Poil Ueda

Poil Ueda - S/T

Sorti le: 03/03/2023

Par Florent Simon

Label: Dur et Doux

Site: https://duretdoux.com/dur-et-doux/artistes/poil/

Nous ne sommes jamais à une surprise près avec le facétieux groupe Poil. Toujours en quête de repousser les limites musicales, ce dernier projet est également leur plus conceptuel à ce jour. Cinquième album des Lyonnais insoumis, Ueda est en effet une expérience inclassable, à ranger dans une nouvelle case quelque part entre Rock progressif, RIO et World music.

Le trio habituel (Antoine Arnera, Boris Cassone et Guilhem Meier) est ici augmenté du bassiste de leurs compères Ni, Ben Lecomte. Ils nous proposent une rencontre avec l’artiste japonaise Junko Ueda et son étrange instrument à cordes, le Satsuma Biwa. Traduction : c’est un instrument à quatre frettes de la période Edo (1603-1868) utilisé pour accompagner les récits guerriers.

La création musicale commune présentée sert de trame sonore aux histoires épiques populaires chantées et tirées de L’épopée des Heike, un classique du Moyen Âge japonais. Une démarche ambitieuse qui pourrait cependant rendre la tâche ardue aux néophytes pour rentrer dans ce bouillonnant mélange de rock occidental et de chants traditionnels.

Le premier morceau «Kujô Shakujô » (“Exterminateur de Kujô”) est découpé en 3 parties.
Sous-titré “rituel monodique pour éloigner les mauvais esprits”, c’est une pièce inhabituelle pour le groupe de par sa retenue latente, qui évoque un King Crimson délocalisé sur les terres arides et froides du volcan Sakurajima.
Après une intro à l’ambiance inquiétante, le chant shōmyō prend la place centrale, sorte d’incantations rapidement percées de bruitages électroniques. La partie 2 introduit ensuite une rythmique asymétrique de plus en plus dense, se robotisant avant d’entamer une dernière partie encore plus intense.

La deuxième suite, «Dan No Ura » (“Derrière la coupe”) en 2 parties et narrant “la bataille navale de Dan-no-ura” ne nous ménage pas plus et retranscrit effectivement l’esprit guerrier suggéré.
Celle-ci démarre sur les chapeaux de roue et tranche avec sa prédécesseure autant dans la voix plus agressive que dans la musique très nerveuse. On y retrouve plus le style familier du groupe et, contrairement à la face A, elle n’offre que peu de répit jusqu’à la partie 2, qui voit la vapeur retomber. On en sort lessivé mais comblé.

Galvanisé par ce rock expérimental, la voix de la musicienne arrive à se frayer un chemin à travers ce fracas aux motifs ethniques couplés à une puissance brute. Ces deux éléments aux antipodes se marient finalement très bien, non sans un certain effort de la part de l’auditeur qui pourrait être dérangé de prime abord par cette alliance atypique.
Si l’album est assez court (un total de 30 minutes environ), la musique qu’il renferme n’en est pas moins riche et complexe. Nul doute que les versions à rallonge développées sur scène doivent être dantesques et sont, bien évidemment, recommandées par la rédaction. Notons qu’un deuxième volume est annoncé par Dur et Doux. Il sera consacré à Yoshitsune, grand samouraï au destin tragique. On a hâte de s’en prendre plein la tête!