Marillion – Marillion

ENTRETIEN : Marillion

 

Origine : Royaume-Uni
Style : Rock (progressif ?)
Formé en : 1980
Composition :
Steve Hogarth – chant, guitare
Steve Rothery – guitare
Mark Kelly – claviers
Pete Trewavas – basse
Ian Mosley – batterie
Dernier album : Somewhere Else (2007)

Un nouvel album de Marilllion ne laisse jamais indifférent. Ce qu’on note, et Somewhere Else ne fait pas exception, c’est le besoin incessant d’évoluer, de faire du neuf, de changer, de proposer autre chose. Discussion à bâtons rompus avec Mark Kelly et Ian Mosley sur un groupe qui prend toujours autant de plaisir à faire de la musique, 25 ans après ses débuts. Le prog, dans tout ça… ?

Vous avez toujours revendiqué une certaine liberté dans vos choix artistiques et musicaux. Vous aviez par exemple déclaré que vous pourriez jouer un jour, pourquoi pas, une symphonie ou un album à la Iggy Pop. A votre avis, est-ce que cette liberté de style est compatible avec les attentes du public prog ?
Mark Kelly :
En fait, toute la question est de savoir ce que recouvre le terme progressif, et même, je me demande si le terme « public progressif » signifie vraiment quelque chose. Il a un côté un peu trop restrictif à mon avis. On ne se considère pas nous-mêmes comme un groupe de rock progressif, parce que ce mot aujourd’hui recouvre des connotations négatives. La plupart du temps, le public choisit l’étiquette pour y mettre un sens négatif : « ce n’est pas du prog, ce n’est pas de la pop, etc… donc je ne vais pas écouter ».
Ian Mosley : Nous, on ne se situe pas sur ce terrain-là. Nous ne sommes pas assez aventureux pour nous engager dans ces questions de style. Les gens qui nous reprochent de ne plus être un groupe de rock progressif peuvent dire ce qu’ils ont envie de dire, on ne les en empêchera pas. Ce qui nous intéresse surtout, c’est de nous faire plaisir. Nous n’avons pas d’autres pressions que notre plaisir.

J’ai écouté Somewhere Else pour la première fois hier, et ce qui ressort de la toute première écoute, c’est : encore du neuf. Nous sommes loin de Marbles, la touche est plus rock, plus puissante, plus aérienne. Il semble qu’à chaque fois, vous cherchiez à étonner, est-ce volontaire ou bien vous ne vous posez-vous pas la question ?
Mark Kelly
: Lorsqu’on termine un disque, nous n’avons aucune idée de ce à quoi ressemblera le suivant. C’est trop difficile, parce que nous sommes trop dans l’instant, sans forcément nous projeter dans le futur. Parfois, on garde quelques chansons, qui n’allaient pas vraiment dans le concept, et qu’on pense réutiliser un jour. Ici, dans Somewhere Else, le son est différent, je veux bien le reconnaître, mais ce n’était pas vraiment prédéterminé.
Ian Mosley : On travaille entre nous, on fait des essais au clavier, on regarde si tout prend bien. Il n’y a pas vraiment de direction artistique, mais nous savons, lorsque nous jouons ensemble, si un morceau est bon ou si un autre doit être retravaillé.

Quelles ont été vos principales influences pour l’élaboration de Somewhere Else ?
Mark Kelly
: Il n’y a pas de thème particulier. Nous sommes un groupe issu des années 80, nous avons connu les années 90. Nous n’avons pas clairement conscience de tout ça, je ne vois pas vraiment quelles ont pu être nos influences récentes pour le dernier album. Nous travaillons toujours ensemble, avec les influences et les idées de chacun d’entre nous. Nous allons parfois puiser dans les années 80, dans les années 90. Voilà 25 ans que nous existons, des influences, nous avons dû en recevoir de très nombreuses.
Ian Mosley : Marillion a toujours été un groupe un peu à part dans les années 80, comme dans les années 90. On pourrait presque dire parfois que nous avons été notre propre influence. Dans les années 80, nous avons fait de la musique des années 80, dans les années 90, nous avons fait de la musique des années 90 et en 2007, nous faisons de la musique de 2007.

Quand avez-vous commencé l’écriture et la composition de Somewhere Else ?
(Ian Mosley demande à Mark Kelly : « est-ce que tu peux t’en rappeler ? »).
Ian Mosley : On a commencé à y réfléchir dès l’été 2005. On s’est ensuite arrêté pour reprendre vraiment en 2006 parce que c’était trop tôt après Marbles, nous étions encore dans Marbles et on ne voulait pas que le disque sonne comme lui. Dès que la tournée Marbles a été achevée, nous avons fait quelques essais en studio. Nous sommes des artistes terriblement lents. On voulait prendre des directions que nous n’avions pas encore prises auparavant, ça nous a demandé pas mal de temps. Vous pouvez avoir une bonne idée et vous rendre compte, finalement, qu’elle ne rentrera pas dans l’ensemble du disque.
Mark Kelly : On s’est mis en studio, on a fait pas mal de jam sessions et puis, lorsque nous avons joué la première chanson : « The Last Century For Man », on s’est dit : ouah, c’est vraiment une super chanson. On voulait que l’album sonne un peu comme ça, que tout sonne de cette manière, avec pas mal de piano et des parties plus classiques.

Pourquoi être revenu à un format plus classique ?
Non, ça ne pouvait pas être la même chose parce que nous avons travaillé un peu différemment, et surtout, nous avons retenu moins de chansons cette fois-ci. On avait écrit pas mal de chansons pour Somewhere Else, 18 en tout et on en a enregistré 16. Entre nous, on a beaucoup discuté : quelles chansons veux-tu garder, laquelle n’a pas sa place dans le disque ?
Ian Mosley : On en a retenu peu finalement parce que certaines chansons fonctionnaient très bien ensemble, alors que d’autres s’accordaient mal avec l’album. En fait, les chansons que nous avons retenues faisaient un bon album, et nous n’avons pas vraiment eu besoin de songer à un disque double. Nous voulions un album dynamique, rapide, plus énergique.

Le public prog traditionnel considère que Marillion ne fait plus de rock progressif. Que leur répondez-vous ?
Mark Kelly
: Nous ne sommes plus le même groupe que dans les années 80. Nous ne sommes plus le groupe de Fish. Nous avons évolué, graduellement, avec le temps. Déjà depuis Marbles, nous avons changé, alors depuis nos débuts… C’est tout à fait normal qu’un groupe change en 25 ans, c’est la vie. Nous n’avons pas vraiment la nostalgie de nos débuts. Aujourd’hui encore, lorsque nous entrons en studio, c’est toujours aussi excitant même si ce n’est plus tout à fait comme la première fois, la vie est comme ça. On ne regarde pas toujours en arrière.
Ian Mosley : Nous sommes devenus très cyniques avec l’âge, mais nous aimons toujours ça. Vous imaginez : refaire la même chose, sans arrêt, depuis 25 ans… Je ne peux même pas l’imaginer. On a la chance d’avoir de nouvelles idées, on a aussi la chance de bien s’entendre et de continuer à travailler ensemble. Nous continuons, tant que ce sera possible. C’est le plus important dans un groupe, si vous aimez jouer de la musique ensemble, ça ne peut être que bon.

Les pochettes de Marillion sont toujours nouvelles, assez surprenantes. Comment travaillez-vous ?
Ian Mosley
: Pour nos premiers albums avec Fish, nous avions gardé le même thème du Jester et après 1988, nous avons vraiment eu envie de quelque chose de neuf, avec de nouveaux styles, un nouveau logo, etc. On a fait appel à Bill Smith, qui a conçu pratiquement toutes nos pochettes, sauf Holidays in Eden et Marbles. Il a travaillé aussi avec Porcupine Tree. On lui donne quelques idées, et ensuite on l’invite en studio. La plupart du temps, il nous propose plein de choses différentes, on discute pas mal ensemble, mais il faut que tout le monde soit d’accord. On ne retravaillera plus avec Mark Wilkinson, par exemple, parce que c’est le passé.
C’est vraiment le passé.

Parlons un peu de Brave, le dernier concept album que vous ayez composé. Est-ce que vous pensez que le public a été le même pour un album aussi sombre que pour des productions plus légères qui ont suivi ?
Oui, c’est un album plus difficile. Je pense qu’on a perdu pas mal de public avec cet album. La plupart des gens étaient un peu désorientés lorsqu’ils l’ont entendu pour la première fois, ils ont été choqués, parce qu’ils ne s’attendaient pas vraiment à ça. Le concept est plus noir, plus sombre. Lorsqu’on le joue, c’est toujours un peu difficile, on l’a joué il y a quelques années à la convention, et le public le trouve toujours aussi étrange, c’est un album qui est plus difficile à intégrer.

Vous aimeriez composer un nouveau concept album, plus joyeux peut-être ?
Mark Kelly
: On pourrait bien en refaire un. On ne se projette pas là-dessus. Ce qu’il faut, c’est une bonne idée, une idée suffisamment intéressante pour que nous puissions la développer. Faire un album plus long, c’est aussi faire un album un peu plus cher, et nous ne l’avons pas projeté pour l’instant.

Y a-t-il des groupes avec lesquels vous aimeriez travailler ?
Non, je n’ai pas ce genre de désir. J’aime bien écouter des groupes comme Radiohead, ou Sigur Ros, mais sans forcément avoir envie de travailler avec eux. J’aime bien un groupe comme System of a Down, mais je ne pense pas pouvoir travailler avec eux, c’est sans doute un peu plus sauvage, plus métal.

Que pensez-vous de cette mode des Tribute Bands ? Avez-vous le vôtre ?
Ian Mosley
: Il en existe quelques-uns pour Marillion, mais je ne les connais pas, sauf Forgotten Suns, qui reprend la période Fish. Je connais Musical Box (NdlR : un tribute-band de Genesis très en vogue qui reprend le répertoire de la période Peter Gabriel), ils reprennent tout : les costumes, les sons, les voix de l’époque… J’ai un peu de mal à comprendre pourquoi les gens aiment ce genre de chose, je ne sais pas trop bien ce que ça signifie exactement. C’est de la nostalgie…

Et que penseriez-vous d’un Marillion à six membres et deux chanteurs ? Vous aimeriez que Fish rejoue avec vous ?
Mark Kelly
: Non, ce n’est pas à l’ordre du jour. On en avait parlé avec Fish il y a quelques temps, malheureusement, rien ne suivit. Pour l’instant, nous n’avons pas de projet ensemble.

Si vous pouviez voyager dans le temps, quels seraient les artistes ou les concerts auxquels vous aimeriez assister ?
Led Zeppelin ! Peut-être aussi les Beatles, Pink Floyd aussi.
Ian Mosley : John Bonham. Je l’ai vu il y a très longtemps, à Knebworth.

Pour vous, qu’est-ce que le rock progressif aujourd’hui ?
Mark Kelly
: Ce n’est pas vraiment la musique qui m’intéresse. Je n’en écoute pas beaucoup, sauf peut-être Genesis. Bon, il y a de très bons musiciens, de très bons groupes je suppose, mais j’ai un problème avec les étiquettes. Les gens qui nous achètent ne se demandent pas si nous faisons encore du rock progressif, ils cherchent simplement à savoir si ce que nous faisons est bon ou mauvais. On met les groupes dans de petites boîtes, mais je ne trouve pas que ce soit très intéressant. Je me demande souvent pourquoi les gens perdent leur temps à étiqueter les groupes, au lieu de les écouter.
Ian Mosley : On nous demande souvent : pourquoi perdez-vous votre temps à composer des chansons de trois minutes, alors qu’une chanson de 10 minutes, c’est bien meilleur ? Parfois, j’ai l’impression que si on fait une chanson de trois minutes, on la trouvera mauvaise, alors que si on compose la même chanson sur dix minutes, ce sera du rock progressif, et on la trouvera bonne. C’est une étrange attitude.

Quelle est votre position sur le téléchargement illégal ?
Mark Kelly
: Nous sommes dépendants des gens qui achètent notre musique. Si nous pouvions gagner de l’argent autrement, on le ferait, mais pour l’instant, ce n’est pas possible. Beaucoup de gens écoutent de la musique téléchargée, le problème, c’est qu’ensuite, ils n’achèteront jamais le disque : ça pose quand même un problème. Lorsque vous téléchargez quelque chose que vous aimez vraiment, il se peut que vous l’achetiez, mais je ne pense pas que ce soit le cas de la majorité. Nous vivons sans doute une période de transition, la prochaine génération devra être plus responsable, faire le choix entre les artistes qu’ils téléchargent, ceux qu’ils achètent.

Propos recueillis par Jérôme Walczak

site web : http://www.marillion.com

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