
A l’aise dans la fournaise !
19/06/2025
Clisson - Clisson
Par Florent Canepa
Photos: Christian Arnaud
Site du groupe : https://hellfest.fr/
Le Hellfest 2025 s’installe une fois de plus pour quatre jours au cœur de la bucolique région de Clisson pour nous offrir un pantagruélique menu plus ou moins métallique. Première impression : la construction du fameux village du métal à l’année, un Disneyland sympathique mais qui a aussi créé l’émoi chez les fans historiques : restaurant que certains qualifient de prohibitif, activités et même un Hellfest Kids qui accueillait les régionaux pour une petite initiation au métal en forme de dinosaures. Si le festival est bien loin de ses débuts terreux et tenus, son évolution montre une ouverture qu’il est difficile de critiquer, s’ancrant dans un terroir géographique mais aussi quasi pédagogique.
Retour sur le plateau et coup d’envoi qui sera pour nous mollasson avec un Tar Pond qui malgré une attitude bien robuste et un son (on y reviendra) lourd et incandescent nous fait bien vite retomber dans l’ennui, quelques cigarettes du chanteur plus tard. C’est Slomosa qui provoquera le premier réveil. Les stoners venus du Nord nous racontent le désert façon omelette norvégienne qui sait casser les œufs et fasciner les yeux. On ne sait plus si on est en terre grunge ou en cérémonie doom mais tout se passe bien.
Thy Catafalque, projet un peu foutraque du Hongrois Tamas Katai servira de transition vers l’un des points culminants de cette première journée : les Suisses de Monkey3 qui ont su distiller sur l’heure attribuée, volutes de guitare de Boris entrecoupées d’atmosphériques nappes et beats que dB partage, souverain. L’exercice exclusivement instrumental est parfois périlleux mais il est magique lorsqu’il attaque « Icarus » au riff entêtant ou encore le final « Through the desert », voyage langoureux et hypnotique qui invalide tous les poncifs du Sahara. Droit, fort, parfaitement exécuté, le set des Suisses est parfait. Les musiciens jouent un peu pour eux, c’est le reproche que l’on peut faire mais faire partie de l’assistance se ressent comme un privilège.
SunnO))), magnétique ovni drone, agira comme un aspirateur d’ondes musicales, visant à faire un reset pour mieux apprécier la suite. Comme un chineur, on croise la force sautillante de Korn, les charismatiques et sympathiques Orange Goblin, qui offrent un show rock exemplaire, loin des foisonnements stoner gras et jouissifs des débuts. Autre époque et bientôt la fin. Alcest, couronne la nuit de sa scénographie astrale. Vus et revus en live, les Français livrent ici leur show le plus enivrant au sein du Temple qui a su magnifier le lyrisme sepulcral du groupe. « L’envol », dès l’ouverture, pose une ambiance dont on ne sortira jamais. Happé par tous les titres qui constituent désormais un solide grimoire de présentation, l’auditeur se love dans « Sapphire », sautille sur le quasi new wave « Flamme Jumelle ». Chaque climax sonne juste, accompagné de ce qui sera sans doute l’un des plus beaux light shows du festival. « Oiseaux de proie » vient conclure comme une ode tribale à la nature et la nuit qui a d’ores et déjà enveloppé le site.
La deuxième journée, un peu moins favorable à nos colonnes, nous offre son lot d’intérêt – de la comédie musicale doom et retro offerte par Castle Rat (avec véritable combat heroic fantasy de rat sur scène) aux tristes mais énergiques Français black de Belore, jusqu’au rock à Maman de Burning Witches. Après tout cela, de vrais coups de cœur (les trois sœurs mexicaines de The Warning aux anthems hard rock imparables et au charisme ravageur) et de vrais coups de mou (Nervosa trop brouillon et The Cult sur le déclin, et scandant une phrase sur deux malgré des titres immanquables). Within Temptation sera finalement la perle de la soirée, invoquant la foule, provoquant moult souriants slams. La magie du métal épique opère. C’est un bien triste Muse qui conclue la nuit – problèmes de guitare au démarrage, problèmes de chant un peu plus loin. La bande à Bellamy n’a même pas préparé un set spécialement rentre dedans pour l’occasion (« Plug In Baby » sonne un peu compressé eu égard aux actes précédents). Muse, ce fut finalement un peu la fausse bonne idée de la programmation. Bonne idée car on se souvient des shows électrisant du trio qui, par la force de leurs instruments et de leur implication, faisait trembler autant les murs que n’importe quel groupe de métal aguerri foulant la scène de la Main Stage. Mauvaise idée, ici, car outre les problèmes de son et en dépit de l’hommage appuyé (Cocorico, nous avons en cadeau un riff de « Stranded » de Gojira), le groupe, sans doute plus mature, est finalement compatible avec n’importe quel gros festival, de Glastonbury à Coachella, et du coup il ne nous appartient plus. Ce soir-là, il y avait plus de respect que de frénésie pour « Hysteria », de la curiosité plus que de la passion pour « We are fucking fucked ». Plus assez nuancé, plus assez instrumentalisé (où est le grand piano ?), Muse gagne en target groups ce qu’il perd en émotion.
Le samedi, tout donne envie ! Évidemment il y aura des laissés pour compte… Et la déconvenue fut sans doute Freak Kitchen. On est habitué au relâchement cool du groupe de Matthias Eklundh sur scène. Ici on ne vient pas pour le show mais pour le sourire et la bonhommie. Mais la construction de la setlist parait bancale. Le jeu du virtuose rend parfois autant admiratif qu’il agace. On a envie de simplifier, d’élaguer et surtout de choisir des titres à impact plus immédiat. Il y a du « Porno Daddy », potache mais trop sur la réserve, du « Troll », sympa mais pas assez trapu. Même « Freak of the week », récente scansion inoubliable fait mouche sans renverser la table. On aime le final mais surtout le riff métal zone de « Propaganda Pie ». Un apéritif sympathique mais trop insipide en regard de l’amour que l’on porte au trio.
D-A-D, les compères voisins sur la Main Stage, feront beaucoup plus fort et apporteront l’émotion, culminant avec le culte « Sleeping My Day Away ». Ce n’est pas grave, la journée est longue et péniblement caniculaire. On ne saura pas ce jour-là s’il est mieux de brûler sur les stages extérieurs ou se liquéfier sous les tentes. Wheel, progressif prometteur venu de Finlande, réveillera le curieux. Grima et son concept black autour des arbres étonnera par la progression de son show. Et Savatage, rare incursion quasi-glam de cette année, est ressortie la tête haute avec en cadeau d’honneur un duo virtuel avec Jon Oliva, montrant à quel point le groupe a su présenter tous les éléments de son histoire. Un champion de deuxième catégorie qui flirte avec les grands. The Ocean, pourtant toujours très fort, sera un peu en deça ce soir-là. Le charisme et Loïc Rossetti qui se plonge dans la foule dès les premières notes est toujours bien vivace mais l’ensemble post prend un peu moins et la mise en scène les rendant plus visibles ajoute de la proximité mais enlève l’intensité. Ce sont SatchVai, les dieux du Stade, qui seront la bonne surprise de la soirée. Les deux pros du manche agissent comme un bonbon de nostalgie bienvenu. On s’amuse à comparer leur style – se disant que Satriani et ses 36 guitares est plus en contrôle que l’expérimental et parfois borderline Vai, pourtant si attachant et qui ne sortira que deux instruments ce soir dont la fameuse Hydra, créature rassemblant guitare 5 et 12 cordes ainsi que fretless à 4 cordes. Gimmick mais efficace. Les compères s’amusent à retracer leur carrière et nous nous reconnaissons à travers leurs tubes (« For the love of god » pour l’un, « Always with you, always with me » pour l’autre). Ils se laissent élégamment la place ou agissent en duellistes. En un mot : le G2 ça marche aussi !
La grosse affiche qui nous concerne c’est pour maintenant. Et ça démarre très fort avec Vola. Les Danois nous offrent en quelque sorte ce que Muse a échoué à nous offrir la veille. Un set puissant, moderne, vous faisant croire que le rock est à la base de tout quand l’électronique submerge. « Paper Wolf » agit comme un tourbillon, « 24 Light Year » est à pleurer, « Cannibal » s’enorgueillit de la participation d’Einar Solberg aux vocaux black. Un esprit de famille bienvenu pour celui qui jouera un peu plus tard ce soir-là. Le son est parfait, enveloppant. Le batteur fait corps avec son instrument comme un métronome enragé et en même temps paisible. Vola est un voyage à part entière ou pas une seule note ne nous fait retomber. Atmosphérique, infatigable, Vola est orfèvre ce soir-là.
Alors forcément, lorsque Leprous arrive un peu plus tard, les attentes sont fortes. On a certes été conquis par le dernier « Melodies of Atonement » mais quelle mue Einar et ses frais acolytes nous réservent-ils sur scène ? D’emblée, le professionnalisme des Norvégiens frappe au corps : positions solides et volontaires sur le plateau, lumières cinglantes et stroboscopiques, son parfait. L’impact des nouveaux titres est absolument fantastique – de l’ouverture toute en groove étrange (« Silently Walking alone » ) au magistral « Atonement ». Un set compact mais complet de dix titres qui revisitent plus ou moins la discographie désormais fournie du groupe, on regrette seulement l’absence du culte « Bilateral » qui, s’il est ancien, regorge pourtant de pépites laissées de côté. Difficile de ne pas tomber sous le charme de « Slave », « The Price » ou le désormais hymnique « From The Flame ». Beaucoup qualifieront ce fait d’arme de meilleur concert de ce cru Hellfest et nous ne sommes pas loin de les rejoindre. En point final (à défaut de point d’orgue), les vétérans prog de Dream Theater investissent la main stage. Évidemment la setlist est plus ramassée en comparaison de leurs traditionnels concerts en autonomie et trahit des choix qui prêtent au débat (fallait-il « The Enemy Inside » ?). Mais le fan de la première comme de la dernière heure y trouvera son compte. Le son est bon, l’énergie est communicative et James LaBrie souvent critiqué a su mener la troupe sans faux pas – sauf peut-être une petite faiblesse à certains moments sur l’ouverture issue du dernier et très réussi « Parasomnia », « Night Terror ». De même, « Midnight Messiah », un peu poncif métal et pas toujours très finaud, aurait pu se troquer contre un autre morceau du dernier ouvrage mais on pardonnera facilement en voyant Mike Portnoy taper à nouveau les rythmiques de « Metropolis » (« Strange Déjà Vu » et « Fatal Tragedy » enchainés et jouissifs). Solides, généreux, les musiciens assurent et officient presque un teasing de leur tournée mondiale. On en ressort frustré ce qui est sans doute une bonne nouvelle.
Dernier jour, derniers décibels et nous jouerons une fois de plus les touristes car un peu moins de groupes intéressent le cœur de cible de nos chers lecteurs. Aluk Tolodo, combo grenoblois, piquera la curiosité et prouve que le pur instrumental a encore de beaux jours devant lui. Seule une ampoule illuminée en guise de chanteur semble nous faire croire que l’électrique performance krautrock et psyché du trio parvient à faire passer le courant. Il passera en tous cas avec le public. Après un moment de sueur et de joie offert par les hardcoreux Guilt Trip, direction la Valley pour une performance que nous attendions. Les Italiens de Messa ont sorti un fantastique dernier album, commencent a opérer une véritable transformation et démontrent une maturité imparable. « The Dress », à cet égard, fut une formidable démonstration. Il faudra compter avec leur musique qui mélange black, dark ambient, jazz, blues ou encore doom (rien que ça). Au lieu d’une joyeuse cacophonie difficile à appréhender, c’est quelque chose d’unique et de pensé qui se dévoile ici et se peaufine. Mais si le guitariste Alberto privilégie désormais les sons clairs et une Strat troquée contre sa Gibson, Sara, la chanteuse, peine à développer son charisme sur scène et souffre en début de set d’une voix sous mixée qui colle moins à l’évolution sonore du groupe. Tout va bien mais tout aurait pu être mieux. Kylesa, sur la même scène, fera beaucoup mieux en termes d’énergie et de force. Sludge propre, entrainé par des riffs viscéraux, voix convaincante : tous les ingrédients pour une fin d’après-midi musclée. Quand on sait que rien n’a été sorti depuis 2015 et que le groupe signe un retour, on peut les féliciter d’avoir su garder une puissance intacte. Pendant que Priest surprend par son synth électronique et sombre, les rappeurs de Cypress Hill et un peu plus tard The Kovenant feront bouger les foules sur un rythme assez différent. Une pause bien méritée avant Jerry Cantrell qui offre un concert du soir plus « rock à papa » qu’anticipé mais tout à fait réussi y compris dans ses « covers » d’AIice In chains. Il sera le symbole d’une certaine génération de guitar hero, bien différente des SatchVai ou Petrucci vus la veille mais qui marqueront tout autant d’histoire jusqu’au cathartique « Would?». Le grand final sera pour Linkin Park, qui malgré le poids des années et du décès familial, reviennent gonflés à bloc, et armés non seulement de tubes historiques mais aussi de nouveaux anthems convaincants (« The Emptiness Machine », « Heavy is the crown »). Emily Armstrong, nouvelle puissance vocale du groupe, sait séduire le fan historique avec ses growls agressifs et gutturaux et permet à l’histoire du groupe de continuer à s’écrire.
Les explosions d’un feu d’artifice généreux viennent conclure ces quatre jours de fête, de bruit délicieux, de bonnes ondes car ce festival est aussi une expérience humaine désormais parfaitement rodée. Le Hellfest est aussi l’occasion de découvrir de nouvelles choses au-delà de sa zone de confort. Un grand bravo à tous les organisateurs et bénévoles qui ont su accueillir 260 000 personnes, construire une édition puissante et sans incident malgré les fortes chaleurs. Et pour l’année prochaine ? Hell Awaits !













