Michel Portal - MP 85

Sorti le: 05/03/2021

Par Mathieu Carré

Label: Label Bleu

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Michel Portal a 85 ans, mais n’allez pas prendre ce disque pour un bilan et encore moins pour quelque chose qui ressemblerait au début d’un testament. L’immense musicien vient graver ici ses initiales et son pedigree tel qu’il le ferait sur une borne kilométrique grande comme un menhir : il est venu, il est passé par ici, et il continue sa route.  MP 85 : Michel Portal assume tout, son âge, son passé, son histoire musicale que l’on sent en filigrane par moments, mais surtout, il avance, encore et toujours. Et quand certains de ses glorieux contemporains se complaisent dans une retraite méritée ou une confortable routine, lui nous refait le coup de la nouvelle formation pleine d’avenir.

Aux côtés de deux compagnons de route bien rodés, Bruno Chevillon à la contrebasse et Bojan Z  aux pianos et claviers, viennent s’immiscer deux nouveaux acolytes venus des Flandres: le batteur Lander Gyselink, un demi-siècle de moins que son ainé de leader, et le tromboniste Nils Wogram. Le premier par sa pulsation précise ancre la formation dans le jazz d’aujourd’hui, et le second à travers sa virtuosité, son sens du rythme – presque de la danse – illumine les compositions par ses audaces et sa complémentarité avec Portal. Au cœur de « Hall Full Moon », son solo habité par la grâce et soutenu par une rythmique d’enfer, fait basculer la formation dans le sublime. A eux cinq, ils donnent l’impression d’avoir mangé le Big band d’Ivan Jullien et d’en sortir la même invitation au jeu et à la jouissance physique de la musique.

Le meneur, l’improvisateur, le compositeur, l’instrumentiste, Portal s’amuse en passant d’un rôle à l’autre, d’une ambiance à l’autre: beauté des steppes avec une clarinette qui joue les duduks sur « Armenia », coup d’œil dans le rétroviseur américain des années Minneapolis  (« Jazzoulie ») ou une friandise estampillée Label Bleu sur « African Wind » qui sautille, chaloupe et rappelle les carnets de route des copains Sclavis, Texier et Romano. Ne cherchez pas une ligne directrice claire, chaque morceau est une petite histoire, une tranche de vie et de souvenirs qui mettra les synapses en joie.

Et c’est à travers cette diversité que l’on perçoit l’immensité de MP 85, où chaque idée pourrait se transformer en album ou en projet propre. On se prend ainsi à rêver, on s’imagine désosser « Desertown » pour en faire sortir ses entrailles: ce côté un peu abstrait, cinématographique, ces bidouillages bruitistes, feulements et frottements. Il y a tout pour aller encore un peu plus loin, pour jouer encore un peu, comme Michel Portal joue encore aujourd’hui, génial musicien de 85 ans qui continue à avancer et n’a jamais regardé si loin devant.