Time Of Orchids – Time Of Orchids

ENTRETIEN : TIME OF ORCHIDS

 

Origine : Etats-Unis
Style : Post Metal
Formé en : 1990
Line-up :
Chuck Stern – piano / synthétiseurs / guitares / voix
Eric Fitzgerald – guitares / voix
Bodie – batterie
Jesse Krakow – basse
Dernier album : Sarcast While (2005)

Première surprise de ce semestre 2006, Time of Orchids vient mettre du désordre dans les univers trop calmes du progressif et trop surannés du metal. Grâce à une formule musicale inédite et surtout un talent énorme, les Américains explorent une nouvelle voie : le post-metal. Rencontre avec les trois quarts de ToO, un groupe qui n’a pas fini de surprendre.

Progressia : Pouvez-vous nous rappeler vos origines ?
Chuck Stern
: Le groupe s’est formé en 1990, avec un line-up complètement différent de ce qu’il est aujourd’hui, même si Jesse et moi-même en avons toujours fait partie. C’est en vérité mon seul groupe, mais je participe également à un spectacle public très étrange appelé « Roboshithead ».

Jesse Krakow : Je m’appelle Jesse Krakow, le bassiste. Je suis d’origine polonaise.

Bodie (batterie): Eric (NDJ: l’autre chanteur/guitariste) faisait partie de mon premier groupe, et je suis fan de Time of Orchids depuis qu’Eric m’a passé un exemplaire de Melonwhisper, qui fut réalisé juste à son arrivée dans le groupe. Ainsi, au départ de Keith, leur ancien batteur, je les ai rejoints avec enthousiasme.

Vous avez réalisé trois albums avant Sarcast While. Comment les décririez-vous ? En quoi sont-ils différents de la musique que vous jouez aujourd’hui ?
Chuck Stern
: Chacun de nos disques est très différent du précédent. Melonwhisper est le plus metal et frénétique, Much Too Much Fun est tortueux, tandis que Early As Seen In Pace est une sorte de mélange de ses deux prédécesseurs. Je crois que nous avons bien mûri, de sorte que notre discographie propose une vraie évolution.

Comment êtes-vous entré en contact avec Kate Pierson, des B 52’s ? N’était-elle pas effrayée par votre musique ?
Chuck Stern (voix, guitares)
: Je l’a rencontrée après un des concerts des B-52’s et je lui ai donné une de nos démos. Elle a adoré : Kate n’est vraiment pas quelqu’un qui rejette les musiques « bizarres », c’en est même étonnant !

Comment avez-vous été signés sur le label Tzadik ? Vous connaissez John Zorn ?
Jesse
: Je connaissais John Zorn depuis quelques années, nous nous croisions régulièrement. Bien avant mon arrivée dans Time of Orchids, je lui avais donné une cassette contenant mes compositions, et il avait eu la gentillesse de m’écrire une lettre. Depuis lors, j’ai pris l’habitude de lui envoyer mes albums, pour rester en contact. L’année dernière, je lui ai fait parvenir Early As Seen In Pace (sorti chez Epicene Sound Systems), et très rapidement, il m’a écrit à nouveau pour me dire à quel point il appréciait cette musique. A partir de là, les choses se sont enchaînées très vite, et après quelques semaines de discussions, nous avions un contrat avec son label, puis après quelques mois supplémentaires, notre album était produit. Je crois que c’est une façon de procéder qui est assez représentative de sa personnalité, d’après ce que je peux en connaître. Il ne va pas par quatre chemins. Je suis fan de sa discographie avec Naked City, ainsi que de Hockey et The Bride. Il est très flatteur pour nous de le savoir intéressé et amateur de notre musique.

Vous avez des liens d’amitié avec d’autres groupes de chez Tzadik ?
Bodie
: Un grand bonjour à Kayo Dot !

Comment décririez-vous la musique développée sur Sarcast While?
Chuck Stern
: Je dirais que c’est une musique honnête, qui demande beaucoup d’attention, mais qui en retour peut aussi apporter beaucoup. C’est aussi quelque chose de très physique.

Bodie: La vie…

Après quelques écoutes, on en vient à la conclusion que Time of Orchids pourrait être le Sigur Rós du metal, une sorte de “post metal”, notamment du fait de ce mélange d’âpreté et d’atmosphères…
Chuck Stern
: Bien sûr. Nous adorons juxtaposer une musique dure sur quelque chose de plus doux. Il s’agit de deux tendances humaines très naturelles, et je crois que ta description est assez proche de ce que nous essayons de faire. C’est amusant, car le terme « metal » implique souvent l’impatience, alors que notre musique requiert au contraire beaucoup de patience. C’est ce mélange qui permet de créer des moments qui mettent l’auditeur très mal à l’aise, et j’aime cela.

Quelles sont vos influences ? Nous suggérerions Mister Bungle, Tool et Voivod mais aussi des groupes progressifs à cause des nombreux claviers dans votre musique, qui pourraient évoquer Genesis ou King Crimson…
Jesse
: C’est vrai et faux à la fois. Je crois pouvoir dire que Bodie et moi-même sommes de grand amateurs de Crimson et de Genesis, et je pense qu’il y a effectivement des similitudes entre nos titres les plus longs et des titres comme « Supper’s Ready » ou « Starless ». Mais d’après ce que je sais, Chuck et Eric ont une sainte horreur de ces groupes… Cela étant, je ne devrais peut-être pas te le dire ! Je peux aussi citer au rang de nos influences The Beach Boys, XTC, Frank Zappa, Captain Beefheart, Shudder To Think, Motown, The Shaggs, The B-52’s… Toute cette musique a nécessairement aidé à la composition de nos morceaux.

Bodie: J’ai grandi avec ce que mon père écoutait. Beaucoup de « classic rock ». J’adore des groupes comme Yes, King Crimson, Gentle Giant, et même Phish. Depuis, tu pourrais ajouter Boards of Canada, Pattern is Movement, Tortoise, Radiohead… et bien d’autres.

Le label « progressif » est-il quelque chose qui vous met mal à l’aise?
Jesse
: Le progressif, c’est le nouveau « rock alternatif »… Personne ne sait réellement ce que c’est. Qu’est-ce qui est prog : UK ou Mars Volta ? Et qui s’en préoccupe ? J’espère juste que le public pourra voir dans une musique polyrythmique quelque chose d’autre que du « progressif »… Cela reste de la musique, à laquelle on ajoute juste une écriture plus complexe.

Bodie: Je suis un fan de progressif, donc cela ne me pose aucun problème. C’est une question individuelle, ce rapport aux étiquettes. Pour moi, du moment que c’est honnête, je peux vivre avec !

Vous considérez-vous comme des artistes d’avant-garde, et est-ce le but de votre démarche ?
Chuck Stern
: Bien entendu, mais cela ne veut pas dire que nous ne nous adressons qu’à un public restreint. Contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, les gens sont bizarres. Ils veulent être bousculés dans leurs certitudes, comme nous.

Bodie: Mon seul objectif, c’est d’écrire de la musique qui me plaira, tout simplement. Si je dois composer sur une partie déjà écrite par un autre membre du groupe, j’essaye d’obtenir quelque chose qui soit l’expression de ce que je ressens à l’écoute de celle-ci.

Comment êtes-vous entrés en contact avec Julee Cruise (NDJ : chanteuse ayant notamment participé aux musiques des films de David Lynch) ? On peut supposer qu’elle était familière des atmosphères étranges, après son travail avec Angelo Badalamenti…
Jesse
: Nous sommes tous d’énormes fans de Twin Peaks, et le son de sa voix – ce cri distant d’une fille seule coincée dans une cave humide – est quelque chose qui compte pour nous tous. Je suis entré en contact avec elle bien avant que nous n’enregistrions le disque, à cause d’un morceau écrit par Chuck (et qui ne figure finalement pas sur le disque) et sur lequel je la voyais clairement chanter. Je me suis offert le culot de lui écrire directement, et elle s’est montrée très intéressée pour travailler avec nous. A partir de là, notre relation s’est transformée en un étrange amour réciproque. C’est une femme merveilleuse et charismatique, à la fois professionnelle et maladroite. Magnifique aussi…

Chuck Stern: Jesse ! Quel boulet !

Sur les autres parties vocales, qui est en charge des hurlements et des voix claires ? Comment faire dans un contexte scénique ?
Chuck Stern
: Je fais la plupart des voix hurlées. En fait, on le fait tous, de temps à autre ! De même, nous participons tous aux parties de chants clairs, mais c’est Eric qui le fait le mieux. Sur scène, c’est l’enfer, je n’arrive pas à imaginer comment cela doit être pour Eric. Deux extrêmes vocaux : c’est pour cela que cela marche !

Vous avez inclus également beaucoup de choeurs et de duos de voix féminines et masculines…
Chuck Stern
: En fait, c’est un travail progressif, nous enrichissons les parties vocales au fur et à mesure. Au départ, les parties sont composées d’une ou deux lignes, que nous développons jusqu’à quatre ou cinq. Eric est le roi à ce jeu, et ajoute des harmonies incroyables en studio. Cependant, cela doit rester de réelles chansons aux harmonies vocales prédéfinies, qui sont seulement arrangées en studio, comme sur « All We Ever Wish ».

Pensez-vous que c’est sur les titres les plus longs que Time of Orchids s’épanouit?
Jesse
: Je le crois, mais cela ne veut pas dire que les morceaux plus courts ne sont pas totalement développés. « High Enthusiast » contient une tonne d’informations sur une durée assez courte. Un roman de 150 pages peut te laisser épuisé émotionnellement, tout comme la lecture d’un livre de 900 pages peut te laissé totalement sur ta faim. Lequel des deux est-il alors le plus « long » ?

Bodie: Je ne suis pas d’accord, car je considère chaque morceau comme un développement. Même si tu répètes quelque chose que tu as déjà fait, cela se transforme en quelque chose de plus affûté, de plus pertinent. Je comprends que l’on puisse penser que ce que nous faisons est plus apparent, plus évident, sur les titres longs, mais je crois que nos intentions sont toujours les mêmes.

Quelques titres ont attiré notre attention, en premier lieu « Harness Well-Wishers », un morceau calme. Quelle est l’histoire de ce morceau, et pourquoi sonne-t-il à ce point comme une musique de film?
Chuck Stern
: « Harness Well-Wishers » traite du bien que chacun porte en lui et de la joie qui en découle. Je voulais créer un espace, situé quelque part entre l’orbite spatiale et un dédale (NDJ : oui, oui, on comprend…).

Bodie: Pour ma part, ce titre évoquait une certaine paix intérieure, donc c’est dans cet esprit que je l’ai travaillé. Même lorsque le groupe part sur les parties les plus dures du morceau, j’ai essayé de garder une approche très équilibrée et apaisée.

Est-ce que le groupe pourrait sortir un album entièrement atmosphérique?
Chuck Stern
: Bien entendu, mais nous aimons aussi le rock cryptique et architectural !

Bodie (batterie): Je ne serais pas contre une telle idée. Mais je voudrais être sûr de pouvoir trouver plus de textures à exploiter sur un tel disque.

Le morceau épique se nomme « Swarm of Hope ». Quel est son message et comment êtes-vous arrivés à un titre de plus de dix minutes ?
Jesse
: Je crois que « Swarm of Hope » est le meilleur exemple de l’écriture de groupe développée sur ce disque. Eric avait composé de longues portions très massives et très écrites, arrangées pour quatre instruments. Sur la base de ces sections, j’ai développé quelques idées de transitions que nous avons insérées, amenant Chuck à écrire les parties les plus dures, qui ont transfigurés le morceau initial. A partir de là, nous avons travaillé à structurer des idées au sein du morceau, Eric et moi ayant passé un temps fou sur l’orchestration de la basse et de la guitare sur la section du milieu. Ce n’est qu’une fois joué à quatre que le morceau s’est révélé à nous, lentement, après les répétitions, les pauses et les délibérations. Une fois arrivés à la section finale, la batterie de Bodie a « solidifié » le ton du titre et nous a aidé à trouver une conclusion, tout en ajustant de manière microscopique nos propres parties.

Bodie: Ce fut un vrai plaisir de participer à l’élaboration de ce titre. Eric avait annoncé ses intentions sur le thème du morceau, ce qui a accéléré le processus de composition, en ce qui me concerne. Pour moi, le titre, et surtout son final, m’ont beaucoup apporté, à un moment où j’en avais besoin.

Comment est venue l’idée de développer un même thème de manière metal puis quasi folk ?
Jesse
: C’est à Eric qu’on le doit.

Quel est votre plus bel aboutissement sur le disque ?
Jesse
: Ce que je préfère, c’est ce que tous les autres ont fait dessus : les vocaux d’Eric sur « Furtherance », les cris de Chuck sur la fin de « A Man to Hide », la batterie toute en rondeur sur le milieu de « All We Ever Wish », qui me fait faire du air-drum à chaque fois. Mais si je devais choisir un titre, je dirais « Swarm of Hope », ainsi que ma partie de basse sur « Ours, Engendered ».

Bodie: Je suis juste heureux de la manière dont nous avons travaillé ensemble. C’est un groupe avec lequel il est plaisant de travailler, sur les plans créatifs et humains. J’ai hâte de participer au prochain album.

Musicalement, quelle est votre prochaine direction ?
Bodie
: Selon moi, ça ne dépend pas de nous. Dans la vie quotidienne, on se dit « je dois aller au boulot aujourd’hui », mais la manière d’y aller, ce qu’on fait entre temps, tout cela est basé sur une appréciation du moment. C’est ainsi que je conçois notre musique : « Voilà ce que nous avons, voilà où nous sommes, où devons-nous aller à partir de maintenant ?  ».

Avez-vous d’autres projets musicaux, ou une tournée en cours ?
Jesse
: Nous tournons fin juin, avec nos démoniaques amis de Behold… The Arctopus, puis, en octobre, nous aurons quelques dates avec les excellents Kayo Dot. J’ai de nombreux autres projets, sur lesquels vous pouvez vous renseigner sur notre site web. Il y a également un EP secret pour Time of Orchids, à terminer…

Vous avez le dernier mot…
Jesse
: Merci à vous de prendre le temps d’écouter et d’absorber notre album. Peu de gens le font. C’est une chance pour nous et nous l’apprécions pleinement. Il faudra qu’on passe vous voir un de ces jours !

Propos recueillis par Djul

site web : http://www.timeoforchids.com

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