Morgan Ågren – Morgan Ågren

ENTRETIEN : MORGAN ÅGREN

 

Origine : Suède
Style :Rock In Opposition
Formé en : 1981
Composition :
Morgan Ågren – batterie
Mats Öberg – claviers
Jimmy Ågren – guitares
Tommy Thordsson – basse
Robert Elovsson – Claviers
Dernier album : On Air With Guests (2002)
Prochain album : Thanks For Flying With Us (2005)


Peut-on parler de malédiction du ProgSud 2005 ? (voir notre compte-rendu du festival) L’histoire débute alors qu’une interview devait prendre place à la fin du festival, avec les deux compères Mats Öberg et Morgan Ågren, après une superbe prestation. Vers les trois heures du matin, le matériel rangé, les esprits détendus, nous nous installâmes autour d’une table dans les loges et lorsque tout fut enfin prêt à démarrer, les choses tournèrent mal… encore. Quelques semaines après, comme il n’est jamais trop tard et que le nouvel album tant attendu n’est pas encore sorti, les réponses de Morgan, malheureusement sans Mats, nous permettent d’en savoir plus sur un passé étonnant et un futur fructueux.

Pour les gens qui ne te connaissent pas, peux tu te présenter?
Mon nom est Morgan Ågren, je suis suédois et le batteur du Mats/Morgan Band. Il y a vingt-cinq ans, j’ai reçu un coup de téléphone d’une femme qui était en train d’organiser un concert dans un petit village en dehors de Umeå en Suède. Elle me demanda si je pouvais venir et jouer avec ce pianiste aveugle tout juste agé de dix ans du nom de Mats Öberg. Mats avait besoin d’un batteur et personne pour jouer avec lui. Elle me dit qu’elle avait entendu parler de moi, que je serai parfait pour lui, partageais les mêmes goûts musicaux et à peu de chose près le même âge. Mats avait des problèmes à trouver des gens de son âge, avec quelque intérêt à jouer la musique qu’il appréciait, étrange non ? Mats écoutait des trucs du genre Miles Davis avant même qu’il puisse marcher. Aussi bien le Mahavishnu Orchestra que Frank Zappa. Je sais que Mats a même forcé une fois ses parents à lui acheter le dernier album de Earth Wind & Fire, autrement il aurait sauté du haut des escaliers de sa maison et ça, c’était lorsqu’il avait sept ans ! Quoi qu’il en soit, j’ai dit à cette dame que j’étais intéressé par jouer avec Mats et quelques jours plus tard Mats et moi nous nous retrouvions au rendez-vous.

Mats marchait vers moi avec son père, et il semblait avoir à peu près sept ans. Nous nous sommes serrés la main et avons commencé à discuter sur ce que nous pourrions jouer ce soir-là. C’était seulement deux heures avant le concert … alors nous avons évidemment joué quelques reprises. Mats me demanda « Connais-tu Frank Zappa ? » je répondis « Je suppose que je peux faire « Bobby Brown » sans répétition ». Là, nous avions une chanson ! Mats continua : « Connais-tu Stevie Wonder ? » je dis : « je connais cette chanson qui s’appelle « Master Blaster », la connais-tu ? » C’était une question stupide car il semblait déjà connaître à peu près tout alors qu’il n’avait que dix ans. Il continua sur les Beatles, je pouvais jouer « Help ». Nous étions supposés jouer vingt minutes, donc nous avions assez de matériel. Lorsque nous avons commencé à jouer, j’ai regardé Mats avec une totale incrédulité, je veux dire, il n’avait que dix ans ! Mais il jouait incroyablement et chantait les paroles avec une prononciation parfaite, sonnant comme du Jackson Five sous crack ! Après avoir fini, mon père était aussi en larmes. Le père de Mats aussi était vraiment surpris et dit un truc du genre : « peut-être vous pourriez … vous devriez …je veux dire… vous rencontrez de nouveau et jouer ensemble plus!? Nous avons une batterie dans notre sous-sol. » Alors c’est ce que nous avons fait. Nous avons passé du temps à faire de la musique durant tout ce temps. Je peux raconter des choses sur Mats sur encore cinq cents pages mais je dirai juste qu’il est l’un des musiciens les plus stupéfiants de tous les temps. Il l’est vraiment. Je considère ma rencontre avec lui comme l’un des plus grands cadeaux, et la plus importante de ma vie. Et comme tu le sais, nous jouons encore ensemble !

Quelle est ta vision personnelle de la musique en général ?
Essayer de choper les sons et les rythmes que j’entends dans ma tête, de les enregistrer puis de les sortir.

Comment es-tu tombé sur Cuneiform Records pour le nouvel album ?
J’ai rencontré Steven Feigenbaum (le propriétaire du label) il y a quelques années maintenant. Nous avons été en contact par courriel jusqu’à l’année dernière où nous nous sommes finalement rencontrés. Nous avons joué avec le Mats/Morgan Band à Paris pour le festival des Tritonales (NdRC : nous y étions. Voir notre compte-rendu de l’événement) et Steven est venu nous voir. Notre prestation fut bonne, avec beaucoup de personnes, les membres de Magma dans le public … et bien sûr Steven ! Donc nous nous sommes rencontrés pour la première fois après notre concert et avons parlé.
Peu après cela, Steven m’a envoyé un courriel me disant qu’il voulait nous publier ! Ce fut un super moment pour moi. J’ai démarré ma propre maison de disques Ultimate Audio Entertainment (UAE) en 1996, mais je suis tellement fatigué d’être responsable de tout ce qu’il faut pour faire tourner une maison de disques… Je connaissais Cuneiform depuis quelques années, principalement à travers les albums d’Univers Zero que Steven avait sortis.
Quoi qu’il en soit, nous sommes très heureux que cela arrive. Steven est un type extra qui veut sortir notre musique sur un label que je respecte. Ce genre de chose est vraiment assez rare de nos jours.

Qu’attends tu de cette signature avec ce célèbre label progressif ?
Premièrement que nos CDs soient plus faciles à trouver dans les magasins du monde entier. Certains de nos disques peuvent être trouvés dans certains endroits déjà, mais pas beaucoup, Cuneiform fera mieux j’en suis sûr. UAE a sorti dix-sept albums à ce jour, et je suis très heureux avec ces disques, mais cela s’est avéré être beaucoup trop de travail de paperasses, que je ne peux supporter.

Te sens-tu plus proche de la partie prog experimentale ou de la partie jazz du label ?
Je ne sais toujours pas exactement ce que signifie « prog » ou « progressif », qu’est-ce ? Les gens parlent beaucoup du style « prog ». J’ai vu une interview de Keith Jarrett à la télévision récemment lorsqu’il a reçu le Prix Polaire Suédois. Ils ont demandé à Keith comment s’appelait sa musique et dans quoi il fallait la classer. Keith dit : « Je ne classe pas ni ne labélise la musique, les labels et les appelations sont pour les idiots dans les épiceries : sauce tomate, champignons, ananas, etc … La musique ne mérite pas de label ». J’ai adoré sa réponse. Je n’ai pas un titre clair pour notre musique non plus. Si un chauffeur de taxi me demande quel genre de musique je joue, je réponds habituellement que c’est un mélange entre le jazz et le rock, et que personne ne chante !

Mais pour en revenir encore à la question du prog, ça sonne pour moi comme ce que le mot « progressif » signifiait auparavant, quelque chose de créatif, ou, si nous prenons quelqu’un comme Miles Davis par exemple, qui changea l’histoire de la musique. Si Dream Theater est progressif, qu’est-ce qu’est Miles Davis ? Nous avons joué à des trucs du genre « festival prog » il y a quelques années. L’un des groupes qui était la tête d’affiche s’appellait Arena, et je comprends qu’ils soient classés en tant que groupe « progressif ». Je n’entendis que quelques chansons, mais ils étaient tout sauf excitants… J’aime bien plus Björk et Massive Attack que ça, et ils ne sont pas classés comme « prog », alors peut-être que cela signifie que je ne suis pas un grand fan de prog. Mais j’aime quelques trucs de Gentle Giant aussi, et j’ai beaucoup d’influences venant des années soixante-dix : Beefheart, Zappa, Hermeto Pascoal, Univers Zero, Magma, King Crimson, Mahavishnu, XTC, Beatles, etc. Mais ils ne se sont jamais réellement appelés « prog ».

Que penses-tu de la spécificité et de l’évolution de la scène progressive suédoise ?
Je ne peux pas vraiment en parler… Je sais que quelques vieux groupes suédois des années soixante-dix ont fait des retours réussis, et qu’il y a de nouveaux groupes en Suède qui sont référencés sous l’étiquette « prog ». J’ai même enregistré avec un groupe/projet nommé Kaipa, qui est affilié prog.

Ta musique semble très particulière, d’où vient ton inspiration ?
Comme je viens de juste de dire, ça varie pas mal. Je peux vraiment apprécier Massive Attack, Björk, Aphex Twin et des trucs du style, mais je peux aussi retourner beaucoup aux sources. J’adore vraiment mettre un CD qui fut une de mes inspirations majeures lorsque j’étais plus jeune. Allan Holdsworth en est le parfait exemple. J’ai même acheté récemment quelques vieux Gino Vanelli : c’était trop bon de l’écouter à nouveau !

Peux-tu nous raconter la meilleure anecdote que tu as vécu avec Frank Zappa ?
Bien sûr, mais je suggère que les lecteurs aillent sur mon site internet www.morganagren.com. Tout y est écrit sous « My time with Frank Zappa », les répétitions, Zappa’s Universe et tout le reste.

Qu’as-tu appris avec Zappa en termes de composition, improvisation et production ?
Vaste sujet ! Frank était mon inspiration majeure lorsque j’étais jeune, comme compositeur, guitariste et comme personne avant tout. Quelqu’un a dit ça à propos de Frank : « il n’y a pas, il n’y a pas eu et il n’y aura plus jamais personne comme Frank Zappa ». Et je suis d’accord.

Sur quel album de Zappa aurais-tu aimé jouer et pourquoi ?
Le Live in New-York fut une grosse influence ! A cause des compositions et du niveau d’instrumentalité. Ca m’a vraiment émerveillé très fort lorsque j’ai écouté ce disque pour la première fois et ça le reste aussi même aujourd’hui, des années après !

Peux-tu nous raconter l’aventure Sol Niger Within avec Fredrik Thordendal de Meshuggah ?
Nous sommes tous les deux de la même ville, Umeå dans le nord de la Suède. Nous nous sommes rencontrés en 1995 je crois. Il me connaissait et je le connaissais à travers Meshuggah. Il voulait enregister un projet avec moi et j’ai accepté. Après ça, je l’ai impliqué dans certains morceaux de Mats/Morgan, et puis nous avons enregistré son légendaire Sol Niger Within.Je dois dire que cet album est devenu en quelque sorte « culte ». J’ai entendu dire que des membres de Metallica, Rush, Tool, et d’autres avaient une copie de ce disque et qu’ils l’aiment beaucoup, alors forcément c’est drôle !
Ce ne fut pas évident d’enregistrer. Fredrik faisait des extras dans une station de radio à Umeå à l’époque et il avait accès à leur gros studio avec un million de micros Neumann. Le truc c’est que nous devions faire ça durant la nuit, lorsque c’était fermé… Alors, si nous avions quitté le studio, les alarmes se seraient mises à sonner et la sécurité armée se serait montrée. Ca n’a pas marché. J’étais trop crevé à jouer tard la nuit et tôt le matin, et surtout jouer trop dur sans échauffement, simplement parce que Fredrik et moi étions trop excités. Mes doigts commencèrent à me faire mal, et je n’arrivais plus à jouer les parties assez bien, alors j’ai abandonné, mais j’ai aussi décidé de réessayer encore quelques semaines plus tard. Alors nous avons recommencé et nous avons enregistré dans le studio de mon frère, qui est situé dans la maison de mes parents. Là, nous étions autorisés à quitter la maison à l’heure que nous voulions ! Pas d’alarmes ! Et finalement, je me suis débrouillé avec mes parties. Fredrik est un gars super sympa, et il m’inspire beaucoup. Son groupe Meshuggah est aussi vraiment unique !

Aujourd’hui, quelles sont tes méthodes de composition avec le groupe ?
J’ai besoin habituellement d’un ordinateur/séquenceur pour composer. Ainsi, toutes mes compos sont faites sur un séquenceur. Je ne sais pas jouer de synthés, alors je crée mes sons sur un sampleur, je fais ma musique à partir de ça. Les idées musicales sont en général dans ma tête, j’ai juste besoin de les obtenir à travers quelque chose. Les sampleurs et les séquenceurs sont là pour ça. Ces parties seront jouées par les gars plus tard, et les parties séquencées ne seront pas utilisées. Cependant, sur les albums, il y a quelques morceaux où les parties séquencées ont été gardées.
Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais été capable d’expliquer très bien ce que je fais théoriquement. Je compose juste et joue sans forcément être conscient de l’aspect théorique de ce que je fais, et lorsque les gars du groupe écoutent un nouveau passage, ils appréhendent la chose de manière très naturelle. Ils écoutent juste, c’est dur à expliquer… Mais j’ai une grande partie de mon travail imprimé comme des partitions aussi. J’ai l’habitude de le sortir de l’ordinateur. Mats et Jimmy ne savent pas lire la musique, et de plus, Mats est aveugle ! Mais nous jouons ensemble depuis si longtemps, qu’un tas de choses arrivent naturellement.

Peux-tu nous donner un avant-goût de ce que sera le nouvel album qui sort en septembre 2005 ?
Musicalement parlant, c’est assez dur à décrire, comme toujours. Peut-être entendra-t-ton qu’on n’a plus du tout dix-huit ans (à l’exception de certains passages !). Je pense que lorsque tu grandis et prends de l’âge, tu ressens les choses différemment. Je suis vraiment très content avec notre CD bien sûr. Au niveau du son, ce fut aussi une grande expérience. J’ai beaucoup travaillé avec des amplis vintage à lampes ainsi que des microphones à lampes cette fois-ci, mais conçus avec des technologies modernes. 24 bit numérique, 96 KHz, de bons convertisseurs analogique-numérique, et tout le reste. Ca nous a pris environ deux ans pour faire ce disque, alors quel grand soulagement lorsque nous avons fini !
Quelques invités y figurent aussi. Nous avons enregistré cet incroyable instrument appelé « Klaviharp », qui est fabriqué sur mesure. C’est un mélange entre le clavecin et la clavinette. Nous l’avons utilisée sur un morceau appelé « SOFTMA » et ça sonne vraiment comme rien d’autre. J’ai aussi enregistré ce type, Ismet Demirhan, de Turquie. Ce fut aussi une véritable expérience. Il est actuellement le recordman du monde en circulate breathing. Tu sais, quand tu souffles une note sans interruption due au souffle ? Il est capable de tenir une note constante de façon ininterrompue autant que nécessaire ! C’était super de l’avoir sur le disque avec nous.
Autre chose, à propos de cet enregistrement, est que c’est notre premier album studio avec du matériel neuf depuis 1997.

Le titre Thanks for Flying With Us vient de types qui nous avaient dit des trucs du genre : « on a l’impression de voler lorsque l’on vous écoute, les gars ! » Donc, on se devait d’utiliser cette métaphore. Sur la pochette, nous sommes habillés tels des pilotes, et bien sûr Mats est le commandant de bord ! Un pilote aveugle, c’est trop cool non ? Après tout, Ray Charles a conduit une voiture des tas de fois, dans le désert (NdRC : allusion à la campagne de publicité Peugeot, dans laquelle Ray Charles pilote un véhicule, effectivement)… Rien ne vaut un pilote aveugle, c’est encore meilleur !

Propos recueillis par Aleks Lézy

site web : http://www.morganagren.com

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