Andre Matos – Andre Matos

ENTRETIEN : ANDRE MATOS

  Origine : Brésil
Style : heavy progressif
Formé en : 2006
Composition :
Andre Matos – chant et piano
Hugo Mariutti – guitare
André « Zaza » Hernandez – guitare
Luis Mariutti – basse
Eloy Casagrande – batterie
Discographie : Time to Be Free (2008)

Lorsque Sha(a)man a sorti Reason, il y a trois ans, nous étions loin de penser que la formation brésilienne finirait par imploser. Le constat est aujourd’hui le suivant : le tiers de Sha(a)man est désormais réuni sous la bannière André Matos. Le chanteur a tiré un grand trait sur le passé et a reformé un groupe sous son nom afin de voler de ses propres ailes, comme en témoigne un album au titre évocateur : Time to Be Free. Progressia s’est penché sur le disque en question en interrogeant André (Dédé pour les intimes), tout en ressortant des archives des vieux dossiers tamponnés « Angra » ou « Sha(a)man » sur lesquels l’Auriverde a bien voulu revenir.

Progressia : Trois ans sans nouvelles de ta part, c’est long ! A quoi doit-on ce silence ?
André Matos
: Certes, c’est long, mais je préfère sortir de ma réserve pour ne donner que de bonnes nouvelles. J’ai effectivement disparu de la circulation pendant un petit moment : la dernière promo que j’ai faite remonte à trois ans, avec Sha(a)man pour la sortie de Reason. Peu après, des tensions internes ont commencé à émerger et nous en sommes venus au clash (NdlR : rappelons qu’aujourd’hui, seul le batteur Ricardo Confessori est resté au sein de Sha(a)man) . Il nous a fallu reformer un nouveau groupe, puis démarcher les maisons de disques. Aujourd’hui nous avons un contrat avec un label pour la distribution européenne de l’album. Cela nous a pris un peu plus de temps que prévu, sachant qu’il était déjà disponible au Japon. Je déplore cette attente mais je pense néanmoins qu’elle en valait la peine. Nous avons maintenant une bonne distribution en Europe. C’est une question de timing. Tout se passe bien : c’est le bon moment pour revenir et commencer la tournée promotionnelle. Démarrer en France est très important pour moi.

Pourquoi attaches-tu de l’importance à ce dernier point ?
Je vis une grande et belle histoire d’amour avec la France, ce n’est un secret pour personne. Je me rappelle mon tout premier concert à la Loco en 1994. Sincèrement, je ne pouvais imaginer que l’engouement suscité à l’époque deviendrait ce qu’il est devenu aujourd’hui. Les marques d’affection et d’amour témoignées par le passé n’ont fait que conforter une impression ancienne : la France a et aura toujours une importance particulière à mes yeux. Il y aussi une part d’Histoire : le pays était sur le point de coloniser le Brésil mais s’est fait devancer par le Portugal. Beaucoup de Français sont restés à Rio de Janeiro, ce qui explique qu’un certain nombre de Brésiliens aient des noms français comme « Houlard » ou encore « Villegueneaux ». Moi-même, j’ai un peu de sang français puisque ma famille vient de Rio. Ma grand-mère avait des aïeux français, donc quelque part, c’est dans les gènes.

Parlons maintenant du groupe qui t’entoure. On connaît bien évidement Hugo et Luis mais présente-nous André Hernandez, dit « Zaza » et d’Eloy Casagrande…
Eloy est venu remplacer le premier batteur du groupe. Nous avons auditionné plusieurs candidats. Il était déjà assez connu sur la scène musicale brésilienne (NdlR : précisons également qu’Eloy Casagrande est un élève d’Aquiles Priester, batteur d’Angra ; ceci explique sans doute cela). Sa jeunesse et son talent ont suscité notre curiosité. Il a gagné des prix en Amérique. Je dois néanmoins concéder le fait que nous étions quelque peu sceptiques à son sujet. Il avait beau être extrêmement doué, il n’avait que seize ans et les groupes ne sont pas épargnés par les conflits de générations. A quoi pouvais-je m’attendre avec lui ? Pour risquer une comparaison : c’est comme un footballeur prodige de seize ans qui joue beaucoup mais doit s’intégrer à son nouvel environnement et apprendre à connaître les autres joueurs. Cependant, tous mes doutes ont rapidement été balayés lorsque je l’ai vu à l’oeuvre : non seulement c’est un batteur phénoménal, mais c’est aussi un être humain qui garde les pieds sur terre et la tête froide, très objectif. Le fait de jouer avec des musiciens plus âgés le rend plus mûr que ce qu’il n’est déjà. En travaillant avec nous, il franchit un palier. De plus, c’est une vraie source d’idées fraîches et nouvelles, stimulantes. Il jouait les titres plus rapidement que ce qu’il fallait. Nous nous sommes dit : « Suivons-le ! » (rires). Il a changé quelques passages ici et là mais la base des morceaux est la même, y compris sur le vieux répertoire. Quand le musicien qui joue avec toi est vraiment très bon, tu l’autorises inconsciemment à modifier quelques parties.« Zaza » est un vieux compagnon d’armes qui n’est autre que le premier guitariste d’Angra. Il a quitté le groupe très peu de temps avant la sortie d’Angels Cry. Les canevas de la plupart des morceaux sont de sa conception. Kiko Loureiro l’a remplacé par la suite. A l’époque leur jeu était similaire. « Zaza » a quitté Angra, puis s’est éloigné de Sao Paulo. Nous avons perdu le contact pendant un certain temps. Parfois, lorsque nous jouions non loin de chez lui, il venait nous voir, montant même sur scène pour taper le bœuf, ce qui nous a permis de renouer contact. J’avais dans l’idée qu’un jour ou l’autre, nous collaborerions à nouveau. J’aime son jeu de guitare. Par le plus grand des hasards, j’ai appris qu’il était de retour à Sao Paulo à la période où nous étions enlisés dans le conflit. C’était le moment ou jamais ! Je peux vous dire qu’il est réellement heureux aujourd’hui de faire partie de cette aventure.

Le fait que ce groupe porte ton nom t’oblige-t-il à fournir plus de matériel que ce ne fut le cas dans Sha(a)man ?
Non. La musique est le résultat d’une recherche commune. J’aime le travail d’équipe, le dialogue, échanger des idées, des avis. Il est hors de question pour moi de me prendre pour un dictateur, un tyran (NDdan : non, nous n’avons pas mentionné Kinder Yngwie M. Pourquoi diable nous acharnerions-nous sur lui ?). Je n’ai jamais dit aux autres : « Joue-ça comme cela et tais-toi ! ». Cela n’est pas drôle du tout, et ne fait pas partie de ma personnalité. Ce genre d’attitude placerait les musiciens dans une position inconfortable. Bridés, ils ne peuvent donner le meilleur d’eux-mêmes. Si tu peux discuter, échanger, cela contribue à enrichir la musique et les relations avec tes musiciens. In fine la manière de travailler n’a pas tellement changé. La seule différence est que c’est moi qui prend la décision finale et j’assume mes responsabilités. Si un de mes choix a capoté, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. C’est une ligne de conduite que j’ai toujours suivie et appliquée y compris par le passé dans mes anciens groupes. J’étais la personne la plus impliquée, de la composition au graphisme du livret en passant la planification des sessions photo, le mastering. J’ai toujours travaillé ainsi.

En France, et probablement ailleurs également, on t’associe à Kiko Loureiro et Rafael Bittencourt. Tout le monde s’accorde à dire que votre travail en commun était magique et que l’alchimie était quasi-parfaite. Cela te manque-t-il ?
(Réfléchissant) Quand j’y repense, je me rends compte qu’on a vécu des moments très particuliers.

Plus que particuliers, on pourrait même dire que c’étaient des moments très rares… Avec du recul comment regardes-tu cette période qui va d’Angels Cry à aujourd’hui ?
Je pense qu’Angra a toujours éveillé les curiosités, en particulier en France, notamment grâce à un très bon travail de marketing et de promotion effectué à l’époque. De fait, la mayonnaise a pris et suscité pas mal d’intérêt. Quand nous venions chez vous, c’était la folie, un engouement et un dévouement rares. La musique que nous écrivions et jouions était d’une qualité exceptionnelle. Pour être totalement honnête, je pense qu’il y avait beaucoup de bonnes idées, de matériel original et inhabituel. Ce sont des choses que je recherche et que j’ai toujours recherché tout au long de ma carrière. Si j’écoute de manière critique tout ce que j’ai fait auparavant, je n’ai pas de regrets parce que nous avions fait de notre mieux.. Cependant, si c’était à refaire, j’opterais pour une approche moins prévisible et plus subtile. J’ai désormais plus d’outils à ma disposition. Cette époque révolue était effectivement magique et j’en tire beaucoup de fierté et de plaisir.

Es-tu en contact avec tes anciens acolytes ?
Non. Malheureusement pour les fans, je ne suis pas en contact avec eux. C’est triste à dire : non seulement nous avons perdu contact, mais aussi notre intérêt commun ; il n’y a plus d’alchimie. Un tel phénomène est également observable dans la nature : tu regardes un bel arbre ; il perd de sa beauté et finit par mourir, c’est naturel. Rien n’est éternel. Ce sont là les principes de base de l’alchimie. Tout ce qu’on peut faire maintenant c’est regarder en arrière et se dire : « Wow, tout ce que nous avons fait ensemble était vraiment génial ! ». Cependant, on ne peut éternellement nier les problèmes, il faut faire face à un moment ou l’autre. C’est ce qui est arrivé au sein de Sha(a)man aussi. Faire semblant n’a jamais rien arrangé, au contraire, ça te ronge et te consume de plus en plus, jusqu’à en perdre ta créativité. Tout le monde cite Holy Land mais Fireworks est un très bon disque, qui n’est certes pas aussi bon que son illustre prédécesseur. Ce disque est révélateur de ce qui se passait à l’époque. J’ai toujours pensé que lorsque ce genre de situation arrive, elle a des répercussions sur la créativité. Si tu veux faire les choses avec cœur, il faut les ressentir totalement. C’est devenu ma devise.

Parlons de ton chant : au sein d’Angra il était puissant, avec une variété et un registre large du grave à l’aigu. Avec Sha(a)man, tu as évolué vers un style plus agressif. Qu’en est-il aujourd’hui ? Où te situes-tu ?
Je dirais qu’il est naturellement entre les deux. En tant que chanteur, je suis supposé évoluer. Je suis plus proche de ce que je faisais à l’époque de Viper et Angra, bien que certaines parties de chant rappellent également Sha(a)man. Je ne me soucie pas de la manière dont je vais chanter tel ou tel passage : je suis plus préoccupé de savoir ce que tel ou tel titre requiert. Un morceau comme « Rio » est assez agressif et réclame de la puissance. A l’opposée, une chanson telle que « Letting Go » me ramène vers un style plus lyrique et cristallin, avec des notes très hautes. Je m’estime heureux, cependant, car je suis encore capable de varier les styles de chant quand cela est nécessaire.

Si l’on regarde les titres des chansons, on voit beaucoup de questions. Dresses-tu un quelconque bilan à travers ces morceaux ?
Tu vas comprendre la corrélation entre les titres. Commençons d’abord par celui de l’album : quelle est la première pensée qui vous est venue à l’esprit en le découvrant ?

Cela laisse à penser qu’il était temps pour toi de voler des tes propres ailes… 
Bien entendu c’est l’idée première… je me sens évidemment plus libre que je n’ai pu l’être par le passé. Certaines circonstances m’ont poussé à sortir ce disque sous mon propre nom. Je reste fidèle à mes racines. Quand je chantais dans Viper, Angra, Sha(a)man, Virgo, chacun de ces groupes avait un style musical bien défini, ce qui m’obligeait à adapter mon chant. Aujourd’hui je ne suis plus bridé, je peux faire un mélange de tous ces styles, me lâcher, sans pour autant perdre de mon identité et évoluer. Je ne veux pas reproduire à l’identique ce que j’ai fait dans le passé, simplement me servir de mon expérience. Le sens véritable du titre ne s’arrête cependant pas à cette première idée. Je pense qu’il est temps pour tout le monde d’être libre, de s’affranchir de tout. Le monde évolue de manière étrange, ces temps-ci. Certains sont dépassés par cette évolution. D’autres se sentent, observés, épiés. Si la technologie peut être un progrès, elle contribue également à « isoler » les êtres humains, à leur faire perdre certaines valeurs. Peu importe d’où l’on vient, où l’on se trouve, que ce soit en France, au Brésil ou au Japon, nous avons tous les mêmes interrogations sur l’environnement ou encore notre place dans la société. Chacun recherche cette notion de liberté. Certains sont carriéristes et associent le terme « libre » à l’obtention d’un emploi et de l’augmentation de salaire qui avec afin de pouvoir s’offrir un voyage aux Seychelles, par exemple. C’est une erreur, à mon sens. La musique est un outil puissant pour nous évader de ce qui nous entoure habituellement. Elle permet de chercher au fond de toi ce que tu veux vraiment. Au delà du titre de l’album, les textes tournent autour de cette idée-là.

Tu es titulaire d’un diplôme de chef d’orchestre. Pourquoi ne pas avoir cherché par exemple à mettre plus l’accent sur les parties orchestrées que sur les parties heavy ?
J’y ai pensé, à vrai dire. Je cherche à pouvoir combiner à nouveau le classique et le rock. J’ai toujours cherché à le faire, depuis mes débuts avec Viper. Au sein d’Angra, c’était bien plus évident. Nous avions la même démarche avec Sha(a)man et Virgo. J’aime la musique classique, c’est une de mes influences premières. J’aurais pu embrasser une carrière de musicien classique mais j’ai eu un choix à faire. Pourquoi le metal au lieu du classique ? Impossible de pouvoir faire les deux en même temps, cela demande un temps fou. J’ai quelques amis chefs d’orchestre qui sont tellement occupés qu’un dîner avec eux relève de l’utopie, c’est dire ! Ils doivent continuer à travailler et étudier avec hargne. Peut-être que plus tard je ne me consacrerai qu’à la musique classique, qui sait ? Pour l’instant, ma modeste contribution consiste à faire en sorte que les deux univers se mélangent harmonieusement : je pense que c‘est une approche intelligente et subtile. Enlevez les arrangements et la chanson deviendra fade. Rien n’est là par hasard.

Quels sont tes compositeurs favoris ? 
Bien entendu, Bach, Mozart, Beethoven : ils sont essentiels. En tant que pianiste, j’adore Chopin. A l’inverse, je n’aime pas Liszt : trop de technique, de démonstration au détriment de la subtilité et de l’émotion. C’est le Yngwie Malmsteen de la période romantique (rires) ! Je dois cependant vous confesser que mon compositeur favori est français : il s’agit de Francis Poulenc, sa musique est tellement belle. Je me suis rendu deux fois sur sa tombe.

 La question rituelle : quels sont tes artistes ou disques du moment ?
Honnêtement, je ne peux répondre. Je viens de terminer Time to Be Free et il a fallu que je l’écoute beaucoup pour le peaufiner. Il est temps pour moi de laisser mes oreilles se reposer. Concernant les dernières productions metal, je n’ai pas trouvé grand chose d’intéressant. Certains nouveaux groupes percent l’écran en reprenant les recettes qui ont servi par le passé. Ceci étant, j’ai beaucoup apprécié Rammstein et Paradise Lost, qui sont pour moi les derniers groupes réellement originaux aujourd’hui. L’originalité est ce que je recherche. Je préfère écouter mes anciens disques que je juge plus intéressants que les sorties actuelles.

Pour finir, quels sont tes projets de tournée ?
On y travaille en ce moment. J’espère que nous serons à l’affiche de certains festivals prévus cet été, comme le Wacken. Après cette période estivale, nous devrions nous embarquer dans une grande tournée européenne et j’espère vivement pouvoir donner beaucoup de concerts en France.

Propos recueillis par Dan Tordjman & Antoine Pinaud
Photos de Fabrice Journo

site web : http://www.andrematos.com

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