les choses ?
Même si c’est un duo, je suis davantage aller vers son univers que lui vers le mien. Ce n’est pas une critique, c’était d’ailleurs prévu comme ça. Hervé est pianiste classique, il a donc déjà joué les sonates de l’album avec des violonistes. Il connaissait certaines des pièces et les maîtrisait. Le projet consistait à lui remplacer un violoniste par un guitariste électrique. Rien n’a changé dans son jeu car ce n’était pas le but. C’est moi qui m’y suis adapté. Il m’a amené de manière pédagogique dans son univers.

Avez-vous cherché à adapter les pièces sélectionnées ?
Nous l’avons fait a minima. J’ai choisi les pièces car lui peut toutes les jouer, il lui suffit de lire la partition. Certes, il a besoin de travailler certaines parties techniquement. C’est comme si on me proposait un projet de reprises avec des morceaux d’AC/DC par exemple. Alors que là, il fallait que je regarde ce qui était possible sur mon instrument, ce qui était adaptable avec le niveau d’exigence qu’est le sien. Nous ne voulions pas interpréter de pièces en version metal-shred, nous en sommes loin, même si je ne renie pas ce côté et que j’en suis très fier. Bref, c’était une nouvelle démarche et lorsque j’ai rejoué le presto avec Hervé, ça sonnait moins démonstratif mais pas forcément plus facile. 

Cela vous a-t-il demandé beaucoup plus de préparation qu’un disque metal pour toi ou qu’un disque classique dans le sens traditionnel pour Hervé ?
Pour Hervé, non. Depuis, il a enregistré d’autres sonates avec un violoniste, ça fait partie de son métier. A titre personnel, c’est plus de boulot car j’ai vraiment besoin d’exercer un travail de fond, de mémoire, de doigtés qui ne sont pas naturels. 

Cela a donc été une grosse remise en question dans la manière d’aborder ton instrument…
Absolument, car on parle plus de technique que de démonstration. On a parfois du mal à faire la différence entre les deux. Ce fut un vrai travail technique en profondeur.

Et au regard de ton interprétation de la Partita de Bach ?
C’est encore autre chose. C’est également beaucoup de travail mais ça n’engage que moi, à juste titre. Avec ce nouvel album, tu as la connivence avec un autre instrument et le mélange des timbres. La Partita persistait dans un esprit metal neo-classique dans l’interprétation, alors que là, au niveau du son, du toucher et de l’articulation des phrases, je reste au niveau de l’interprétation classique des pièces.

L’expérience de cet album et du travail assez particulier qui a été accompli ont-ils influencé ta façon de jouer aujourd’hui et sur ta pratique au quotidien ?
Oui définitivement, j’ai gagné en poids, en pression dans la main gauche, en attaque et en articulation de phrase. J’arrive également à jouer plus doucement certaines choses. Ce qui est ardu avec ces pièces, c’est qu’il faut supprimer une grande partie des tics guitaristiques : les slides, les coups de vibrato, les harmoniques sifflées, les gros bends

Tu utilises néanmoins ces moyens d’expression sur le Kreisler…
Oui car Hervé pensait que c’était une pièce plus contemporaine et que ces techniques étaient utilisables. Ce n’était toutefois pas envisageable sur Beethoven. Il y a des choses qui ne sont pas négociables (rires). Sur tous les morceaux, il a fallu donner de l’expressivité en enlevant une grande partie de la personnalité, ce n’était vraiment pas évident. Cela m’a notamment appris à jouer des motifs lents, en insistant sur chaque note. Parfois, j’appuyais tellement que j’ai eu, non pas mal à la main car le son était très peu saturé, mais une grosse fatigue physique. 

Justement, pour obtenir le son de l’album, quel matériel avez-vous utilisé ?
Au début, je ne pensais pas que le mélange piano et guitare électrique fonctionnerait. Quand Patrice m’a appelé, je lui ai dit que j’étais d’accord mais que le son allait être spécial. D’ailleurs, les premières prises que j’ai faites avec mon matériel habituel ne me satisfaisaient pas du tout. Il fallait un son plus medium, plus lisse, plus plat et en même temps moins agressif avec plus de nuances d’attaque. Après deux ans de recherche, j’ai sélectionné du matériel très simple. J’ai utilisé une tête Peavey JSX Satriani, réglée sur le son clair, son baffle, une pédale de distorsion Jekyll&Hyde et une pédale de volume Ernie Ball. Hervé avait juste un piano à queue Steinway.

N’as-tu pas du tout utilisé de son clair ?
Non. Je voulais rester dans l’identité exprimée par la pochette : une guitare électrique et un piano, une confrontation entre deux univers mais avec un effort fourni pour que ce soit crédible musicalement. 

Comment s’est déroulé l’enregistrement avec ce matériel réduit au plus simple ?
Le problème fut justement le réglage des sons qui se mélangent car nous avons enregistré ensemble. Nous n’étions pas isolés, l’ampli n’était pas dans une cabine. Je ne voulais pas que cela sonne aseptisé. Il est vrai que le son aurait pu être plus propre. Mais je souhaitais vraiment qu’on ait le son des deux instruments. Si tu écoutes bien, tu as le son des cordes de ma guitare dans les micros du piano. Tu en entends le son acoustique de ma guitare. Et parfois quand je baisse le volume, il prend le dessus. C’est comme un bruit de pédale, de feuille de partition, de siège, ça renforce ce côté humain et authentique. 

A cause de cette gestion ardue du son, y-a-t-il eu beaucoup de travail d’editing et de mixage ?
Pas pour l’editing, nous n’avons pas fait de drop. C’est-à-dire que si j’avais fait un pain dans une phrase, on ne pouvait pas le refaire, et ce pour diverses raisons. D’une parce qu’il se retrouvait dans le micro du piano. De deux, pour moi, ce n’était pas évident de rejouer une toute petite partie car les nuances de volume étaient jouées live. Ce n’est pas une science exacte donc peu évident à reproduire. A présent, je possède une Visual Sound avec des diodes et j’arrive à être a priori constant. Pour le travail de préparation de l’enregistrement, nous n’avons fait que quatre ou cinq répétitions ensemble. En fait, j’ai beaucoup bossé tout seul. Nous avons enregistré le tout sur une dizaine de jours. Nous prenions une sonate par exemple, la répétions et quand on se sentait bien, en faisions une, deux, voire trois prises du morceau complet. A partir de là, nous procédions par groupes de mesures, comme le font les musiciens en classique d’ailleurs : de la mesure une à la mesure vingt, par exemple. Nous annotions chaque bout et obtenions un morceau en tranches. Ensuite, on remplaçait des blocs complets, sous réserve que ça marchait selon les problèmes de résonance des instruments, de volume sonore, de sonorités de guitare. Paradoxalement, il n’y a pas eu de problèmes de tempo, même lors des ralentissements. On n’avait pas de clic, juste un pulse interne et la gestuelle. Souvent quand on voit les pianistes classiques faire des gestes assez lents, amples et souples on pense que c’est théâtral mais c’est en fait pour amener le tempo, une respiration, cela sert à poser les choses. 

Parlons à présent business. A-t-il été aisé de publier l’album chez une maison de disque ? Vos renommées respectives ont-elles aidé en ce sens ? De plus, tu souhaitais que le disque apparaisse aussi bien dans les bacs metal que musique classique…
J’aurais aimé mais c’était compliqué car ma notoriété ou celle d’Hervé ne sont pas assez suffisantes. Peut-être pour le prochain album si on arrive à toucher d’autres médias. Le défaut de ce disque est que pour certains, ça reste estampillé Patrick Rondat. C’est normal au vu de mon passé. On le retrouve donc dans mon bac. Ce qui nous manque, ce sont les médias. Si un jour, des gens comme ceux de Diapason s’intéressent à nous, il y aura certainement plus de facilités (NdlR : et hop, une bonne petite phrase bien subliminale !)

Du point de vue de l’actualité, avez-vous des dates prévues de concerts ?
Nous avons un festival de guitare en Italie en septembre, auquel participera notamment Al di Meola ainsi qu’une date parisienne et des tournées à partir de l’automne. La tournée prévue en fin d’année risque de se faire dans de petites salles car je souhaite préserver l’esprit du disque en live également. Je ne veux pas de sono, pas de retours, juste une salle avec une vraie acoustique, comme une église, avec un piano à queue et deux amplis avec une reverb’ stéréo. Nous avons fait trois concerts dans ces conditions et on retrouvait cette même proximité. On entendait le moindre bruit : le switch quand je change de micro, la pédale… Je ne voulais pas dix kilos de son de façade, le piano repiqué sonnant comme un truc digital et la guitare avec l’agressivité du micro SM57. Même si j’adore Malmsteen, je ne me vois pas avec le pied sur le retour pour ce type d’événement (rires).

As-tu eu des échos du projet quelque peu équivalent de Mattias Eklundh qui reprend des pièces de Beethoven avec un orchestre ?
Non, il ne m’en a pas parlé. Mais le connaissant, ça va être différent. Je ne pense pas qu’il va jouer les pièces texto en respectant tout, ou alors je serais très étonné. 

Sur scène, allez-vous interpréter fidèlement les morceaux ou apporter quelques changements ?
Nous allons jouer les oeuvres le plus fidèlement possible. Il se peut néanmoins qu’en fin de concert, nous jouions quelques pièces à moi réarrangées pour piano classique par Manu Martin, mon clavier habituel, pour la surprise et pour le pied. N’y voyez aucune comparaison de démonstration, ce n’est pas pour se dire : « après Beethov’, moi ! » (rires).

Allez-vous poursuivre sur cette lancée ?
Je commence à stocker des idées. Dans les sonates de Beethoven, nous avons juste joué des mouvements et il y en a certains que j’aimerais interpréter en intégralité. Par la suite, on pense aller voir vers Fauré par exemple et pourquoi pas d’autres. Sur ce disque, vous trouverez des adaptations de pièces pour orchestre. Dans le prochain, il n’y en aura pas. Je veux donc des sonates pour piano et violon, voire des trios auxquels on intégrera un autre instrument.

On sent donc que tu cherches à te (re)plonger dans le classique qui fait partie intégrante de ton jeu dès le début…
C’est marrant parce que mon jeu est de moins en moins neo-classique au fil des ans et davantage progressif, notamment grâce à Elegy, Vanden Plas, etc. Paradoxalement, mon univers est de plus en plus classique. Je ne trouve plus mon compte dans le neo-classique à dire vrai. Ce n’est pas un jugement par rapport à qui que ce soit. J’avais du mal à faire du neo-classique sans sonner comme Malmsteen. C’est difficile de s’en détacher. Il y a des musiciens qui essaient d’apporter autre chose et qui n’y parviennent qu’à moitié car le bonhomme a marqué ce style de son empreinte. J’essaie de pousser vers d’autres voies, je n’utilise pas ses progressions harmoniques, ses arpèges diminués, ses plans en mineur harmonique. J’essaie de me défaire de tout ça et l’intérêt de travailler des pièces classiques, c’est d’en découvrir des éléments nouveaux au niveau de la composition que je pourrais réutiliser, mais qui ne sonneront pas forcément neo-classique.

Une démarche qui s’apparente un peu à celle de Stéphan Forté et de ce qu’il fait avec Adagio ?
Absolument. Stéphan fait un super boulot. C’est un excellent musicien, un guitariste hors pair. Il fait partie des gens qui ont écouté Malmsteen et qui ont dû trouver leur voie ailleurs. Il est également issu d’une autre génération. Il a des influences qui peuvent aller jusqu’au black-metal. Je trouve ça cool et c’est un mec que j’aime bien. 

As-tu un dernier mot pour nos lecteurs ?
Ce n’est pas facile de faire une conclusion sur un projet comme celui-ci. On l’a mené sincèrement, avec passion. Ce fut une expérience intéressante et je pense que cela peut ne pas plaire à tout le monde. Certains seront sans doute surpris, déçus , d’autres craqueront peut-être. Je suis fier du résultat, mais je reste conscient que c’est perfectible.