– Tritonales aut.2005

FESTIVAL : TRITONALES D’AUTOMNE 2005

 

Artistes : Alain Blesing Songs From The Beginning, Alien Quintet, Pierrejean Gaucher et Christophe Godin
Lieu : Les Lilas, Triton
Photos : Fabrice Journo

Cet automne, le Triton ne conviait pas son public jazz-progressif à un véritable festival en tant que tel, mais à une petite série automnale fort sympathique, un clin d’œil aux Tritonales, avec un petit goût de « revenez-y » après l’été, comme une façon d’entrer dans les frimas hivernaux avec au cœur encore un peu de chaleur batracienne autant que progressive.

15 octobre 2005 – Alain Blesing Songs From The Beginning

Peut-on concrètement réhabiliter le rock progressif en un concert, fût-ce avec Hugh Hopper et John Greaves ? Y contribuer, peut-être, si tant est qu’une réhabilitation soit nécessaire et que le public présent au soir du 15 octobre 2005 comprenne au moins un détracteur du genre ! Hormis un léger doute sur l’ambition ainsi formulée, un constat s’impose : on pouvait ignorer la plupart des oeuvres interprétées ce soir-là et apprécier pleinement le spectacle.

Le fait de rassembler autour de soi six musiciens dans le but de reprendre King Crimson, Soft Machine, Hatfield and the North ou encore Hendrix, Led Zeppelin, les Who… n’est pas anodin, surtout lorsque les deux figures historiques sus-mentionnées sont conviées à la fête. Dès le début, le plaisir de jouer ensemble est évident. Déclinaison du verbe : « ça joue », dans une concentration et une cohésion surprenante chez une formation éphémère. « Ils jouent », avec leur instrument.
Philippe Botta, aux saxophones et flûtes, est souvent en vedette. François Verly aux claviers et percussions se sert parfois de son piano comme d’une guitare ou d’une harpe. Alain Blesing reste un leader discret, peut-être même trop sur l’hendrixienne « 1983 », mais impeccable. Christophe Marguet profite quant à lui dudit titre pour une petite démonstration de batterie, tandis qu’Yves Rousseau, son compère rythmique à la contrebasse, s’était livré au même exercice un peu plus tôt sur « Behind Blue Eyes » des Who. Hugh Hopper, avec son look t-shirt / casquette façon retraité relax, remettra à plus tard la souscription de son abonnement aux parties de pêche et aux matches de cricket. Le bassiste de Soft Machine préfère encore la scène, et il n’a pas tort.

C’est pourtant John Greaves qui attire tous les regards. Perché sur un tabouret, l’Anglais déclame ses textes plus qu’il ne les chante. Peu importe, il y a déjà assez de musique. Livre à la main, lunettes chaussées et regard dans le vague (ou fixé sur… euh, c’est moi qu’il fixe, là ?), Mr Greaves joue ce soir le rôle du conteur. Ses mots et son éloquence habillent les ambiances, qu’elles soient énergiques ou planantes, et stimulent l’imagination.
L’alchimie fonctionne particulièrement dans la « Frakture » de King Crimson, où une introduction mi-parlée mi-jouée et un long monologue suivi d’une reprise crescendo par le tutti déclenchent l’enthousiasme d’une salle jusqu’alors plutôt sage.

This was « Songs from the beginning »… What’s next?

Julien Weyer

10, 11, 12 novembre 2005 – Alien Quintet

Lorsque les quatre-cinquièmes de la section instrumentale de Magma s’offrent une escapade musicale en compagnie de Benoît Widemann (proche compère kobaïen s’il en est), le mélomane littéraire est en terrain connu. Car si le vocabulaire musical change quelque peu, le champ lexical reste quant à lui singulièrement proche, la lave kobaïenne se muant entre les mains d’Alien en une fusion jazzistique qui naguère mit le feu (au sens propre) à l’un des clubs parisiens les plus célèbres.

L’intégralité des effectifs de la caserne de pompiers de l’avenue Gambetta se tenant sans doute sur le qui-vive, le quintette prit ses quartiers au Triton pour trois jours faisant la part belle à la virtuosité et la bonne humeur, et redonnant vie à un répertoire jazz fusion sans la moindre « prise de tête », pour le plus grand plaisir de tous.
Le terme « jazz fusion » aura fait fuir plus d’un auditeur de progressif se revendiquant sérieux et exigeant, mais qu’à cela ne tienne. Car il aura manqué trois soirées loin des clichés sirupeux sempiternellement rebattus à l’évocation de ce style, trois concerts débordant d’énergie simple et directement efficace.

Alien se livre à une relecture à la fois respectueuse et vivante de compositions de Tony Williams (« Wildlife », « Fred », « Snake Oil » ), Jan Hammer (« Thorn of a white rose », le virevoltant « Red and Orange », revêtant sous la patte vanderienne d’étranges accents kobaïens), Billy Cobham (« Stratus ») et Mc Coy Tyner (parmi lesquels un envoûtant « Sama Layuca » dont les arabesques de basse s’enroulent en une sorte de mouvement perpétuel particulièrement entêtant), auxquelles viennent s’ajouter une obsédante version du « Dear Mac » de Michel Grailler, ancien compagnon de route de Christian Vander, qui lui rend très régulièrement et fidèlement hommage, et « Skunkadelic’s », une composition d’Emmanuel Borghi ayant une fâcheuse tendance à placer l’auditeur sous hypnose.

Les cinq musiciens prennent manifestement un net plaisir, et échangent, tout sourires, les envolées. La section rythmique Vander/Bussonnet crée, plus que jamais, une colonne vertébrale à la fois inébranlable et perpétuellement mouvante, laissant en toute humilité une entière liberté aux trois solistes, qui ne se font pas prier pour lancer chorus sur chorus. James MacGaw, disposant d’un espace sonore et musical bien plus important qu’au sein de Magma, tente d’occuper pleinement la place qui lui revient, prenant bien plus que d’ordinaire le temps de jouer et de développer ses interventions (sur « Wild Life » notamment), même si son phrasé reste parfois encore un peu « haché ». Quant à Benoît Widemann et Emmanuel Borghi, ils se taillent la part du lion, alternant tout au long de ces trois soirées chorus incisifs et incandescents et rythmiques toujours en alerte, jaillissant de syncope en syncope.

Ainsi, malgré les antécédents incendiaires de la formation, ces trois soirs de novembre furent en définitive une série de concerts à la fois sympathiques et tranquilles, pleins d’énergie et de détente.
Avec Alien, on est bien loin du rouleau compresseur de Magma, mais cela ne fait pas forcément de mal. Somme toute, voici une bien douce manière de glisser dans l’hiver avec un peu de baume au cœur.

Fanny Layani

18 novembre 2005 – Pierrejean Gaucher et Christophe Godin – 2G

Quand deux des manches les plus fins de l’hexagone se croisent le temps d’un soir, on s’attend à crouler sous un déluge de notes… surtout si l’un des deux protagonistes est Christophe Godin (Metal Kartooon, Morglbl Trio, Gnô). Avec Pierrejean Gaucher, cela donne un duo inattendu et plein d’humour.

Voilà donc une soirée qui s’annonce bien ! Reste-t-il à ce jour une personne normalement constituée ayant un jour su garder son sérieux lors des concerts du Savoyard ? Et pourtant… On est surpris par le contraste du tableau dressé par les protagonistes : attitude possédée et studieuse pour Pierrejean Gaucher, souriante et détendue pour le jovial Godin.

L’aventure commence par une reprise de Police, avec un « nbsp;Roxanne » à la limite de la sensualité… Morceau que Sting aurait, selon les dires de Pierrejean, dérobé à Christophe Godin … Et voilà, la gaudriole commence… et continue avec deux titres de Godin, avant de découvrir un extrait du nouvel album de Pierrejean Gaucher, une mise en musique des Fables de La Fontaine, aux forts accents jazz. Le concert se poursuit avec ce que les 2G appellent leur « valeur commune », Frank Zappa : « Zoot Allures » précède un fumant medley « Willie The Pimp / Lumpy Gravy&nbp» qui clôt le premier set de cette soirée, rythmée par les grimaces et les blagues vaseuses de Christophe Godin, qui se permet même de prendre place dans le public suite à une boutade de Gaucher : « Allez tu peux partir, j’ai pas besoin de toi sur ce morceau ! » ! Ambiance !

Le retour se fait sur les chapeaux de roues avec une ravissante version d’ « Eleanor Rigby » des Beatles, avant une nouveauté signée Christophe Godin, « The Toymaker » très orientée jazz-fusion. Une petite accalmie avec « Frisell Rag » avant d’attaquer, après une énième pitrerie, un deuxième medley consacré au Grand Moustachu, incluant « Lemma Take You To The Beach » et « Let The Water Turn Black ».

Après avoir mimé un rappel, le duo de génie se lance dans une interprétation du Boléro de Maurice Ravel qui fut le dernier prétexte de Christophe Godin pour laisser libre cours à ses âneries ! Cependant, n’allez donc pas croire que le guitariste a davantage fait l’idiot que de jouer. Il a joué et prouvé qu’au-delà des divergences stylistiques des deux guitaristes, il pouvait y avoir des points de convergence entre le jazz et le rock qui ne passent pas par une overdose de notes.

Dan Tordjman

site web : http://www.letriton.com/

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