ENTRETIEN : ECHOLYN

 

Origine : USA
Style : Rock progressif moderne
Formé en : 1989
Composition :
Christopher Buzby – claviers, choeurs
Thomas Hyatt – basse, choeurs
Brett Kull – guitares, chant et choeurs
Paul Ramsey – batterie et percussions, choeurs
Raymond Weston – basse, chant et choeurs
Dernier album : The End Is Beautiful (2005)


Dix ans après As The World et sa déconvenue avec la major que l’on sait, Echolyn a brillamment retrouvé son enthousiasme de l’époque. Soutenu par une tournée européenne, The End Is Beautiful (cf. notre chronique), qui succède à Cowboy Poems Free et à l’ambitieux Mei, permet aux Américains de Philadelphie d’accéder à une certaine reconnaissance sur le vieux continent. Brett Kull (guitares, vocaux et choeurs) et Tom Hyatt (basse, choeurs) se sont prêtés de fort bonne grâce et sans langue de bois à cette entrevue. Leur vision du business de la musique et du rock progressif est lucide mais résolument optimiste.

Progressia : Quelques questions d’ordre général pour commencer. La musique est-elle une activité à temps plein pour vous ou avez-vous tous un autre emploi ?
Brett Kull :
Pour moi, c’est un emploi à temps plein. Je produis des groupes et artistes qui font appel à moi, je travaille dans la sonorisation de films (musique, mixage, etc.), j’écris des fonds sonores pour différents projets et je fais diverses sessions comme guitariste… Des choses très différentes… Chris est professeur de musique dans l’élémentaire, le collège et le lycée. Les autres ne font pas carrière dans la musique, mais Paul fait des sessions de batterie occasionnellement.
Tom Hyatt : Je travaille dans l’industrie pharmaceutique.

Êtes-vous satisfaits de l’exposition médiatique d’Echolyn aux USA ? Pensez-vous que le groupe pourrait accéder à un succès plus important comme Spock’s Beard, par exemple ?
Brett :
Les choses sont comme elles sont… Nous avons tout donné quand nous avions la vingtaine. Ça n’a pas marché comme nous le souhaitions. Le groupe est maintenant davantage un hobby, et c’est bien plus gratifiant. Je pense que nous avons un certain succès et je me sens privilégié de faire partie de quelque chose qui grandit sans cesse… C’est même assez étonnant.
Tom Hyatt : J’aimerais que nous disposions de plus de possibilités pour faire notre promotion. Mais que cela n’implique pas de tourner en permanence, car c’est logistiquement et financièrement impossible pour nous. Nous avons à notre disposition bien plus de ressources que par le passé. Il y a dix ans, il n’y avait pas de satellite ou de webradio et nous n’avions pas la possibilité de vendre nos album sur internet. A part Mike Ostrich et Chad Hutchinson qui font tourner notre site, nous faisons tout nous-mêmes. Spock’s Beard a plus de moyens que nous à sa disposition pour assurer sa promotion.

Dix ans après, que diriez-vous de votre courte carrière chez Sony ?
Brett :
Ce fut une expérience pleine d’enseignements que je ne regrette pas. Rétrospectivement, Sony a ralenti notre évolution sur certains points et l’a accélérée sur d’autres. On ne peut pas vraiment parler de carrière, juste un instant de notre vie dont nous nous souviendrons et dont nous parlerons quand nous serons vieux. Nous avions travaillé dur pour en arriver là, mais ce n’est pas la poule aux oeufs d’or qu’on peut imaginer.
Tom Hyatt : Pour le meilleur et pour le pire, ce fut une grande expérience. Cela nous a donné une impulsion bien plus grande que celle que nous aurions pu nous donner nous-même. Nous en avons retiré beaucoup de choses. Cela a placé la barre très haut en ce qui concerne notre créativité et la façon de vendre notre musique.

Que pensez vous de la musique progressive actuelle ? Pensez-vous qu’un groupe de rock progressif puisse avoir du succès dans le business actuel de la musique ?
Brett :
Je pense qu’on peut tout vendre si on y travaille dur… et si on a un bon produit sur lequel s’appuyer, bien sûr. On s’en sort pas mal à ce niveau-là. Comme je l’ai dit, de plus en plus de gens connaissent notre groupe. Je crois donc effectivement qu’un groupe de rock progressif peut avoir du succès dans le business actuel de la musique. L’époque où il fallait être signé sur un gros label pour y parvenir est révolue. Il y a déjà tellement de bonne musique sous le contrôle de l’industrie « conventionnelle » du disque… ne présumons pas du succès d’un groupe selon qu’il est ou non signé sur un label important.
Tom Hyatt : Le progressif se porte bien ! Radiohead, Tool, Perfect Circle, The Mars Volta, Sufjan Stevens, Bela Fleck et The Flecktones… j’en passe et des meilleurs ! Il faut que les gens réalisent que ce n’est pas parce qu’une musique est accessible à tous qu’elle n’est plus progressive.

Ecoutez-vous de la musique progressive ? Et si oui, quels sont vos groupes favoris ? Pensez-vous qu’il soit encore possible de « progresser » ?
Brett :
Je ne pense pas qu’un seul des membres du groupe écoute ce qu’on appelle généralement du « progressif ». Nous nous tournons constamment vers de nouvelles musiques, du metal à la pop en passant par le classique ou quoi que ce soit d’autre. Tout est bon à prendre. Peut-être est-ce pour cela que nous sommes différents ? Chaque fois que j’écoute des « groupes de prog’ », je suis déçu car ils proposent toujours les mêmes rythmes avec les mêmes guitares, les mêmes sons de clavier et le même mauvais chanteur qui se peint le visage. Les soli sont trop longs ou ne riment à rien et les chansons sont pauvrement arrangées. Il n’y a pas de sens mélodique ou harmonique autre que ce qu’on a entendu des milliers de fois auparavant. Ce ne sont que des variantes. Tout cela n’est absolument PAS progressif.
Tom Hyatt : J’écoute ce que j’aime et ça varie d’un jour à l’autre. Que ce soit « progressif » ou non n’influence pas mes choix. Mais j’écoute tous les groupes que j’ai cités auparavant au même titre que Rush, Led Zeppelin, The Beatles, Pat Metheny… là aussi, j’en passe et des meilleurs.

Les membres d’Echolyn sont impliqués dans de nombreux projets parallèles (albums solo, Land Of Chocolate, Grey Eye Glances,…) très différents de ce que propose Echolyn. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces projets ?
Brett :
Ray et moi avons réalisé des albums solo car nous aimons écrire des chansons. J’ai travaillé avec Land Of Chocolate sur leur premier album mais à part ça, je n’ai rien à voir avec eux, même si John Buzby ( NdT : chanteur et claviériste de Land Of Chocolate) est un ami. Paul et moi sommes impliqués dans Grey Eye Glances depuis presque dix ans, par l’intermédiaire du producteur de notre album As The World. Nous avons beaucoup appris et continuons à apprendre en jouant avec Grey Eye Glances. Je viens d’ailleurs de jouer avec eux ce soir pour nous préparer à un concert. Je pense qu’il est bon de se diversifier parce c’est ainsi qu’on apprend ! Endosser plusieurs casquettes est la manière la plus rapide d’explorer de nouveaux horizons. J’ai joué dans de nombreux groupes et j’en ai enregistré ou produit d’autres, cela m’a beaucoup appris. J’aime penser différemment et essayer des choses qui modifient et me font varier mon jeu. Pourquoi diable voudrais-tu qu’on fasse de la musique qui ne ressemble qu’à du Echolyn ? Rien que d’y penser, cela m’ennuie (rires).
Tom Hyatt : Je me prépare à jouer « juste pour le fun » avec quelques vieux amis dans un groupe appelé Incommunicado – il pourrait s’appeler le « goddamn band » ! (« le satané groupe », NdT). C’est un groupe de rock axé principalement sur les riffs. Je suis également en train d’essayer – très très lentement – d’écrire mes propres chansons pour un album solo.

Quelles sont vos principales influences musicales ?
Brett :
The Beatles et Led Zeppelin sont mes deux principales influences, hier comme aujourd’hui. J’aime les gens qui savent écrire de vrais morceaux. De David Bowie et XTC à Elliot Smith. De Jimmy Web à Burt Bacharach en passant par Amiee Mann. De Robert Shumann et Claude Debussy à Henryk Gorecki. De Joni Mitchell et Kate Bush à Jollie Holland. J’ai tendance à aimer les morceaux tristes. Les morceaux directs, sans fioritures ainsi que ceux qui ont des structures atypiques m’attirent également.
Tom Hyatt : En tant que bassiste, je tire mon inspiration de John Paul Jones et Jaco Pastorius. A part cela, ça va de Pink Floyd à Joni Mitchell, Tool, Radiohead, Stevie Wonder. Demain, cette liste sera sûrement différente.

Quelques questions sur votre tournée européenne. Vous n’êtes pas très connus ici, n’est-il pas difficile d’organiser une tournée tout en ne sachant si elle sera un succès ou un désastre ?
Brett :
Je suis surpris que tu dises que nous ne sommes pas connus en Europe. Je suis au contraire étonné de notre popularité ! Nous ne sommes évidemment pas aussi connus que Led Zeppelin mais, pour un groupe de Pennsylvanie qui travaille hors des studios et qui fait tout lui-même, je pense qu’on s’en sort plutôt pas mal ! La tournée a été assez facile à mettre sur pied et a été un succès financier. Nous avons joué devant de nouveaux visages et avons vendu des tonnes de merchandising. On ne peut pas en demander davantage !
Tom Hyatt : Merci à tous ! La tournée a été planifiée par Rob Palmen de façon professionnelle. Il nous a contacté à propos de notre venue, a cherché les lieux de concert, nous a aidé pour les dates, a obtenu des garanties financières de la part des clubs, nous a aidés à trouver des instruments et à louer un bus, entre autres choses. Nous en sommes donc venus là avec l’aide de quelqu’un qui savait ce qu’il faisait.

La question précédente faisait notamment allusion à un concert en Suisse (Pratteln, Z7), qui avait été réellement impressionnant mais où le public était clairsemé. N’avez-vous pas été quelque peu déçus ? Avez-vous eu droit à un public plus nombreux pendant votre tournée ? Que diriez-vous du public européen ? Et… pourquoi n’êtes-vous pas passés par la France ?!!
Brett :
Le public suisse a été plus nombreux que ce que j’attendais. Nous n’avons été déçus par aucun des concerts. Tous les fans qui se sont déplacés, de Soho à Hengalo ont été merveilleux ! Nous aurions adoré jouer en France. Cela n’a simplement pas été possible pour une histoire d’organisation. La prochaine fois !
Tom Hyatt : Cette tournée a été la plus grande expérience de ma vie ! J’aurais été content avec un public de cinq personnes (nous en avons eu moins lors de certains concerts aux Etats-Unis). J’ai entendu dire que lorsque U2 a joué pour la première fois à Philadelphie il n’y avait que onze personnes dans l’assistance ! On les a déjà battu à Pratteln. Prends ça Bono !!!! Le public européen a été extraordinaire. Ce sont de véritables passionnés de notre musique, je me suis senti tel une célébrité. J’étais prêt à refaire mes valises lorsque nous sommes rentrés aux Etats-Unis. Je ne sais pas pourquoi nous n’avons pas joué en France. Peut-être que cela ne se justifiait pas logistiquement cette fois-ci. Nous espérons pouvoir y faire quelques dates la prochaine fois. Peut-être aussi l’Espagne, ainsi que Moscou.

Rétrospectivement, comment trouvez-vous votre album Mei ? Êtes-vous satisfaits de ce que vous avez accompli avec cet album et des retours du public ?
Brett :
Mei est mon album favori parmi tous ceux que nous avons réalisés. Il est très original et bien arrangé, j’en suis très content et je n’y changerais rien. J’y découvre de nombreuses choses chaque fois que je l’écoute, comme un fan. Je pense que nous avons réalisé là quelque chose de très spécial.
Tom Hyatt : En tant qu’auditeur extérieur, Mei est l’un des mes albums préférés de tous les temps. Je le place au même niveau qu’Animals de Pink Floyd ou OK Computer de Radiohead.

Parlons un peu maintenant de The End Is Beautiful. Votre dernier album contient quelques titres très accrocheurs ainsi que des morceaux très « progressifs ». Peut-on dire qu’il résume un peu tout ce qu’a fait Echolyn jusque là ?
Brett :
En ce qui me concerne, je dirais qu’il se rapproche de As The World. Il dégage une énergie très « virile » de bout en bout. Mais je ne pense pas qu’il résume le groupe. Nous avons fait des choses tellement différentes pendant toutes ces années. Ce nouvel album a une atmosphère très « urbaine ». Il est assez rugueux, avec sa section de cuivres, et Paul est impressionnant à la batterie tout le long de l’album. Nous l’avons enregistré live en trois jours. Les harmonies vocales sont excellentes et très variées. Ray chante comme un dieu … mais cela ne résume pas tout ce qu’on a fait.
Tom Hyatt : Chaque album que nous produisons est une accumulation de nos expériences et tant que musiciens et êtres humains. Notre but dans chaque projet est de créer de la musique que nous aimons.

Sur les albums précédents, Brett partageait le chant avec Ray Weston mais sur The End Is Beautiful, le rôle de Ray est prépondérant. Sa voix est devenue bien plus riche et puissante qu’avant. Est-ce la raison pour laquelle il assure davantage de parties chantées ?
Brett :
Evidemment, Ray est bien meilleur chanteur que moi… mais j’assure tout de même pas mal de parties sur le dernier album. Nous nous partageons le chant sur « Georgia Pine », j’ai des parties sur « Heavy Blue Miles », « Love Sick Morning », et je chante toutes les parties de « Arc of Descent ». Tom, Ray et moi avons assuré la plupart des choeurs. Mais tu as raison, Ray s’est considérablement amélioré. Parfois, ses parties m’impressionnent. Il a un sens unique de la mélodie. Sa voix est infatigable. J’assure donc toujours le chant sur une ou deux chansons, mais Ray a toujours été le chanteur principal du groupe.

Certaines parties de guitare sonnent plus heavy que tout ce qu’a pu faire Echolyn auparavant. Quelle en est la raison ?
Brett :
C’est l’une des choses que nous voulions faire différemment sur cet album. Nous voulions un son plus lourd, plus incisif. Ce fut mon travail… avec l’aide des amplis Marshall et Vox ! J’ai également utilisé une guitare électrique baryton sur quelques chansons, ce qui a donné plus de poids aux morceaux. « Lovesick Morning » et « Make Me Sway » sont joués à la guitare baryton dans leur plus grande partie.

Quelle est la signification de The End is Beautiful ? Il semble que cela ait un rapport avec les relations personnelles…
Brett :
Ray en a écrit les paroles. Je lui ai dit que je ne voulais pas savoir de quoi ça parlait car je voulais en faire ma propre interprétation. J’en ai pleuré lorsque je les ai entendues. Cette chanson capture l’essence de ce que nous sommes. Musicalement, c’est une conception de Chris, l’une de ses meilleures.

Il y a de nombreux invités jouant des instruments très différents sur The End Is Beautiful (saxophone, trompette, cor, …). Ces instruments ont-ils un rôle prépondérant dans le processus de composition ?
Brett :
Nous avons décidé très tôt d’utiliser des cuivres pour donner plus de puissance, de mordant, et cette atmosphère « urbaine ». Nous avons toujours gardé à l’esprit lorsque nous composions que des cors conviendraient ici ou là. Il ne s’agissait alors plus que de les placer une fois les chansons enregistrées.
Tom Hyatt : Nous aimons tester différentes choses à chaque fois. La plupart de nos réalisations antérieures comportent des cordes ou des orchestres de chambre. Nous avons toujours été fans des premiers travaux de Chicago. Nous avons trouvé intéressant de voir comment sonneraient les cors dans notre musique.

Quels sont les projets d’Echolyn pour le futur ?
Brett :
Rien n’est défini. Je travaille sur un nouvel album solo cet automne, et nous espérons donner quelques concerts au printemps. Je suis en train de remixer Cowboy Poems Free en vue de sa réédition, ainsi qu’un disque live enregistré à Hengalo aux Pays-Bas. Le futur est ouvert à tout !
Tom Hyatt : Nous envoyons des CDs et prenons quelques bières vendredi soir !

Pour finir, souhaitez-vous passer un message à votre public français ?
Brett :
Je remercie tous les gens qui ont soutenu notre musique durant toutes ces années. Nous avons traversé un petit bout de France, juste pour dire que nous y sommes passés. Nous avons fait une halte à un endroit appelé Montagne Des Singes. Nous espérons jouer bientôt dans votre magnifique pays. Paix (NdT : en français dans le texte).
Tom Hyatt : Merci du fond du coeur à ceux qui se sont déplacé de si loin pour venir nous voir sur la tournée. Avec un peu de chance, la prochaine fois, vous n’aurez pas à faire autant de chemin. A tous les autres : merci également du fond du coeur de nous écouter… et désolé pour Bush.

Propos recueillis par Jean-Philippe Haas
Photos : Jack O’Reilly et Peter Schuetz

site web : http://www.echolyn.com

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