Hauteville – Hauteville

ENTRETIEN : HAUTEVILLE

  Origine : France
Style : AOR/Rock progressif
Formé en : 1994
Composition :
Lydie Gosselin – Chant
Didier Thery – Clavier, basse, guitare
Laurent Ober – Basse
Vincent Turmel – Batterie
Denis Turmel – Guitare
Vincent Fournier – Guitare
Dernier album : Relief Data Incomplete (2006)

Tout vient à point à qui sait attendre. Lentement mais sûrement, les Français d’Hauteville grimpent les échelons vers une plus large reconnaissance. Une démo, un premier album chez Brennus puis un second chez Lion’s Music, le tout étalé sur pas moins d’une douzaine d’années ! La diffusion du groupe s’internationalise, tandis que sa musique s’affirme et se durcit. Denis Turmel et Didier Théry nous éclairent sur l’entité Hauteville.

Progressia : En lisant votre biographie, j’ai noté un CD 4 titres en 1990, un premier album éponyme en 1998 et finalement, Relief Data Incomplete en 2006. Le moins que l’on puisse dire, c’est que vous prenez votre temps ! La première question – qu’on doit souvent vous poser je suppose – sera donc : pourquoi un délai aussi long s’est-il écoulé entre vos différentes productions ?
Denis Turmel :
Il me semble que le CD 4 titres date de 1994… mais ça ne change pas la pertinence de la question. Tout ce temps écoulé s’explique par plusieurs paramètres : le perfectionnisme, la dispersion, la motivation et les changements dans le line-up. Nous sommes maladivement perfectionnistes. Cette exigence traduit une marque de respect et de professionnalisme pour ce que nous faisons mais trahit aussi un doute permanent, qui peut tour à tour être aussi constructif que destructeur, dans ce que nous avons à proposer. Mais cela présente en revanche un avantage en termes de qualité d’arrangements et de production.
Le projet Hauteville n’a jamais représenté l’objectif ultime de nos vies. Aussi, notre finalité était juste de proposer une matière dont nous pourrions être fiers. Pas véritablement d’en vivre. Certains d’entre nous sont suffisamment immergés dans le music-business (jusqu’au cou et même plus) pour bien mesurer à quel point la dépendance financière n’est pas un vecteur de créativité ; Cyril Grimaud, notre ancien chanteur, avait une interprétation différente de la question de la « gestation » et de ses corollaires, ce qui a en grande partie causé son départ, et amené Lydie à prendre le chant lead.
En résumé, à partir du moment où il n’y a aucune urgence à faire les choses, nous prenons notre temps.

Entre Hauteville et Relief Data Incomplete, votre style a quelque peu évolué, délaissant (un peu !) le côté progressif pour se diriger vers une musique plus musclée, peut-être plus accessible. Quelle est l’origine de cette évolution ?
En effet, après le départ de Cyril, nous avons pris indiscutablement une direction plus AOR, plus musclée aussi sur certains titres.
On pourrait dire qu’il y a énormément de styles et d’influences sur cet album – hard, pop, rock, électro… -, c’est un peu l’auberge espagnole. Même si c’est présenté sous un jour plutôt (très) positif dans les chroniques de l’album, nous avons du mal à trouver un public qui se reconnaisse clairement dans ce que nous faisons, au delà du « j’aime ou je n’aime pas », justement parce que de l’extérieur la musique d’Hauteville est perçue comme un patchwork. Le « métissage » à tout crin, sur le plan musical s’entend, n’est pas une vertu en soi, et le fait de mélanger une tournerie sur sept temps et demi avec des cornemuses du Berry et un riff métal ne produit pas automatiquement une œuvre miraculeuse… Ce genre d’expérimentation est même souvent le cache-sexe d’un certain déficit d’inspiration…
En clair, nous récusons ce côté « puzzle » d’influences ; notre musique doit être prise comme un tout, et pas comme une hybridation délibérée de tout ce qui passe par nos oreilles… Lorsque vous achetez un album de rock progressif, vous vous attendez à un certain type de morceaux avec un certain format : technique, long, atmosphérique, truffé de breaks, etc… C’est un style, parfois même une « figure imposée »… Pour nous, la véritable musique progressive, c’est la liberté de pouvoir proposer des albums différents, quitte un jour à faire un album de disco tout simplement par ce que l’on en aurait envie… tout ceci est à l’étude.

Entre les deux albums, Lydie est passéeau chant après le départ de Cyril. Qu’est-il devenu ?
Nous savons qu’il continue à exercer ses talents de chanteur et de compositeur, domaine dans lequel il excelle véritablement, dans divers groupes notamment avec le bassiste d’Hauteville.

Lydie a-t-elle dû s’adapter aux nouveaux titres ou ceux-ci ont-ils été écrits pour elle ?
Lydie a dû principalement s’adapter aux lignes de chants très alambiquées de Cyril. Cela aurait été un exercice difficile si elle avait essayé de calquer son chant sur ce qu’avait proposé Cyril, mais elle a immédiatement remis le tout à sa sauce à elle, à sa sensibilité, son timbre, sa tessiture…. Avec une facilité qui nous a tous un peu scotchés. Et puis il y a cette magnifique reprise de Lisa Dalbello, « Immaculate Eyes » : c’est comme si Lisa l’avait écrite spécialement pour Lydie.

Les anciens titres chantés par Cyril ont-ils été adaptés à Lydie pour une interprétation en concert ?
A partir du moment où toutes les lignes de chants de Cyril avaient été revues lors de l’enregistrement studio, il n’était plus nécessaire de refaire une « adaptation ». Lydie n’a plus qu’à chanter comme elle le sent. D’ailleurs, c’est une pure instinctive, elle ne sait faire les choses que d’instinct.

Patrick Rondat fait une apparition sur deux titres de Relief Data Incomplete. Comment avez-vous été amené à le rencontrer et à travailler avec lui ?
Je l’ai rencontré à plusieurs reprises lorsqu’il travaillait dans un organisme professionnel du milieu musical. Le courant est bien passé entre nous, je lui ai proposé de venir jouer sur l’album, et il a accepté. C’est un guitariste d’exception, d’une humilité impressionnante, d’une grande lucidité par rapport au business, qui a une approche très personnelle et très exigeante de la question de la limite entre le compromis et la compromission. Beaucoup de musiciens devraient s’en inspirer.

Pensez-vous à nouveau collaborer avec lui à l’avenir ?
Pour nous, c’est quand il veut ! Je lui ai adressé l’album, je ne sais pas si nous aurons une nouvelle opportunité mais ce serait cool.

Une question plus orientée « musiciens » : qu’utilisez-vous comme matériel ?
Didier Théry :
L’enregistrement de Relief Data Incomplete a commencé peu de temps après la sortie du premier album. Le matériel et les instruments utilisés étaient donc les mêmes à ce moment-là. Tout cela a évolué au fil du temps. Denis a toujours ses guitares Lag et sa Kramer trafiquée, son ampli Carvin XV112, mais a aussi utilisé une Télécaster et une tête Steaven avec une enceinte Peavey 5150 et divers autres trucs. Laurent est passé d’une basse Warwick à une Musicman (enfin !), pas de changement pour la batterie, c’est celle du studio ; pour les claviers on a utilisé pas mal d’instruments virtuels, le studio ayant aussi évolué en passant sur une plateforme PC, cela nous a permis d’expérimenter beaucoup de choses.

Où, dans quelles conditions et sur quelle durée a été enregistré Relief Data Incomplete ?
Nous enregistrons dans notre propre studio, que nous avons monté pour le premier album. Des idées sont présentées au groupe, on les arrange ensemble en répétition et quand la trame semble convenir, on va chacun notre tour dans la cabine de prise de son pour les bases, puis on complète, on édite, on réarrange, on réenregistre, etc. On a pris notre temps, mais en période cumulée, on a dû faire l’album en un an et demi.

De ce point de vue, qu’est-ce qui a changé par rapport à Hauteville ?
Le matériel du studio a changé … On a commencé sur des multipistes avec console numérique pour les enregistrements et les mixages pour finir sur ordinateur avec console analogique pour les prises, le mix se faisant sur la bécane… Comme précisé plus haut, cela nous a permis d’essayer plein de choses, mais surtout d’avancer sur la production. Et puis l’expérience du premier album a joué aussi.

Votre album Hauteville est sorti chez Brennus, Relief Data Incomplete sur un label étranger, Lion Music. Pourquoi ce changement ? Lion Music proposait-il de meilleures garanties ?
Denis Turmel :
Lion Music nous proposait une avance sur royautés… Symboliquement, le fait de sortir du cash, c’était une façon de dire « on croit dans ce disque ». Non pas que Brennus n’y croyait pas… Pour Brennus, c’était peut être une question de surface financière par rapport aux nombreuses références de son catalogue. Ce qui est motivant avec Lion, c’est la dimension immédiatement internationale du projet. Je m’explique : de toute évidence, un label finlandais ne peut pas simplement miser sur son marché domestique pour se développer, ni même pour survivre. Le projet doit donc être immédiatement pensé en termes d’export. Leur problématique d’entreprise se confond avec notre « entreprise » Hauteville : notre diffusion doit être internationale, si l’on veut que notre musique soit entendue ; le marché français pour ce genre de musique est trop marginal pour ne serait-ce que constituer une base arrière pour un développement en plusieurs étapes.

Un label étranger rend-t-il un groupe français plus « crédible » ?
Disons que d’être sur le label de Lion est pour nous le signe qu’il commence à se passer quelque chose par rapport à ce que nous proposons. Si j’osais, je comparerais ça à l’export des joueurs français de football dans les clubs étrangers. Par confrontation avec ce que proposent les autres, tu es obligé d’accepter que la barre soit mise plus haut. Tu ne peux plus te conforter dans ton rôle de meilleur groupe de la sous-préfecture, à St Chéron-les-Deux-communes. J’ai récemment écouté puis acheté l’album de Mind’s Eyes, H20 sorti chez Lion Music… c’est un disque remarquable, inspiré, etc. Indirectement, c’est très stimulant pour nous de penser que Lion, qui a misé sur nous, dispose dans son écurie de musiciens et de compositeurs de cette trempe.

Quel accueil Relief Data Incomplete a-t-il reçu à l’étranger ?
Excellent, si j’en juge les chroniques rédigées dans le monde entier, anglophones en tête. Maintenant, on ne s’illusionne pas sur la traduction de ces chroniques en termes de ventes et, comme on l’a dit plus haut, nous n’avons pas besoin de ça pour manger, ça rend donc plus serein. Selon la nomenclature en vigueur dans l’industrie du disque, Hauteville serait un « produit spé » dont on sait qu’ils sont les plus téléchargés illégalement, proportionnellement aux ventes réalisées.
La plupart des musiciens savent bien que c’est par la scène, aujourd’hui bien plus qu’hier, qu’on on peut toucher les gens, et développer quelque chose… Lisez le chapitre sur la culture du dernier bouquin de Jacques Attali, Une brève histoire de l’avenir. C’est extrêmement édifiant sur le devenir de la musique enregistrée. Tiens, j’en profite pour dire qu’Hauteville recherche toujours un tourneur et/ou un manager.

Quels sont vos projets immédiats ? Des concerts, composer de nouveaux titres ?
Le projet d’Hauteville pour le moment est de tourner. C’est ce que nous avons commencé à faire en participant au tremplin du Raismesfest près de Valenciennes. C’est un tremplin métal que S2D2 a remporté. Nous n’étions pas véritablement à notre place, mais ce fut une expérience intéressante. Nous tenons d’ailleurs à remercier les organisateurs qui ont été très sympas. Puis nous avons joué à la Scène Bastille il y a peu, grâce à l’association Elianor. Nous tenons également à les remercier. Ces gens font un travail totalement ingrat, ils se coltinent des musiciens sans arrêt – ce qui n’est pas en soi une sinécure – pour les faire tourner sans autre motivation que la foi dans ce qu’il font… de vrais militants au sens premier du terme. Pour revenir à Hauteville, de nouveaux titres sont également à l’étude. Nous aimerions faire notre « Hounds Of Love » à nous. Enfin… ce serait bien.

Allez-vous respecter votre durée de gestation habituelle pour ce qui concerne un éventuel prochain album ?
On ne sait pas … sachant que Relief Data Incomplete a été composé dans les deux années qui ont suivi le premier album … On espère que non !

Pour finir, une question piège (je me défausse lâchement en précisant qu’elle provient d’un membre du forum) ! A quel groupe ne voudriez-vous pas qu’on vous compare ?
A quel groupe ? Voyons voir. A la Compagnie Créole sans doute… non, à Genesis ! Nous sommes bien meilleurs qu’eux ! Plus sérieusement, on ne se reconnaît pas forcement dans les étiquettes qu’on nous colle… notre démarche globale est plus proche de groupe des années 70 ou 80’s comme Yes, Supertramp, Genesis qui faisaient des titres au format parfois alambiqué sans pour autant que ce soit une recette… mais chacun apprécie l’album à son idée… les goûts (les dégoûts, et les égouts aussi) et les couleurs…

Propos recueillis par Jean-Philippe Haas

site web : http://www.hautevillemusic.com

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