Demians – Demians

ENTRETIEN : DEMIANS

  Origine : France
Style : rock progressif
Formé en : 2002
Composition :
Nicolas Chapel – chant et tous instruments
Dernier album :
Building an Empire (2008)

Ce n’est pas souvent qu’un groupe français est signé sur le label allemand InsideOut Music et plébiscité par Steven Wilson, tête pensante de Porcupine Tree. Disons que ce n’est même tout simplement jamais arrivé ! Nous avons donc saisi l’opportunité de nous entretenir avec Nicolas Chapel, le maître d’œuvre de Demians. Confidences d’un artiste encore « brut de décoffrage », qui tranchent avec le ronron habituel des interviews presse.

Progressia : Commençons par une petite présentation personnelle : qui es-tu et quels ont été tes débuts de musicien ?
Nicolas Chapel : J’ai commencé la musique très tôt, en prenant la guitare de mon père et en écoutant les disques de Peter Gabriel, Rush et de tous les artistes qui me tombaient sous la main. J’ai toujours du mal à en parler car ça fait partie de moi et que cela devient très vite compliqué ! J’ai débuté ce projet en 2002, car j’avais des choses à me raconter. J’ai toujours été très introverti, calme et en retrait, observant les choses plutôt qu’y prenant part, et à un moment dans ma vie, j’ai eu envie d’avancer, de mettre mon grain de sel : c’est ainsi qu’est né Demians.

Sur ce premier album, tu joues tous les instruments. Comment t’y es-tu pris ? Les as-tu enregistré chacun strate après strate ?
Les choses ne viennent d’un bloc. Chaque chanson correspond à une vision d’origine que je souhaitais respecter. C’est pour cette raison que j’ai travaillé seul, afin qu’il n’y ait pas de problèmes d’ego, de barrières, comme on peut en rencontrer au sein d’un groupe. C’est mon premier album, mes premières interviews, j’ai encore beaucoup à apprendre. Faire de la musique pour moi est un principe naturel et ce qui m’arrive actuellement me dépasse un peu. Pour en revenir à l’écriture des morceaux, si tu prends les paroles, rien n’est réfléchi. Je m’enferme dans une pièce, je ferme les volets, j’allume le micro, je chante une – deux fois, et le résultat final ne subit que très peu de modifications : c’est vraiment spontané, à l’image de l’écriture automatique ou du test de Rorschach. Un des thèmes de l’album, c’est la question du positionnement par rapport aux autres avec les interactions qui en découlent. Ces interrogations m’obsèdent, m’excluant souvent moi-même : j’ai toujours eu du mal à établir le contact ou à sortir de ma réserve. A un moment donné, j’ai voulu arrêter de subir ma vie et mes angoisses. D’où Building an Empire : sortir de cette passivité et prendre les choses en main, c’est ce que j’ai voulu raconter.

Avais-tu eu des expériences précédentes en groupe qui expliquent ta démarche de réaliser l’album en solo ?
Beaucoup d’expériences qui m’ont appris quantité de choses. Je me suis rendu compte que le cadre du groupe posait beaucoup de contraintes, à toujours attendre quelque chose, quelqu’un, à avoir des critères sur lesquels se baser, les chansons qui passent au second plan… Le but était d’en faire abstraction et ce n’était nullement une question d’ego. Je souhaitais au contraire que l’exécution passe après les morceaux : la chanson est-elle pertinente ? A-t-elle quelque chose à raconter ? Je préfère rester au second plan. Je savais qu’il était impossible de louer les services d’un orchestre symphonique, j’ai donc enregistré toutes les cordes de l’album moi-même. Bref, j’en ressentais le besoin car c’était devenu nécessité impérieuse. J’ai eu notamment un groupe qui a beaucoup compté pour moi, dans lequel tout le monde s’entendait bien, avec une ambiance très créative. Cette collaboration s’est terminée dans des circonstances où j’étais davantage replié sur moi-même ; d’où l’idée de sortir de cette réserve. Au-delà de ce premier album, Demians est cependant devenu un groupe.

… pour les concerts…
Absolument ! Ce disque n’est pas un simple recueil de chansons mais bien une expérience complète. La façon dont je l’ai pensé et dont il est distribué est aussi importante que le contenu : j’ai tout fait de A à Z, avec très peu de moyens, sans barrière musicale, ni pression des maisons de disques. Tout a été fait en amont : cet album est celui que j’ai présenté au label.

Comment t’y es-tu pris pour démarcher les maisons de disques, et quel a été le processus de « recrutement » d’InsideOut Music ?
InsideOut Music est venu vers moi. Les gars sont tombés par hasard sur un titre en surfant sur Internet et ont contacté mon manager pour lui dire que le morceau leur parlait beaucoup. Ils souhaitaient écouter l’album dans son intégralité afin de savoir si nous pouvions travailler ensemble. A propos de Steven Wilson, je ne lui ai jamais envoyé mon travail. Mon manager l’a rencontré en Angleterre lors d’une tournée alors qu’il s’occupait de Gojira. Il savait que j’écoutais les disques de Steven dont je respecte le travail et lui a donc fait écouter Demians. J’ai toujours pensé que si les chansons parlaient d’elles-mêmes, cela toucherait les gens, ils viendraient me chercher et alors le reste suivrait naturellement. Je trouve plus gratifiant que le public les découvre de lui-même.

Quelles sont tes influences ? On pense à Porcupine Tree et Oceansize pour l’aspect progressif, Vast pour la pop…
C’est encore une fois assez abstrait pour moi. Sept chansons sur les huit qui composent l’album ont été écrites en 2002, avant que In Absentia de Porcupine Tree ne soit publié, avant même que je n’entende parler d’Oceansize. Dès lors, peut-on parler d’influences ? Ne faut-il pas davantage dresser des parallèles entre les groupes en question ? Je respecte énormément ces formations et notre place dans ce milieu est distincte. Si tu visites le site personnel de Steven Wilson pour regarder sa playlist, tu verras qu’il écoute beaucoup de musiques très diverses. J’ai une forme d’approche similaire à la sienne. Bien que nous ne sommes pas de la même génération, nous avons beaucoup d’influences et certainement d’émotions en commun. Il faut donc relativiser ces questions : ce sont des gens qui se trouvent.

Le label et les médias usent jusqu’à la corde la citation de Steven Wilson sur Demains. N’as-tu pas peur que cela devienne trop pesant ?
J’en ai eu très peur au début. Quand je vois l’évolution de Porcupine Tree et quand j’observe la mienne, ce n’est pas forcément la direction vers laquelle je me dirige. Au bout d’un moment, je me suis dit qu’il fallait jouer le jeu : je dois apprendre à déléguer les ficelles de la promotion qui ne sont pas de mon ressort. Finalement, imaginez vous réveiller un matin, aller sur Internet et découvrir que Steven Wilson pense que votre disque est l’un des meilleurs premiers albums qu’il ait entendu. Je ne suis pas totalement à côté de la plaque !

Sur quelle période se sont étalées les étapes de composition puis de production ?
Le laps de temps très long entre l’écriture de l’album et sa sortie n’est pas dû à la durée d’enregistrement. Je suis parti sur une base totalement désintéressée : je ne voulais pas publier d’album et encore moins me lancer dans une carrière musicale. J’étais à un moment de ma vie où je me levais le matin en pesant : « J’aime pas mes fringues aujourd’hui. J’ai pas envie d’être ici. J’ai pas envie de travailler. Où est-ce que ça a merdé ?Où ai-je perdu le fil ?  ». J’étais très actif lorsque j’étais un enfant, et à vingt-deux, vingt-trois ans, je me retrouvais à me demander ce que je faisais là car je n’avais plus envie de rien. Composer m’a appris à me découvrir. Je suis en train de vous raconter un processus que je ne comprends pas : j’ai souvent l’impression que ce sont mes chansons qui m’écrivent et non l’inverse. J’ai eu une prise de conscience il y a trois ans, lorsque j’ai rencontré mon manager. Nous étions avant tout des amis et je lui ai fait écouter ma musique. « Temple » a été composée en 2002 et je ne l’ai pas fait écouter pendant deux ou trois ans : je composais pour moi afin de travailler sur moi. A cette époque, j’ai choisi les chansons qui me représentaient le mieux et les ai enregistrées.

Quelles difficultés as-tu rencontrées lors de cet enregistrement en « solitaire »?
Aucune et ça me surprend encore : cette facilité à retranscrire quelque chose lorsque j’en suis convaincu. L’album s’est fait avec très peu de moyens et aucune aide. Je n’en ai pas cherché, on m’a simplement prêté du matériel. J’ai ainsi enregistré les guitares dans ma chambre et la batterie dans une cave pour justement ne rien devoir à personne. J’avais un projet en tête et je voulais savoir si j’étais capable d’en venir à bout. Je n’ai jamais pensé que je pouvais faire de grandes choses qui soient importantes, et là c’était important d’arriver à créer quelque chose de toute pièce. Sur les questions d’instrumentation, et en prenant l’exemple de la batterie, je ne serais pas forcément capable de les rejouer à la note près, parce que cela requiert un travail quotidien. Au moment où j’imagine le morceau, je peux les jouer naturellement : j’ai mes baguettes, je m’enferme dans ma pièce et personne n’entendra la moindre note de ce qui sortira ce jour-là, je peux ainsi me lâcher. Pour chaque instrument, la version enregistrée correspond le plus souvent à la première prise, semblable à de l’écriture automatique : si vous vous mettez à vous lire au moment où vous commencez, il vaut mieux arrêter. Si j’avais eu trop de prises de conscience lors de l’enregistrement du disque, je pense que cela lui aurait été fatal. M’affranchir de maisons de disques, de budget, de planning, de dates butoirs m’a offert cette liberté. Du coup, j’ai composé près de deux cents cinquante titres sur quatre ans, et au moment où je me suis senti capable de supporter ce projet, l’album est devenu ce qu’il est. Apparemment, ça marche parce qu’il parle aux gens. Toutes les personnes avec lesquelles je travaille aujourd’hui s’intéressent à ma musique et c’est ce qui me plaît.

Si on te dit que cet album ne sonne pas du tout français, j’imagine que tu le prends comme un compliment ?
Oui, surtout si cela sous-entend une approche professionnelle. Je sais d’où je viens, je connais ma culture musicale, et lorsque j’étais enfant, je découvrais tous ces vinyls, sans a priori, sans notion d’anglais ou de français. Pour moi, la voix est un instrument comme un autre. Ma musique devant parler au maximum de personnes, je me suis dit : « Pourquoi quelqu’un en Sibérie n’écouterait-il pas Demians ? ». Ma culture musicale est anglo-saxonne et les mots me sont venus en anglais naturellement, sans que ce soit un choix. Si je devais écrire en français parce que je suis de cette nationalité, cela serait autant un écueil que de composer uniquement à la guitare parce que je suis guitariste.

Y a-t-il une forme de concept sur l’album, entre son titre, sa pochette, certains thèmes et des paroles qui reviennent de morceaux en morceaux ?
C’est difficile d’en parler. Je pars du principe que si je me suis donné à fond sur une chanson, elle doit parler d’elle-même, sans que je doive ensuite épiloguer. Les gens donneront forcément leur sens au texte, qui sera nécessairement différent du mien. Je voulais un langage universel, éviter d’utiliser des mots précis pour laisser la place à l’interprétation, pour que les chansons ouvrent une réflexion. Le titre de l’album n’est venu qu’après l’enregistrement, après l’avoir fait écouter autour de moi. A chaque fois que je me retrouvais à en discuter, on se mettait rapidement à parler de toute autre chose que le disque ou de musique : cela illustre le fait que je veux trouver des gens qui sont comme moi, et leur dire qu’ils sont tout aussi capables que moi de créer leur univers. « Construire un Empire », c’est cela, de sorte que le titre fait plus référence au projet lui-même qu’aux chansons qui le composent. La pochette est assez parlante de ce point de vue-là : rien n’est acquis, tout peut se casser la figure, mais il faut tenter de construire quelque chose.

Comment envisages-tu de jouer sur scène, après cette expérience de composition en solitaire ?
Il a fallu réapprendre les morceaux, me repositionner en tant que chanteur-guitariste au sein du groupe recruté pour la tournée à suivre. J’ai fait ce travail psychologique parce qu’autrement, je serais totalement submergé par les chansons. Demain (NdlR : nous étions la veille du concert d’Oceansize, pour lequel Demians ouvrait en première partie), c’est la première date du groupe. Je travaille avec ces gars depuis près de deux ans. Il était important de créer des liens, de former une famille. Je ne veux pas arriver sur scène et présenter « Nicolas Chapel et ses musiciens ». Même s’ils vont interpréter des parties de batterie, de claviers, de basse, ce sont des gens avec lesquels j’ai envie de poursuivre l’aventure. Je souhaite ressentir cette confiance sur scène car je suis quelqu’un d’inquiet et cela va être énorme pour moi de jouer en concert. Même si j’ai déjà beaucoup d’expériences live avec mes précédents groupes, je ne m’attendais pas, comme je le pensais hier dans le train pour Paris, à me reprendre le sens de ces chansons en plein visage. Quand vous finissez de composer et d’enregistrer un titre, vous vous en détachez, à tel point que lorsque je réécoute l’album, je n’arrive parfois pas à me rendre compte que je l’ai enregistré. Alors je m’imagine sur scène, avec juste un micro entre moi et sept cents personnes pour leur dire : « Voilà de quoi ça parle ». C’est impressionnant et stressant, mais, quelque part, je l’ai cherché. J’ai voulu cette visibilité, la soixantaine d’interviews en deux jours. On a placé la barre très haut en terme d’interprétation et d’énergie. Il faut bien aller au combat en espérant que dans un an, lorsque vous nous reverrez en concert, vous aurez oublié la prestation du Trabendo. Il y a un sacré chemin afin d’y parvenir. C’est bien beau que la presse ou Steven Wilson parlent de vous, mais il faut assurer derrière. Lorsque mon manager m’a présenté à Steven, ce dernier m’a fait un grand sourire en me disant : « J’adore ce que vous faites ! ». J’ai alors pensé : « Il m’a piqué ma réplique !  ». Tout cela est déstabilisant.

Tu nous parlais du contexte très particulier de création de ce premier album. As-tu réfléchi au second ? Sachant que tout sera différent ; tu auras un label, un public, des musiciens…
Comme je te le disais, j’ai composé deux cents cinquante titres environ sur cinq ans, sur lesquels j’en ai sélectionné huit pour l’album et trois autres qui ont été enregistrés mais qui n’y figurent pas sauf « Earth » qui fait office de bonus sur le disque. Sinon, comment j’envisage le prochain ? Lorsque la tournée s’achèvera, on se fera tous la bise, chacun rentrera chez soi, je me retrouverai seul et repartirai de zéro. J’aurai voyagé dans des pays où je n’aurais jamais cru aller, rencontré de nombreuses personnes ; c’est ce que je recherche et l’inspiration ne manquera sûrement pas. Je souhaite continuer ma démarche et rester honnête avec moi-même : j’ai créé ce projet, je peux l’arrêter quand je veux. L’attente d’un public crée de fausses limites. La différence de la composition amènera obligatoirement des déceptions. C’est le cas avec mes artistes préférés car ce ne sont pas les disques qui font l’unanimité qui perdurent. La quasi-totalité de mes albums favoris se sont fait exploser dans la presse ou ont reçu des critiques mitigés. Vous revenez vingt ans après, ils sont toujours là et les gens ont fini par comprendre où l’artiste voulait aller. C’est ce même processus créatif que je souhaite mettre en pratique, un peu comme Tool qui sort des albums tous les cinq ans. Pas pour le plaisir de faire attendre, mais pour être certain d’avoir quelque chose à dire à ce moment là. J’ai un simple contrat de licence avec InsideOut Music. Ils n’ont pas leur mot à dire sur ma musique, bien que nos relations sont avant tout humaines, ce sont eux qui sont venus me chercher et nous avons longuement discuté de notre partenariat : je me sens donc libre dans ma créativité et ma spontanéité d’artiste. Demians restera mon projet solo, mais je pourrais tout à fait créer des projets annexes avec les autres membres du groupe si l’occasion se présente.

Une tournée est-elle prévue outre celle en compagnie d’Oceansize?
Oui, même si elle est encore en cours d’organisation avec notre tourneur. Je souhaite aussi laisser le temps à l’album de s’installer, même si je comprends bien la démarche promotionnelle d’une tournée à la suite de sa sortie. J’ai envie d’être là encore pendant longtemps… si j’ai toujours des choses pertinentes à raconter !

Propos recueillis par Djul
Photos de Fabrice Journo

site web : http://www.demiansmusic.com/

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