– Rock Oz’ Arènes

FESTIVAL : ROCK OZ’ARENES 2006

 

Lieu : Arènes d’Avenches (Suisse)
Date : 15 août 2006
Photos : J. Carlucci (Rock Oz’Arènes) et Valérie Josi

Pour sa quinzième édition, le Rock Oz’Arènes d’Avenches a décidé de frapper un grand coup en réussissant à faire venir Radiohead et ce, comme unique date en Suisse de cette tournée 2006. Les huit mille billets se sont écoulés en une demi-heure, laissant sur le carreau près de cent mille amateurs transis de désespoir (c’est le nombre de tentatives de connexions Internet que le site de Rock Oz’Arènes a dénombrées). La seule condition posée par le groupe d’Oxford était de pouvoir faire le concert le mardi 15 août, ce qui a obligé les organisateurs à mettre en place une soirée supplémentaire, en y intégrant trois autres groupes : The Evpatoria Report, Water Lily et The Magic Numbers. Si on peut d’ores et déjà oublier les insignifiants Magic Numbers, cette soirée avait un intérêt tout particulier avec les deux autres groupes « régionaux » sus-cités qui ont été programmés sur la petite scène du festival (appelée scène du Casino). Le post rock classique et classieux de The Evpatoria Report et l’indie rock burné et de bonne tenue de Water Lily avaient de quoi intéresser les fans les plus assidus de Radiohead.

The Evpatoria Report

Set-list : Prognoz – Optimal Region Selector – Taijin Kyofusho – 18 Robins Road – Rappel : Team Canada

Si votre humble serviteur a pu assister dans de (relatives) bonnes conditions au concert de The Evpatoria Report, il n’en fut pas de même pour Water Lily qui a été programmé juste avant Radiohead sans aucune pause entre les deux scènes. Il ne restait donc qu’une centaine de fans du groupe quand il a fallu quitter Water Lily au tiers de son show et rejoindre la grande scène située dans les somptueuses arènes et se battre pour disposer d’une place intéressante pour l’évènement de la soirée (une poubelle a dû être sacrifiée pour nous permettre d’escalader le mur qui surplombe les arènes). Par chance, Water Lily a pu rejouer un concert sur la grande scène le vendredi en lieu et place des Babyshambles dont le décadent leader a été arrêté pour possession de drogue quelques jours auparavant. Les Valaisans ont finalement bénéficié d’une bonne exposition, tout à fait méritée au vu de leur excellent deuxième album 13th Floor.

Notre reportage étant réduit à deux groupes, concentrons-nous tout d’abord sur The Evpatoria Report. Le groupe d’Yverdon-les-Bains joue presque à domicile ce soir. Pour les lecteurs de Progressia qui n’ont jamais entendu ce nom, The Evpatoria Report est l’un des nombreux groupes de la mouvance post rock qui a envahi la Suisse romande ces dernières années. Entièrement instrumentale, la musique du groupe est la médiane entre Godspeed (le violon) et Mogwai (les guitares), se rapprochant de ce que pourrait faire Mono s’il mettait un peu plus de finesse dans sa musique ! Leur premier album, Golevka, avait fait une entrée remarquée dans le monde du post rock l’année passée, faisant passer le groupe vaudois pour l’un des grands espoirs du genre. Nous allions pouvoir vérifier si ce qui avait enchanté sur l’album aurait le même impact sur scène. D’une durée de cinquante minutes, le set de quatre morceaux (plus un rappel très court) fut consacré essentiellement à Golevka. Force est de constater que jouée à 19h00, en plein soleil, entourée de stands de nourriture chinoise et de vendeurs de hamburgers odorants, la musique planante et tout en finesse de The Evpatoria Report est desservie par ces conditions pour le moins inhabituelles pour qui connaît leur parcours.

Le concert a démarré avec un superbe « Prognoz », le morceau qui ouvre la majeure partie des concerts du groupe. D’emblée, on est séduit par l’utilisation très lyrique du violon (joué par le claviériste) et par les impressionnantes montées en puissance des deux guitaristes, soutenus par une section rythmique très en verve. Ces progressions sont suivies par des parties plus planantes (les morceaux durent entre dix et quinze minutes). Si cette construction est classique, elle fonctionne à merveille dans le cadre d’un concert ! Les arrangements et les ambiances finement ciselés que l’on trouve sur l’album sont magnifiquement mis en évidence sur scène, malgré les friteuses et autres bruits de bars qui gênent l’audition dans les passages calmes. Ce qui est certain, c’est que le groupe arrive à distiller des ambiances intimistes et des parties grandiloquentes sans que cela ne choque. « Optimal Region Selector » et « Taijin Kyofusho » continuent sur cette lancée, dans une atmosphère que n’aurait pas reniée Pink Floyd plutôt que purement post rock. Enfin, la première écoute de la nouvelle pièce présentée par The Evpatoria Report, « 18 Robins Road », confirme tout le bien que l’on pense de la formation yverdonnoise, même s’il faudra plus d’une écoute pour l’apprécier ! D’ailleurs, ce même morceau au style très « mogwaien » a bien fait tripper le public quelques jours plus tard au VNV Rock Altitude du Locle. Le groupe a pu y jouer la même set-list dans de bien meilleures conditions, c’est-à-dire dans le noir qui sied à sa musique, avec des clips vidéo spatiaux en arrière-plan et un son exceptionnel. Bref, si le concert à Avenches fut intéressant et a permis au groupe de jouer devant un public nombreux, son concert du Locle fut nettement plus apprécié des connaisseurs (qui furent nombreux également soit dit en passant). On reparlera encore de The Evpatoria Report qui pense sortir un nouvel album l’année prochaine !

Radiohead

Set-list : There There – The National Anthem – Lucky – Kid A – Bangers’n’Mash – My Iron Lung – Karma Police – Morning Bell – I Might Be Wrong – Street Spirit – Climbing Up The Walls – Myxomatosis – Pyramid Song – Down Is The New Up – Just – Idioteque – Paranoid Android – Rappel : Like Spinning Plates – Airbag – The Bends – True Love Waits – Everything In Its Right Place

Ayant pu grimper le mur d’enceinte qui surplombe les arènes (encore merci à la poubelle), nous voici devant une superbe vue plongeante de la scène. Les bruits courent que le gang d’Oxford rencontre des problèmes dans l’enregistrement de son prochain album, ne sait plus à quel saint se vouer, n’a plus de maison de disques, n’a plus de producteur, etc., etc. Le concert va-t-il s’en ressentir ? Aura-t-on le plaisir d’écouter des nouvelles compositions ? Aux deux questions, on peut d’ores et déjà répondre : NON (ou presque) ! D’une part, le groupe était en très grande forme et très soudé autour de Thom Yorke, d’autre part – et c’est en quelque sorte la déception de la soirée – Radiohead n’a interprété que deux nouveaux morceaux, le reste de ce concert de deux heures étant composé des principaux hits du groupe (je n’aurais jamais pensé employer le mot hit sur Progressia).

Tout commence dès 22h00 avec « There There », introduction sans surprise à ce concert annoncé comme l’évènement de l’année en Suisse. Ed O’Brien et Jonny Greenwood tapent la mesure tribale comme des beaux diables. Le son, réverbérant la munificence de cet antique endroit est superbe, bien qu’un peu faible, les jeux de lumières superlatifs. De « The National Anthem » à « Kid A » en passant par « Lucky », Radiohead passe en revue ses plus grands succès avec application. Certains morceaux voient leurs arrangements bouleversés comme ce « Kid A » plus apaisé et moins électronique que par le passé. Suit un nouveau morceau, « Bangers’n’Mash », qui n’est pas une réussite, convenons-en, même si Thom s’essaie avec succès à la batterie de poche. Avec « My Iron Lung » surviennent les premiers problèmes techniques qui s’acharneront sur Jonny Greenwood. Les larsens détruisant le morceau, le groupe décide de s’arrêter de jouer, ce qui permet à Thom d’aller chercher du sparadrap pour ce pauvre Jonny qui s’est méchamment entaillé un doigt en s’énervant sur sa machinerie qui refuse de fonctionner. C’est un Thom amusé qui s’excuse de l’incident puis le groupe reprend le morceau sous les ovations du public. Toutefois, les problèmes demeurent, particulièrement l’équilibre sonore entre les guitares, et les ondes Martenot de Jonny sont aux abonnées absentes ! Qu’à cela ne tienne, il utilisera sa guitare à la place ! Enfin, un concert de Radiohead où le public ne pourra pas voir Greenwood à moitié couché sur ses boutons mais fièrement debout à triturer les frettes de sa guitare !

Notre emplacement très en hauteur nous a permis d’admirer cette image pulvérisée et solarisée qu’est Radiohead en concert. Des sortes de webcams filment en permanence le groupe. Ces plans en plongée, contre-plongée ou latéraux sont projetés sur des bouts d’écran derrière les musiciens ou scindés en quatre sur les grands écrans qui flanquent la structure. Plaisir des yeux et des oreilles. Des instants grandioses attendent le public avec des morceaux comme « I Might Be Wrong », « Climbing Up the Walls » ou « Myxomatosis ». Et c’est un grand intérêt de découvrir « Down is the New Up », second inédit de la soirée, aux structures variées, voire hachées, où l’art de la bricole de Radiohead s’exprime à merveille, les musiciens changeant d’instrument au gré des parties. Le sommet du concert sera atteint avec « Idioteque » et « Paranoid Android » (plus prog’ que ce morceau, tu meurs !), savants mélanges entre le Radiohead électronique et son pendant rock. Les arènes frémissent et vibrent ; le groupe quitte la scène sous les ovations de spectateurs enchantés. Le rappel fut proprement hallucinant avec pas moins de cinq morceaux joués. Tout d’abord un « Like Spinning Plates » acoustique est interprété par un Radiohead réduit à l’état de trio, suivis par les très rock « The Bends » et « Airbag » acclamés par un public déchaîné, Phil Selway cognant sur ses toms comme si sa vie en dépendait. Le final sera apocalyptique et entièrement électronique avec Thom Yorke, Ed O’Brien et Jonny Greenwood recroquevillés sur leurs machineries, le premier sur son Fender Rhodes, le second sur ses samples et le dernier sur ses ondes Martenot (miracle, elles finissent par fonctionner !). Tout se termine par les boucles en crescendo de « Everything In Its Right Place », la scène se vide, le public est en transe. Finalement, un roadie arrête tout au moment même où la pluie commence à tomber.

Entre rock et electronica, entre finesse névrotique et joie passionnée, Radiohead fut grand en cette soirée d’août, et ce, malgré les problèmes techniques qui émaillèrent le concert. Piochant principalement dans ses trois albums phares The Bends, OK Computer et Kid A, le groupe de Thom Yorke a voulu faire honneur à une décennie discographique totalement réussie. Alors, concert de l’année ? De nombreux fans répondront par l’affirmative. En tout les cas, il s’agira d’un des concerts les plus retentissants de Rock’Oz’Arènes après quinze années d’existence. Pour notre part, le concert mémorable de Radiohead dans ce magnifique site d’Avenches a marqué le départ d’une semaine très riche musicalement, qui s’est achevée au VNV Rock Altitude du Locle par le concert superbement planant de The Evpatoria Report et la prestation cataclysmique des monstrueux Kruger. Mais ceci est une autre histoire…

Jean-Daniel Kleisl

site web : www.rockozarenes.com

retour au sommaire